Au cours des années 20, les autorités fédérales américaines ont mis à jour divers trafics dans la petite ville d’Innsmouth. Croyant avoir à faire un réseau de crime organisé vaste mais traditionnel, ils ont lancé un raid sur la ville sans savoir qu’ils y trouveraient bien plus qu’attendu… Ces découvertes, maintenues au secret, ont donné lieu à la création d’une organisation gouvernementale spécialisée les phénomènes inexpliqués : Delta Green !
Dire que Delta Green est une gamme mythique est un euphémisme. Sortie en 1994, en pleine X-Files mania, cet univers moderne a su rendre crédible le Mythe de Cthulhu dans un contexte moderne de manière bien plus convaincante que Cthulhu 90, le supplément qui permettait jusqu’à alors de jouer à l’AdC de nos jours et qu’il a depuis totalement éclipsé. Delta Green conserve les fondations des écrits de Lovecraft (sous la forme d’un panthéon, une vérité non-euclidienne qui dépasse l’entendement au point de rendre fou quiconque s’en approche trop) tout en bâtissant un impressionnant édifice conspirationniste fortement inspiré d’X-Files. Mais là où la conception de cette dernière, un empilement improbable de secrets où chaque réponse prend la forme de nouvelles questions, s’avère déjà daté, la cohérence de l’univers de Delta Green en fait un supplément encore aujourd’hui résolument moderne.
Il part du principe que le Mythe ne se manifeste presque plus en comparaison des années 20, et pour cause : il n’en a plus besoin, l’homme s’étant entrainé tout seul dans une spirale descendante où l’individu prime sur le groupe jusqu’à éclipser un besoin aussi primaire que la survie de l’espèce. De fait, les dieux n’ayant guère plus besoin de venir en personne, c’est l’une de leur main d’œuvre, les Mi-Go, qui sont maintenant au centre des intrigues. Un moyen élégant de rattacher l’ensemble aux mythes sur les extra-terrestres – Roswell, c’était bien sûr eux. Leurs opérations et contacts secrets avec les puissants de la planète ont entrainé dans leur sillage quantité d’organisations ayant tantôt pour objectif de protéger la population de leurs manœuvres, tantôt de les utiliser à des fins personnels ou d’un petit nombre.
L’imposant ouvrage (un peu plus de 300 pages tout de même) décortique ainsi les pkus importantes de ces organisations. Delta Green occupe bien entendu une place de choix et offre les informations techniques nécessaires à la création d’un PJ. Une large section est aussi consacrée à Majestic-12, agence gouvernementale américaine et méchants de service tout dans la logique "la fin justifie les moyens" que la bonne morale impose de tenir au secret absolu. Majestic-12 constitue une parabole d’événements comme le Watergate ou la guerre d’Irak – celle de Bush père, le supplément étant sortie en 1994, mais qui raisonne aussi tout aussi bien, si ce n’est plus, avec celle de Bush fils, preuve que le supplément n’a pas perdu de sa modernité.
Au programme aussi, un vaste catalogue des organismes gouvernementaux américains, soit de renseignements soit de sécurité qui, s’ils ne sont pas spécifiquement dédiés au paranormal (tous existent réellement) peuvent se retrouver impliqués dans les opérations du Delta Green. On y trouve des classiques – CIA, FBI, ATF, l’armée… – mais aussi des plus méconnus. Citons par exemple le département de l’agriculture qui peut très bien se retrouver impliquer dans une enquête sur des contaminations alimentaires – et vu l’importance de l’agriculture aux USA, autant vous dire que c’est un joueur puissant qui ne manque pas de moyens ! Chacun bénéficie d’une ou deux pages synthétisant son histoire, ses objectifs et ses moyens, ainsi que les caractéristiques d’un membre type.
Trois scénarios viennent achever l’ensemble. Tous sont logiquement assez orientés enquête. Le premier permet d’introduire les PJ au sein de Delta Green. Le second offre un aperçu des forces et mystères en œuvres et introduit le troisième, une très longue aventure en deux parties, le tout formant quasiment une petite campagne.
Si l’ouvrage est aussi lourd et complet, c’est que cette VF est le fruit d’un important travail de la part de Sans Détour. L’éditeur a parfaitement synthétisé la position singulière de Delta Green au sein de l’AdC par des choix discrets mais efficaces. Celui, par exemple, de donner à ce supplément et ses suites une numérotation propre indépendante du reste de la gamme. Ou encore, la remise à plat de la maquette, qui tout en conservant un modèle proche de la gamme, se voit doter de petits changements pour mieux coller à la période abordée : police de caractères plus moderne, fonds de page réactualisés… Les esprits chagrins repéreront bien quelques fautes par ci par là, mais rien qui puisse véritablement entacher la qualité de l’ensemble.
D’autant que sur le fond, c’est du lourd. Les caractéristiques techniques ont bien entendu été mises à jour pour la 6e édition françaises. Le contexte a lui été réactualisé. Enfin, le contenu cumule à la fois celui de la VO, celui de l’édition allemande mais aussi du matériel inédit. Seules certaines informations concernant les armes à feu ont été retirées, celles-ci étant par ailleurs disponibles dans le Manuel des Armes.
Delta Green est un chef d’œuvre et cette VF lui fait d’autant plus honneur que le suivi s’annonce rapide. Mais chut, je ne peux en dire plus, on m’a suivi jusqu’à mon bureau et je suis sûrement sur écoute…