Effroi et stupeur au pensionnat : Richard, un des jeunes comédiens les plus prometteurs du prestigieux conservatoire Dellecher, est retrouvé mort un matin d’automne sur la berge du lac voisin. La police conclut à une chute accidentelle du ponton après un excès d’alcool. Ce que les flics ne savent pas, c’est que Richard respirait encore quand ses meilleurs amis l’ont trouvé allongé dans dix centimètres d’eau, et qu’ils ont choisi de le laisser crever…
C’est une immersion dans un univers bien particulier, celui des étudiants en Art dramatique. Un petit monde en vase clos, une bulle hors du monde où les apprentis comédiens travaillent leur jeu et leur égo, tout en saturant littéralement leur esprit de prose et de vers shakespeariens. Car au conservatoire Dellecher, on n’étudie que Shakespeare, on ne joue que Shakespeare, au point qu’après quatre ans d’études, les meilleurs élèves, si ça leur chante, sont capables de tenir des conversations entières en ne prononçant que des citations des pièces du grand Bill. Au nombre de sept (en comptant le mort), les personnages principaux sont des étudiants en quatrième et dernière année. Un cercle d’intimes, et le conservatoire est leur petit royaume. Ils ont laissé mourir l’un des leurs pour les mêmes raisons que les conjurés ont assassiné Jules César, parce qu’il glissait doucement mais sûrement vers une position de tyran au sein du groupe.
Un temps d’adaptation est nécessaire pour s’accoutumer aux étranges mœurs de cette petite bande : tous caviardent leurs conversations de citations théâtrales (identifiables aux caractères en italique dans les dialogues), et c’est un peu énervant, c’est comme se retrouver assis à prendre un verre en compagnie d’inconnus qui, à tout bout de champ, s’autoriseraient à jargonner entre eux (et le titre lui-même, « si nous étions des méchants », est tiré du Roi Lear). La jeune romancière (c’est son premier ouvrage) s’est sans doute fait plaisir en s’immergeant par l’écriture dans une dimension littéraire qu’elle connaît fort bien, étant titulaire d’un Master d’études shakespeariennes décroché au King’s College de Londres. Mais passé les cent premières pages (oui, tout de même, mais il faut dire que l’intrigue met aussi du temps à s’installer), on en vient à prendre en sympathie les jeunes héros, surtout Oliver, le narrateur, abonné aux rôles secondaires, sur les planches comme au sein de son groupe de friends. Le roman débute par une prolepse, Oliver sortant d’une peine de dix ans de détention pour le meurtre de son pote autoritaire Richard. Dès l’incipit, on sait que le jeune gars est innocent, et on se demande à la suite de quelles péripéties il s’est retrouvé en si mauvaise posture. Un intérêt doublé d’autres questions : qu’est-il réellement arrivé à Richard ? et comment la bande de six étudiants va-t-elle supporter de garder le lourd secret de la mort de leur « ami » ? Un bon bouquin, qui sort un peu des clous de notre ligne éditoriale, c’est vrai, même si les vieilles boiseries de l’auguste conservatoire constituent un décor idéal pour un mystère criminel dans la grande tradition du roman gothique. Disponible en exemplaire broché ainsi qu’en édition reliée, celle que nous a fait parvenir l’éditeur, fort jolie avec sa couverture épaisse cartonnée et sa tranche aux motifs floraux.
En librairie depuis le 4 octobre 2023.