Les oreilles conquises en 2020 par Chapter I: Monarchy d’Ad Infinitum sont déjà grandes ouvertes pour découvrir Chapter II: Legacy, le nouvel album de la formation germano-suisse. Une sortie fixée à deux jours d’Halloween, ce qui tombe idéalement puisqu’il est beaucoup question dans Legacy d’un nom et d’une histoire bien connus de tous les amateurs de fantastique et d’histoires horrifiques. On n’en dit pas plus, la parole est à la chanteuse et fondatrice du groupe, Melissa Bonny.
Khimaira : Bonjour Melissa, nous sommes ravis de te retrouver après notre première entrevue — c’était il y a près d’un an, à la sortie de la version acoustique de l’album Chapter I: Monarchy. Ce second album sonne un peu plus « heavy » que le premier, je trouve, et on entend aussi plus de variété dans ton chant…
Melissa Bonny : Oui, il y a une évolution dans le sens où on a eu plus de liberté. Contrairement à Chapter I: Monarchy, on n’a pas travaillé avec un producteur, seulement nous quatre, les membres du groupe. On a mis toutes nos idées en commun et on a travaillé à partir de là, sans influence externe. Par comparaison avec le premier album, on a pu aussi s’attarder davantage en studio, celui de Jacob Hansen, avec qui j’ai toujours beaucoup de plaisir à collaborer. On a développé avec lui un processus de travail qui est très agréable. Le temps que nous avons passé dans son studio m’a permis d’expérimenter un peu plus en tant que chanteuse, et je peux en dire autant de mes trois collègues musiciens. Nous avons beaucoup apprécié d’enregistrer sans producteur pour chapeauter notre travail, en étant les seuls maîtres à bord.
Il y a beaucoup d’éléments orchestraux, par exemple dans Unstoppable, le premier single qui a été dévoilé…
Cet aspect-là de l’album, on le doit à notre ami Elias Holmlid, du groupe Dragonland, dont il est le claviériste et l’arrangeur.
J’ai aussi relevé un peu plus de chant guttural que dans le premier album…
Les chansons de l’album sont un petit peu plus « dark » que celles de Monarchy, ce qui fait que le chant guttural s’y prêtait. Il y a un certain nombre de passages qui appellent ce genre d’énergie. Et cela s’est fait de façon très naturelle au fil de la composition, on n’avait rien prémédité.
Y a-t-il sinon des choses qui ont bien fonctionné dans Chapter I mais que tu n’as pas tenu à reprendre pour éviter tout risque de redite ?
Au niveau instrumental, beaucoup de choses ont changé : on aime toujours notre premier album, bien sûr, mais cette fois on s’est moins cantonnés au metal symphonique « traditionnel » pour s’engager dans une voie plus expérimentale, plus progressive. On a adopté une tonalité un peu plus sombre aussi. Mais surtout, ce qui nous tenait particulièrement à cœur, c’était de composer des morceaux qu’on aurait tous grand plaisir à jouer sur scène.
À l’époque de notre premier entretien, justement, Ad Infinitum n’avait pas encore pu présenter sa musique sur scène pour cause d’annulations des concerts. Depuis, avez-vous eu enfin l’occasion de vous produire devant un public ?
Oui, nous avons eu la chance de jouer dans deux festivals cet été. On a donné notre premier show en République tchèque devant plusieurs milliers de personnes — c’était vraiment impressionnant, on a adoré ! Sinon, on a deux tournées en préparation pour 2022, mais on ne peut pas trop s’avancer non plus, tout est encore plus ou moins en stand-by…
Chapter I: Monarchy parlait de la vie à la cour de Louis XIV, cette fois-ci tu t’es intéressée à une autre figure historique…
C’est vrai. L’album parle de Vlad Dracula, un personnage fascinant : pour certaines personnes, c’est un héros national, pour d’autres c’était surtout Vlad l’Empaleur, le tyran sanguinaire. Et pour d’autres encore, il incarne le personnage de vampire que tout le monde connaît. Par ses multiples facettes, il a représenté une source inépuisable d’inspiration pour nos paroles. Je dis bien pour les paroles et seulement pour les paroles, pas du tout pour la tonalité musicale des chansons.
Et quelle est la facette du personnage qui, toi, te séduit le plus : le personnage historique ou la figure du vampire qu’il a inspirée plus tard ?
