Au palmarès des exploits musicaux de 2024, il ne faut pas oublier d’inscrire Dominum ! Le groupe allemand a fait une entrée remarquée sur la scène metal européenne, enchaînant les concerts tout au long de l’année. Et voici qu’arrive déjà un second album, The Dead Don’t Die, un an pile après la sortie du très apprécié Hey Living People. Felix Heldt, alias Dr Dead, officie toujours en maître de cérémonie diabolique et grandiloquent.
Khimaira : Bonjour, Felix. Je suis ravi de te retrouver après notre premier entretien. Comme l’an dernier, Dominum sort un album fin décembre, et comme l’an dernier il sera disponible juste après Noël. C’est un peu vache, comme timing, pas moyen de le trouver le 25 sous le sapin !
Felix Heldt : (Rires) C’est tout à fait exact ! Mais on a pensé à inclure Jésus dans l’album, ce coup-ci, alors l’Esprit sain sera avec nous quand même !
D’après ce que j’ai pu observer depuis mon coin, le groupe et toi avez vécu une sacrée année 2024. On dirait que le public vous a tout de suite adoptés ! Quel bilan pourrais-tu faire de cette première année d’existence de Dominum ?
Ça a été une année de folie pour nous, tu as tout à fait raison. On a joué sur plein de scènes un peu partout, y compris avec des invités de renom comme Bruce Dickinson [d’Iron Maiden — NdR], avec Avantasia, etc. J’aurais du mal à en faire la liste complète ! On a beaucoup voyagé, fait la connaissance d’une foule de gens charmants… On est vraiment reconnaissants d’avoir reçu un tel accueil. Et tous ces concerts qu’on a donnés nous ont permis de mieux nous connaître nous-mêmes, de prendre la mesure de ce qu’on est capables de faire.
Et ce second album arrive un an à peine après le premier. Sachant que vous avez beaucoup tourné, c’est vraiment rapide !
On a été tout le temps entre deux scènes, oui, mais on n’a pas cessé d’écrire ! Sinon, en effet, jamais on n’aurait pu sortir le deuxième album cette année. On a même enregistré alors qu’on était sur la route, figure-toi : j’utilise un dispositif d’enregistrement très compact que je trimballe toujours avec nous, ce qui fait qu’il est très facile d’expérimenter des idées au fil de l’inspiration, y compris en déplacement. On a pu ainsi enregistrer des démos, qu’on a retravaillées ensuite en studio. Et franchement, jamais on n’aurait sorti si vite ce nouvel album sans être certains d’avoir composé des morceaux qui tiennent la route. Pas question de bâcler le job juste pour sortir un album rapidement.
J’ai vraiment beaucoup aimé le premier album, entre autres parce que c’est un disque homogène, cohérent, avec des morceaux qui ont chacun leur identité tout en s’intégrant parfaitement dans la tracklist. Vous avez vous-mêmes placé la barre assez haut, je trouve, dans l’optique du second album…
Je reconnais aussi que la composition d’un second album implique beaucoup de pression. Le succès était au rendez-vous du premier, les gens ont beaucoup parlé de nous, on a bien compris qu’il y aurait une certaine attente du public. Et pour le premier, on avait pris tout notre temps, justement : si un morceau ne me convenait pas, je pouvais le réécrire cent fois, il n’y avait aucun délai à tenir. Mais cette fois-ci, le contexte était très différent, un peu plus stressant, avec la crainte de ne pas être capable de proposer de nouvelles chansons qui plaisent. J’ai un très bon ami qui m’a dit que sortir un premier album ou un premier single qui casse la baraque, c’était une des pires choses qui puissent arriver à un musicien, et je suis tout à fait d’accord ! Parce qu’après, il faut se montrer à la hauteur de ce qu’on a fait. Maintenant, attention, je ne suis pas en train de dire que Hey Living People tenait du génie, soyons clairs. Simplement, on était tous les quatre très satisfaits de ce qu’on avait réalisé, et on a été tout de suite partants pour essayer de réitérer l’expérience.
En tous cas, le thème ne change pas, tu es toujours le Dr Dead accompagné de ses musiciens zombies. Mais j’ai remarqué que dans le clip de We Are Forlorn, un mort-vivant de la bande disparaît pour renaître sous une autre forme. Cela dit, c’est toujours la même personne derrière le masque, n’est-ce pas ?
