Dans chaque numéro de Métal Hurlant, le mystérieux Otto Maddox nous gratifie de ses notules thématiques rétrospectives. Ce trimestre, c’est le cinéma qui est à l’honneur avec un florilège de « films de l’inquiétude ». Au programme, une vingtaine de titres de genres et de styles différents, disséminés au fil des pages et ayant donc pour qualité et point commun de rendre le spectateur inquiet. Dans le lot, plusieurs films célèbres qui ont le talent de nous plonger dans un délectable inconfort : L’Invasion des profanateurs (de Philip Kaufman), éminemment paranoiaque, The Thing (de John Carpenter), au sujet semblable à celui de Kaufman, Blue Velvet de Lynch, They Live (encore de Carpenter), etc. Mais la sélection propose aussi des longs métrages dont on parle moins souvent et qu’on a soudain envie de (re)découvrir. On n’en dira pas plus, allez donc voir. En bonus, signalons quand même une fameuse série tv, Les Envahisseurs, pas nécessairement connue des plus jeunes. Où l’infortuné héros, David Vincent, « à la recherche d’un raccourci que jamais il ne trouva », accède par hasard au statut pas forcément enviable de seule personne au monde à avoir la révélation d’une invasion extraterrestre rampante et sournoise…
Sinon, Métal, c’est tout de même, pour l’essentiel, des bandes dessinées. Une seule série de planches « vintage », L’Homme au téléphone (de J.-P. Dionnet et Frank Margerin), parue à l’origine en 1977. Le scénario est délicieusement désuet, il raconte l’histoire d’un type pouvant sortir un téléphone de son sac pour passer des appels en pleine rue (c’est fou, cette histoire !). Autrement, les créations sont à 100% originales, avec pour thème central le « grain de sable dans la mécanique », quand un détail suffit à vous faire sentir que la réalité, d’un coup, se dérobe et vous fait basculer dans un monde qui n’est plus le vôtre. Du point de vue du lecteur, l’idée est assez excitante, vertigineuse. Pour les personnages des BD, c’est une autre paire de manches. La fin du monde est plusieurs fois à l’ordre du jour, advenant selon diverses modalités (Tombés du ciel d’Harry Bozino et Sagar, Une Petite Fin du monde de Fabrizio Dori, Touplitou et ses amis de Thomas Bidault…). On y aborde aussi la question de la fin de vie (voire du début de la mort, Comme dans un rêve de Théa Rojzman et Sandrine Revel). Scénarios et coups de crayons sont parfois drôles, souvent intrigants. Et ils sont toujours inquiétants. C’est l’effet irrévocable de la mécanique du grain de sable.
En librairie et en kiosques depuis le 21 février 2024. Ce numéro 10 de Métal s’amuse aussi à réfléchir sur l’étonnant phénomène spontané connu sous l’appellation « Barbenheimer », survenu en juillet-août derniers avec la sortie simultanée de Barbie et d’Oppenheimer. Deux films qui n’ont rien à voir l’un avec l’autre mais qu’il fallait soudain avoir vus, l’un comme l’autre, au risque de passer à côté de l’événement ciné de l’été… Rendez-vous pages 70 à 73, où article d’analyse et interview décortiquent la question.