Cette année 2024 aura été une période faste pour les lecteurs francophones de Lovecraft, plusieurs éditeurs de l’Hexagone ayant mis l’auteur américain à l’honneur. Fin août, les Humanoïdes Associés ont ouvert le bal en lui consacrant le numéro 12 de Métal Hurlant, suivis en octobre par la vénérable maison Gallimard, qui lui a fait une place dans la collection prestigieuse de La Pléiade. Et voici enfin, chez Bragelonne, une nouvelle édition grand format, illustrée par François Baranger, d’un récit célèbre d’HPL. Après L’Appel de Cthulhu puis Les Montagnes hallucinées et L’Abomination de Dunwich, F. Baranger a réactivé sa palette graphique pour mettre en images The Shadow Over Innsmouth, récit écrit en 1931 et paru pour la première fois cinq ans plus tard aux États-Unis.
Intitulée Le Cauchemar d’Innsmouth dans sa première édition française, la nouvelle a pour héros le dénommé Robert Olmstead, féru d’histoire ancienne, qui, en parcourant les territoires de la Nouvelle-Angleterre, choisit de faire un crochet par une mystérieuse bourgade côtière, Innsmouth. Un sombre patelin, aux rues empuanties par « la plus insoutenable odeur de poisson qui se puisse imaginer » (ah ! les superlatifs de Lovecraft !), et qui s’avérera occupé par une effrayante population d’êtres mi-humains, mi-créatures aquatiques, aux horribles faciès, fruits d’une hybridation entre les premiers habitants de la ville et de répugnantes entités marines…
L’Ombre sur Innsmouth a fait l’objet d’une adaptation en BD par Go Tanabe, en 2021 (éditée en France par Koon), et rappelons aussi que la nouvelle a été portée à l’écran avec succès par Stuart Gordon en 2001 (sous le titre Dagon). Comme pour les précédentes éditions illustrées par François Baranger, les images, ou plutôt les tableaux, sont la raison d’être de l’ouvrage. Les visuels sont donc reproduits en pleine page, et le texte intégral de Lovecraft apparaît en surimpression. La plongée dans l’atmosphère lugubre est exquise, à moins d’être réticent face à l’utilisation du numérique : comme indiqué plus haut, Baranger travaille ici exclusivement à la palette graphique, et l’on peut concevoir que la méthode déplaise à quelques puristes attachés aux encres ou aux pinceaux, plus traditionnels. Mais l’artiste maîtrise son outil à la perfection, et il faudrait faire sacrément la fine bouche pour ne pas reconnaître son talent à faire surgir sous nos yeux des décors splendides, fourmillants de détails. La riche profondeur des paysages, naturels comme urbains, les effets de brume, d’ombres, de lumières sont magnifiques. Et bien entendu en parfait accord avec la prose. Comptant désormais quatre illustrations à son actif, François Baranger ne va pas s’arrêter là et projette d’en réaliser encore au moins autant. L’ensemble achevé constituera une indispensable collection.
En librairie depuis le 16 octobre 2024.