Le « héros américain » en question est un être potentiellement parfait : jeune quadra, Melvin — « Mel » — aurait tout pour réussir, il est beau gosse, intelligent, lettré et doué pour la musique. Il a aussi un petit garçon adorable prénommé Rex, bref il aurait tout pour être heureux et mener une vie épanouie sauf que… Mel est aussi un velléitaire de première bourre, un type qui a de l’or dans les mains et qui n’en fait rien. Sans emploi, notre « héros » vit au jour le jour, de fiestas en défonce (il boit, gobe et sniffe tout ce qui passe), d’où un divorce, une peine de travaux d’intérêt général et une interdiction pénale d’approcher son ex-femme et leur fils. L’inaction du gars est d’autant plus rageante que Mel possède, en plus des qualités précitées, un talent extraordinaire : il est doué du pouvoir de télékinésie. Par la seule force de la pensée, le personnage est capable de désosser une épave de voiture, faire ployer une barre de fer, lancer n’importe quel projectile. Un don digne d’un membre des X-Men (le duo qu’il forme avec son pote Lucille, vétéran d’Irak en fauteuil roulant, apparaît du coup comme une version « réaliste » de Jean Grey et du Professeur Xavier) qui ferait de lui un véritable super-héros s’il voulait bien en finir avec son train-train d’ado attardé.
Le film de Nick Love bénéficie de plus d’un atout : une interprétation magnifique dominée par Stephen Dorff et Eddie Griffin, des personnages hauts en couleurs (on n’a jamais autant entendu « motherfucker » dans un dialogue, mais ce n’est pas gênant), une photo somptueuse malgré le choix d’une mise en scène façon « documenteur » (le quotidien de Mel et Lucille nous étant restitué par une équipe de journalistes TV). Mais le scénario, qui fait quand même beaucoup songer à celui d’Incassable, pêche par un vrai manque de cohérence : au contraire de David/Bruce Willis qui, dans le film de M. Night Shyamalan, se découvrait des capacités surhumaines sur le tard, Mel est depuis toujours conscient de son pouvoir, et il est compliqué pour le spectateur d’admettre qu’un type avec un tel don (et qui ne le cache pas !) n’en ait jamais rien fait pour changer sa vie, pour le meilleur ou pour le pire (Chronicle de Josh Trank est également encore frais dans les esprits). Éprouvé par ses excès, Mel finit par se résoudre à évoluer dans le bon sens… avant de rechuter. Les allers et retours nombreux entre spleen et idéal finissent par lasser, et la justification de l’attitude désespérante de l’antihéros par des citations littéraires (Nick Love explore entre autres Notre Cœur de Maupassant pour étayer le portrait de son personnage) n’est pas toujours suffisante. Au final, la quête du surhomme ne s’accomplit pas pour le bien de la communauté de la Nouvelle-Orléans (encore marquée par la violence de Katrina), mais se situe à un niveau beaucoup plus intime. Mel cherche un sens à sa vie, et son parcours vise essentiellement la reconquête de son fils et de sa famille. C’est touchant, bien sûr, mais on en était aussi en droit d’attendre autre chose d’un métrage qui, lorsqu’il s’attarde sur les prouesses accomplies par Mel, ne se prive jamais de donner dans l’épate et les effets spectaculaires.
American Hero a été projeté en janvier en clôture du 23ème Festival de Gérardmer. Sortie du film le 8 juin 2016 dans les salles françaises.