Hum, bonne question…
J’imagine que tu as vu le film de Francis Ford Coppola de 1992, qui associait lui aussi le personnage historique et le vampire ?
Je dois dire que j’en ai vu beaucoup, et je ne suis pas sûre de bien me rappeler celui-là…
Gary Oldman joue le rôle du comte. Dans la scène d’ouverture, il porte une armure rouge et il part au combat contre l’envahisseur ottoman. À son retour, il découvre que sa fiancée s’est suicidée suite à une fausse nouvelle annonçant sa mort…
Oui, bien sûr, je l’ai vu ! Et quand Jonathan Harker lui rend visite, Dracula l’entretient longuement de l’Histoire de son pays, de sa famille… Ce film est très intéressant, il mêle effectivement les deux aspects, historique et fantastique, du personnage. Et pour en revenir à ta question, je n’arrive pas à décider vraiment quelle facette je préfère, même si je reconnais qu’évidemment le Dracula vampire, inspiré des légendes transylvaniennes et de superstitions, est une figure fascinante.
Selon les chansons, les points de vue changent, on n’entre pas que dans les pensées de Dracula. Qui sont les autres personnages qui parlent à travers ta voix ?
Dans la chanson Your Enemy, on entend le point de vue de Radu, le frère cadet de Vlad, qui est devenu son ennemi. Quand ils étaient encore enfants, ils furent tous deux envoyés par leur père à la cour de l’Empereur ottoman, à titre de garantie suite à une alliance politique. Plus tard, Vlad est revenu sur ses terres pour gouverner tandis que Radu, lui, a poursuivi sa vie avec les Turcs. Au gré des changements politiques et des alliances, ils se sont retrouvés dans des camps opposés. Ils sont ainsi devenus ennemis et se sont affrontés. Ce qui au final, pour nous, a donné une chanson très intéressante à écrire. Ailleurs dans l’album, il y a une autre chanson, Animals, que je rapprocherais du film Entretien avec un vampire et plonge sans détour dans le mythe autour de cette créature. Le texte adopte le point de vue d’une personne qui va être transformée en vampire, ou en tout cas qui souhaite être changée en vampire car elle recherche l’immortalité.
Tu t’es donc chargée des textes et, pour ce qui est de la musique, avez-vous travaillé collectivement, les quatre en studio, ou bien chacun a-t-il cherché des idées et composé de son côté ?
On n’a pas bloqué une semaine ou un mois en studio pour se consacrer à 100% à la composition. Nous avons beaucoup échangé via Internet, via WhatsApp, aussi chacun a participé de cette manière à la création de tous les titres. Certaines chansons sont parties de mes idées, d’autres de celles du batteur, ou du guitariste, du bassiste.
Concernant le line-up, j’ai relevé un changement. Qu’est devenu Jonas Asplind, votre premier bassiste ?
Jonas a depuis de nombreuses années des ennuis de santé, il a subi plusieurs opérations du genou. Pour lui, ce n’était pas évident de partir en tournée, de se retrouver sur la route, de transporter du matériel… Récemment, il a dû subir une quatrième opération et il a tenu à profiter au mieux de sa période de convalescence. Alors d’un commun accord, on a tous jugé préférable qu’il se préserve et reste en retrait.
Lorsque tu as monté Ad Inifintum, aurais-tu par hasard songé, même brièvement, à ne recruter que des musiciennes plutôt que des musiciens ? On entend de plus en plus de groupes de metal à 100% féminin, y compris dans ta propre maison de disques…
Non, je n’ai jamais envisagé le groupe sous cet angle-là. Je me suis mise en quête d’excellents instrumentistes qui avaient la même vision de la musique que moi, qui aiment jouer le même style de musique et qui sont de bons compagnons, sur la route comme en studio. Il n’y a jamais eu d’autres critères.
Il y a un duo dans le nouvel album, pour la chanson Afterlife, que tu interprètes avec Nils Molin, le chanteur d’Amaranthe. Le résultat me fait un peu penser à une chanson de comédie musicale. Serais-tu partante, un jour, pour tenir un rôle dans un spectacle de ce type ? Une comédie musicale metal, en outre, il ne doit pas y en avoir eu tant que ça…
(Rires) J’adorerais ! J’ai assisté à des représentations du Roi-Soleil, de Mozart, l’Opéra-rock, et j’ai trouvé ça fantastique. C’est un genre qui m’a toujours attirée. Franchement, si un jour l’occasion se présentait et que ça collait avec l’emploi du temps de mon groupe, j’adorerais tenter cette expérience.