Oui, bien sûr, les musiciens sont toujours les mêmes ! On n’a pas juste changé le masque pour donner dans la fausse nouveauté, avec l’air de dire « Regardez, on est de retour avec de nouveaux masques ! ». Ça participe de notre envie de raconter une histoire, avec des zombies qui se transforment, qui renaissent sous une autre forme, comme tu dis. Et puis le nouvel aspect colle un peu mieux à nos intentions de départ, avec un look plus sombre et macabre. On ne connaissait presque rien des masques et des effets spéciaux de maquillage quand on a lancé le groupe, on était dans l’expérimentation la plus totale ! Et notre premier jeu de masques a beaucoup souffert lors de nos tournées : après soixante concerts, ils étaient devenus limite impossibles à porter, ils partaient en morceaux ! Pour pouvoir poursuivre, il a fallu améliorer leur look autant que leur fonctionnalité.
Tu as l’air de t’amuser beaucoup dans les clips, c’est une occasion pour toi de jouer la comédie, de porter des costumes, de faire des grimaces, le tout dans des décors d’horreur gothique à l’ancienne. Était-ce une de tes motivations à la création de Dominum ?
Non non, pas du tout. Je suis chanteur et musicien, mais certainement pas comédien. Ce qui fait que ça n’a pas été facile, d’ailleurs, d’élaborer la personnage du Dr Dead. J’ai fait pas mal d’essais pour voir ce qui fonctionnait, pas seulement dans les vidéos mais aussi sur scène : entre les chansons, je m’adresse beaucoup au public, et il faut que ça ait l’air naturel. Donc voilà, je fais des essais, je vois ce qui fonctionne ou pas, je prends des conseils auprès de mes amis… Et je dois dire que le Dr Dead n’est pas non plus à 100 % un rôle de composition, il correspond à une facette de ma personnalité. Et je ne peux pas te donner tort : c’est très amusant de sauter dans ce rôle, même si ce n’était pas mon but premier en créant Dominum. L’essentiel pour moi, c’est avant tout la musique.
Tu parlais de Jésus et de l’Esprit sain au début de notre conversation, alors j’en viens au clip de One Of Us où on tombe sur une version toute particulière du Christ. Dis-nous-en un peu plus sur cette chanson et sur cette vidéo…
(Rires) C’est une juste une petite plaisanterie blasphématoire qui consiste à dire que Jésus n’est autre que le tout premier mort-vivant sur Terre : il est mort puis est revenu à la vie, ce qui, dans les faits, correspond à notre définition actuelle du zombie. On n’a pas fait ça non plus pour choquer les gens, c’est juste une blague à la noix ! Et puis quand même, que sait-on réellement de Jésus et des histoires qu’on lit dans la Bible ? Au départ, il n’y rien eu d’écrit, c’était juste des récits qui se sont transmis de bouche à oreille… On n’a peut-être pas tout faux avec notre histoire !
Comment débute la composition d’une chanson pour toi ? Pars-tu d’un thème, d’un personnage, ou bien est-ce la mélodie qui te vient en premier ?
C’est la mélodie. Une fois que je la tiens, j’essaie de l’associer à des paroles qui me sont venues et que j’ai gardées sur mon téléphone — un titre, une phrase accrocheuse, etc. Et les paroles complètes n’arrivent qu’en dernier lieu. C’est vraiment comme ça que je fonctionne, en mettant d’abord le doigt sur une mélodie. Il y a bien une ou deux exceptions, comme pour One Of Us, que j’ai écrite avec Ben, mon guitariste : un jour, il me suggère d’écrire une chanson sur Jésus, qui serait « l’un des nôtres » car ce serait un zombie. J’ai trouvé ça cool, comme idée. Et donc, dans ce cas précis, l’idée est partie du personnage.
Dans l’album, y a-t-il eu une ou deux chansons qui ont été un peu plus compliquées que les autres à composer ou à enregistrer ?
We Are Forlorn m’a un peu rendu zinzin à finaliser car elle est très différente des autres. Je l’ai écrite en collaboration avec Till Grohe du groupe Saltatio Mortis. Avec lui, je suis parti dans des directions que je n’aurais jamais prises seul, qui n’allaient pas dans le sens de mes intuitions personnelles de musicien. Bon, ça n’a pas été si ardu non plus, mais on était dans une démarche très expérimentale et il a fallu que j’adopte un état d’esprit un peu différent de ce dont j’ai l’habitude. Killed By Death, également, n’a pas été simple à composer : on a enregistré une tonne de riffs de guitare pour ce morceau, et ça été compliqué de les caser dans la version finale de la chanson. Il a fallu laisser le morceau de côté pendant un temps, quelques semaines, et puis y revenir avec des idées neuves.
