C’était il y a pile trente ans : alors que les pétoires des marines d’Aliens (1986), le monument de James Cameron, fumaient encore dans les mémoires, la saga lancée en 1979 par Ridley Scott se voyait complétée d’un troisième volet, dirigé par David Fincher. Non pas que le film fût mauvais, mais le changement de ton, d’ambiance, de rythme et d’esthétique était tel qu’une bonne partie du public accueillit Alien 3 — « Alien cube » — avec une cruelle tiédeur. Adieu les meutes de créatures déchaînées du film de Cameron (il n’y avait plus qu’un seul monstre, comme dans Le Huitième Passager), adieu Newt et Hicks, rescapés du numéro deux et pourtant éliminés de l’histoire dès la scène d’ouverture…
On sait aujourd’hui les conditions tourmentées de la création du film de Fincher, qui dut mettre en scène un scénario en constante évolution (soucieux de s’assurer un hit au box office, les gens de la 20th Century Fox firent retoucher le script même pendant le tournage, presque au jour le jour, envoyant parfois au panier des séquences qui venaient d’être tournées !). Et l’on sait aussi que, parmi les multiples versions de l’histoire, il y en eut une, en fait la toute première, signée du romancier William Gibson, qui travailla selon une vision ambitieuse des producteurs David Giler et Walter Hill : suivant l’idée de ces derniers, ce nouveau développement devait porter les germes d’un quatrième film, lequel pourrait être tourné dans la foulée du troisième (comme Retour vers le futur 2 et 3, réalisés ainsi, en « back-to-back », en 1989). Fait notable : Ellen Ripley, l’héroïne des deux premiers films, serait quasi absente de cet épisode trois pour revenir dans le quatrième sur le devant de la scène…
Nous sommes en 2022 et nous pouvons nous rendre compte de ce qu’aurait été cet Alien 3 originel. Auteur de romans de S.F. qui lui ont valu moult lauriers (dont un prix Hugo et deux prix Arthur C. Clarke), l’Américaine Pat Cadigan, souvent assimilée au courant cyberpunk, s’est emparée du manuscrit de William Gibson pour en tirer la novélisation qu’on a aujourd’hui entre les mains (elle n’en est pas à sa première, ayant déjà converti en roman Battle Angel Alita de Robert Rodriguez et Cellular de David E. Ellis). Ne soyez donc pas surpris, à la lecture, de suivre un récit sans le personnage de Ripley (qui végète dans un état léthargique entre sommeil et coma). Le caporal Dwayne Hicks est, quant à lui, bel et bien de retour, ainsi que Newt (brièvement, soit) et l’androïde Bishop, qui retrouve très vite des jambes pour prendre une part active à cette nouvelle aventure.
La couverture l’indique noir sur vert, Cadigan nous propose un roman « d’après le scénario de William Gibson ». La romancière a donc forcément, à son tour, apposé sa patte à l’histoire en apportant des touches pour certaines identifiables car totalement dans l’air de notre temps. Toutes ne sont pas utiles (pourquoi donc signaler que deux personnages très secondaires, silhouettes d’arrière-plan presque muettes, sont « non-binaires » ?), mais d’autres s’inscrivent très bien dans le propos général de la saga de cinéma, quand celle-ci met à l’index les excès néfastes du capitalisme au travers des agissements sans scrupules de la compagnie Weyland-Yutani, bâtisseuse « de mondes meilleurs ». Le roman place ainsi face à face deux stations spatiales, l’une sous la coupe du fameux conglomérat militaro-industriel, l’autre occupée par une population idéaliste et progressiste, comme des altermondialistes du futur. Les deux « mondes » s’opposent dans une sorte de guerre froide jusqu’à ce que survienne le transporteur de troupes Sulaco avec, à son bord, les quatre rescapés du film de Cameron et du « matériel génétique extraterrrestre » qui va très vite mettre la pagaille.
Annoncer que le récit est trépidant serait beaucoup dire. En fait, même si retrouver Hicks et Bishop à nouveau réunis dans l’action est un indéniable plaisir de geek, et même si l’objet, en soi, est une curiosité, le roman s’avère souvent confus, à cause des changements de lieux, pas toujours bien amenés (on passe d’une station spatiale à l’autre sans plus de précisions), et de l’intervention de nombreux personnages juste ébauchés, qu’on a un peu de mal à cerner. D’où cette interrogation : faute de voir le scénario de Gibson porté à l’écran, l’adaptation n’aurait-elle pas été plus convaincante sous la forme d’un comics ? Une option qui, évidemment, aurait nécessité d’autres talents que celui de Pat Cadigan, et notre question restera pour toujours sans réponse… Le caporal des marines et l’androïde (oups, pardon, Bishop, l’« homme artificiel » !) sont donc nos principaux points de repère et nos boussoles dans cet Alien 3 littéraire et alternatif où, faut-il quand même le préciser, les xénomorphes se remettent à pulluler, contrairement à la version cinéma. Quant à savoir laquelle des deux histoires préférer, il revient vraiment à chaque lecteur et fan de la saga d’en décider.
En librairie à partir du 5 octobre 2022.