C’est probablement l’un des retours les plus attendus du monde rôlistique francophone. L’Appel de Cthulhu fut en effet encore plus populaire en France que dans sa langue natale. Mais la disparition de Jeux Descartes (racheté par Asmodée) semblait avoir définitivement enterrée la licence, alors que le jeu continuait une vie plutôt prospère aux USA. C’est donc la bave aux lèvres que nous accueillons cette 6e édition française, reprise par un nouvel éditeur pour l’occasion, Sans Détour !
Pour les nouveaux venus, un petit résumé s’impose. L’Appel de Cthulhu est un jdr vous permettant d’incarner des investigateurs dans l’univers horrifique des écrits de Lovecraft(1). Nous sommes dans les années 20. Des créatures ancestrales attendent dans l’ombre leur retour, aidées par des sectes d’adorateurs maléfiques. Les personnages joueurs auront pour tâche de les arrêter, au risque de se retrouver confrontés à une réalité tellement inouïe qu’elle les rendrait irrémédiablement fous.
Ce livre de base est conçu avant tout comme un ouvrage de référence définitif sur le plan des règles, tout en s’accompagnant d’un aperçu du mythe de Chutlhu et d’une mini-campagne de trois scénarios. Les habitués des précédentes éditions en seront surpris : Sans Détour est allé bien au-delà de la simple traduction, alors que la 6e édition américaine est un simple relookage de la 5e édition révisée (parue en VF chez Jeux Descartes).
Premier changement notable, la maquette. Autant la maquette V.O. est une réussite, autant cette V.F. arrive à la surclasser de la tête et des épaules ! L’ambiance qui s’en dégage est exceptionnelle, tout en conservant une excellente lisibilité. Sur le fond, Sans Détour a aussi pris le parti de réduire la voilure de la partie univers. Il n’y a plus d’article sur les années 20, qui devient d’ailleurs la seule période abordée par le livre de base. Le mythe de Cthulhu, abordé de manière presque exhaustive dans la V.O., est aussi réduit à l’essentiel. Ce choix est finalement très pertinent, le panel de créatures et dieux proposé étant plus que suffisant pour la plupart des joueurs. Seul défaut notable, les coupes réalisées ne sont pas toujours parfaitement cohérentes ; certains sorts d’invocation sont par exemple liés à des créatures qui ont été supprimées du bestiaire.
Ces éléments sont mis en pratique dans une mini-campagne de trois scénarios entièrement inédite se déroulant en Grande-Bretagne. Très bien écrite, elle brosse un panel tout à fait représentatif de ce que peu offrir le jeu dans une ambiance très prenante. Le premier scénario en particulier est une huit-clôt qui possède tous les ingrédients nécessaires à une partie mémorable.
Ces coupes dans la partie univers se font au profit des règles, qui occupe la majeure partie de l’ouvrage. Le système reste toujours basé sur des caractéristiques et des compétences exprimées sur cent (par exemple, conduire – 65%) qui déterminent le pourcentage de chance de réussir une action de ce type. Les points de vie déterminent l’état physique des personnages, tandis que les points de santé mentale mesurent son état psychologique. Ces concepts de base sont complétés par un grand nombre de règles optionnelles ou alternatives venant les moderniser : nouvelles règles de création de personnage, règles de poursuite, gestion des degrés de réussite, système de « sang froid » venant compléter la santé mentale…
Pris séparément, tous les ajouts sont justifiés et parfaitement dans le propos. Hélas, Sans Détour a souhaité conserver intact la base du jeu, dont le manque d’homogénéité ne favorise pas vraiment l’ajout de briques supplémentaires. Il en résulte une section règle pas toujours très bien organisée, manquant de cohérence, et qui n’offre pas une vue « minimale » sur les règles, une vision rapide des points essentiels qui permettraient de jouer rapidement.
Que faut-il en conclure ? Le concept sur laquelle cette édition repose, une boite à outil aussi complète que possible, est certes entaché par une organisation perfectible. Mais d’une part, ce défaut ne résistera pas à une lecture attentive de l’ouvrage, et d’autre part le résumé fourni avec l’écran (voir notre critique) le corrige en parti. Tout dépend donc de ce que vous cherchez. Si vous aimez en rester à des règles simples et basiques, les précédentes éditions ou la V.O. sont plus faciles à prendre en main et plus complètes côté contexte. Mais si vous avez l’habitude de bricoler les règles, cette nouvelle édition est du pain béni. Dans les deux cas, elle constitue une base solide sur laquelle l’un des jdr les plus vieux et les plus joués pourra enfin renaitre. Rien que pour cela, merci Sans Détour !
(1) Se reporter aussi à l’article Les Psychoses de Lovecraft dans le dossier Psychoses paru dans Khimaira numéro 13.