Il y a aussi une reprise dans l’album, Rock You Like A Hurricane, un titre de Scorpions de 1984 que Dominum a déjà jouée en concert cette année. La chanson a 40 ans, le groupe 60 ! J’imagine que Scorpions est un groupe très cher au cœur des Allemands…
Oui, comme tu dis, la chanson est sortie il y a 40 ans, et on s’est dit que ce serait sympa de faire ce petit cadeau d’anniversaire à Scorpions. C’est une reprise-hommage qu’ils n’ont peut-être même pas encore écoutée… Scorpions, c’est un groupe à l’image de Metallica ou Iron Maiden, ils font partie de ceux qui ont bâti les fondations sur lesquelles nous construisons nos petites maisons. Si ces gens n’avaient pas été là, tout serait sûrement très différent aujourd’hui.
Tu as mené d’autres activités dans le monde de la musique, en tant que producteur notamment. Est-ce encore le cas aujourd’hui ou bien est-ce que Dominum t’accapare beaucoup trop ?
Oui, c’est encore le cas, mais ça devient tendu : Dominum me prend désormais beaucoup de temps, de plus en plus, et si je veux faire les choses correctement je ne peux plus accepter de produire autant qu’avant. Pas mal de groupes me sollicitent, et je dois souvent décliner leurs propositions. À mon grand regret car j’adore le travail de producteur.
Au passage, en préparant cet entretien, j’ai remarqué que l’un de tes musiciens dans Dominum joue également pour Melissa Bonny et son groupe Ad Infinitum — c’est un spécialiste des groupes rock avec un nom latin ! Pour un groupe comme pour l’autre, ce n’est pas un peu compliqué de s’organiser en se partageant un musicien ?
C’est marrant, ce que tu dis, parce qu’à Dominum on a tout fait pour garder secrète l’identité des musiciens ! Je suis curieux de savoir comment tu es tombé là-dessus ?
Ça ne m’a pas pris plus de trente secondes, le nom est tout de suite sorti. J’ai consulté Metal Archives. Je ne sais pas comment ils font, mais ils savent tout…
Oui, c’est complètement fou ! Pas plus tard qu’il y a deux semaines, nous étions en tournée, à bord du car, et quelqu’un m’a suggéré d’aller sur Metal Archives voir ce qu’on y disait sur Dominum. Franchement, je connaissais pas ce site, et je me suis rendu compte qu’ils étaient en effet super bien renseignés ! Bon, tant pis pour le secret, ce n’est pas bien grave… Pour répondre à ta question, se partager un musicien, forcément ce n’est pas l’idéal. Mais même si on n’est plus des petits jeunes et qu’on a tous nos vies à mener, on peut tout de même trouver à s’arranger et faire en sorte que ça roule. Et Ad Infinitum est un super groupe, je le dis au passage !
La prochaine étape de Dominum vers la conquête de la scène metal européenne, ce sera quoi ?
Ce sera dès le 26 décembre, la veille de la sortie de l’album ! Nous partons pour une tournée en tête d’affiche, ce qui est nouveau pour nous. Et cette tournée sera d’ampleur, avec une longue liste de dates qui est encore en train de s’allonger au moment où je parle. Certains concerts ne sont pas encore annoncés, mais ça ne devrait pas tarder. Sans compter nos passages dans plusieurs festivals. On va être très, très occupés en 2025 !
Idéalement, dans quelle salle adorerais-tu aller donner un concert ?
Je ne suis pas tellement attaché à l’idée de jouer dans telle ou telle salle. D’autant que certaines ne paient pas de mine mais on y passe un soirée incroyable. Le Trabendo à Paris, par exemple : c’est tout petit, vraiment minuscule, on a eu du mal à y installer tout notre matériel. Mais au final, quelle soirée et quel public ! C’était complètement dingue ! Je garde aussi un souvenir particulier de notre passage à l’O2 Shepherd’s Bush, à Londres. On y a joué en première partie de Peyton Parrish. Une très, très belle salle, avec des galeries en hauteur où une partie du public va s’installer. C’est impressionnant : tu lèves les yeux et du sol jusqu’au plafond tu vois des gens ! Je connaissais déjà l’endroit pour être allé y voir Jamie Cullum il y a deux ans. Et voilà qu’un an plus tard, c’est moi qui me suis retrouvé sur scène. Un souvenir fantastique ! J’adorerais retourner jouer là-bas.
Je vois que l’heure tourne et notre conversation touche à sa fin. On se revoit dans un an pour le troisième album ?
(Rires) Ha ha, je n’en sais rien, mais avec un peu de chance, pourquoi pas ! À la prochaine, en tout cas !
Propos recueillis en décembre 2024. Remerciements à Anaïs Montigny (SLH Agency, Lyon) et à Lukas Frank (Napalm Records Berlin).
Sortie de l’album The Dead Don’t Die le 27 décembre 2024.