Mon petit doigt m’a dit que la semaine dernière, tu es partie en déplacement avec le groupe pour un tournage de clip. Pourrais-tu nous en dire plus sur cette escapade ?
(Rires) Il était bien question d’un tournage, mais ça ne concernait pas Ad Infinitum, c’était avec Feuerschwanz.
Un groupe avec lequel tu as déjà collaboré. Ils font une musique tout de même très différente de la tienne, je trouve…
Oui, mais j’aime beaucoup leurs albums et j’apprécie aussi énormément les musiciens, tous des gens très gentils et pleins de talent. C’est notre deuxième collaboration et ça me plaît beaucoup de travailler avec eux.
Tu as en revanche officialisé cette année ton départ de Rage Of Light. Est-ce une séparation qui s’est faite sans heurts et en douceur ?
Oui, tout à fait. Mon travail avec Ad Infinitum a pris de plus en plus de mon temps, mais on n’a pas songé immédiatement à poursuivre chacun de son côté. Courant 2020, on a décidé de prendre les choses comme elles venaient, sans se mettre aucune pression, d’autant que les autres membres de Rage Of Light n’avaient pas non plus beaucoup de temps à consacrer au groupe, ils devaient eux aussi faire face à leurs propres impératifs, familiaux ou professionnels. Par conséquent, ralentir la cadence ne posait de problème à personne, on s’est dit qu’on n’allait pas enregistrer un second album tout de suite, plutôt un EP. Et puis, au début de cette année, la situation a évolué : Jonathan et Noé ont retrouvé de l’énergie, il a été à nouveau question de composer un album et de faire avancer ce projet rapidement. Pour moi, c’était compliqué : j’étais dans la préparation de Chapter II, et je ne pouvais rien faire avec eux avant 2022. Ils étaient de leur côté en pleine dynamique de création, avec plusieurs morceaux déjà composés, et je ne voulais pas me retrouver dans la position de les faire attendre.
Leur nouvelle chanteuse Martyna Halas, est-ce que tu la connais ?
Non, j’ai découvert son nom à son arrivée dans le groupe, lorsque Jonathan et Noé m’ont appris qu’ils avaient trouvé ma remplaçante.
Pour en conclure avec Chapter II, j’ai repéré très vite en fin de tracklist, le titre Lullaby, et s’agissant de la dernière piste de l’album, j’ai naïvement cru que ça allait être une reprise de la chanson de The Cure. Et en fait non, pas du tout…
(Rires) Non, rien à voir ! On n’est pas tellement versés dans les reprises, je dois dire, on aime jouer nos propres morceaux. C’est quelque chose que je fais en revanche avec mon autre groupe, The Dark Side of the Moon, que j’ai lancé cette année avec deux membres de Feuerschwanz et un autre d’Amaranthe.
En effet, j’ai vu passer le clip cet été, avec la reprise d’une chanson de la B.O. de Game of Thrones. The Dark Side of the Moon est-il un groupe appelé à durer ou bien est-ce pour l’instant une simple parenthèse récréative entre amis ?
On a prévu de sortir un album et de monter sur scène, mais on n’envisage pas des tournées immenses, c’est entendu. Quelques festivals, un concert ici ou là…
Je vais pour finir te soumettre les deux mêmes questions que je t’ai posées l’an dernier. Tout d’abord, quel est le dernier album que tu as découvert ?
Hum… le dernier album de Billie Eilish. Pas très metal, je reconnais.
Et quel est le dernier album que tu as adoré de la première à la dernière note ?
(Rires) Oh la la, je n’étais pas prête pour ce genre de question ! C’était le dernier album de… (temps de réflexion et suspense) — le dernier album d’Ariana Grande ! Pas très metal non plus, tu vois (rires) !
Simplement parce qu’en fait, tu es ouverte à tout type de musique…
Exactement. Metal ou pas, tout peut m’intéresser du moment que c’est bien fait, qu’on sent qu’il y a eu du travail derrière, de l’inspiration… Dans ces cas-là, impossible de faire le tour d’un album et de s’en lasser au bout de trois écoutes !
Propos recueillis en octobre 2021. Remerciements à Magali Besson (Sounds Like Hell Productions) et à Lisa Gratzke (Napalm Records Berlin).
Sortie de l’album Chapter II : Legacy le 29 octobre 2021.