Francesco Trifogli et Andrea Celestini sont très joueurs : publié en France le mois dernier chez Graph Zeppelin, le tome 1 de leur péplum Thrace (lire ici notre chronique) se voit maintenant accompagné d’une version alternative, éditée cette fois par Tabou. De quoi s’agit-il ? De la même bande dessinée, exactement, tout aussi prenante, instructive et brutale, à ceci près qu’un certain nombre de planches se substituent à d’autres (ou bien viennent s’intercaler) pour apporter un cachet érotique, absent de la première édition « tout public ». On ne peut s’empêcher de penser à la démarche sujette à discussion du producteur Bob Guccione, également patron de la revue de charme Penthouse, qui tourna plusieurs minutes de plans hard pour en caviarder le montage, pourtant déjà bien salé, du fameux Caligula (1979) de Tinto Brass. Mais le cas présent n’a rien à voir, Trif et son coloriste Celestini étant les seuls maîtres à bord.
Loin de tomber dans la gratuité salace, le nouvel éclairage permet de lever des questions qu’on pouvait se poser à la lecture de la première version (au début de l’histoire, pourquoi Cleio, le héros alors adolescent, inflige-t-il une balafre à l’oncle Quintus ?). Et surtout, il s’inscrit dans une démarche documentaire assez semblable : les Romains, il y a 2000 ans, on le sait bien, affichaient sans détour leur goût prononcé pour les plaisirs charnels, comme en témoignent notamment les fresques érotiques mises au jour à Pompéi, décorant les murs des bordels antiques aussi bien que ceux des demeures bourgeoises. Mais on n’est pas non plus au courant de tous les détails, et les auteurs s’emploient à combler nos lacunes. Ainsi saviez-vous, par exemple, que les matrones patriciennes s’offraient à domicile les services de gladiateurs ? Dans le secret des péristyles, en l’absence des maris, les orgies allaient bon train avec le rétiaire et le mirmillon, c’est ce qu’on découvre en même temps qu’Adriana, l’héroïne féminine de l’histoire, dont on a aussi une version rallongée, « uncut », de la nuit de noces avec l’esclave de son mari.
On peut tourner les pages des deux albums simultanément et s’amuser des détours que prend l’édition érotique, laquelle, répétons-le, poursuit une ambition de récit historique et n’a pas la vocation systématique de se montrer émoustillante (bon, tout bien pensé, on peut quand même nourrir des doutes sur la véracité de ces partouzes avec gladiateurs). Vous pouvez donc acheter les deux albums pour comparer et ensuite offrir la version chaste à vos (grands) enfants ou vos neveux… mais ne vous trompez pas de volume au moment de l’emballer dans le papier cadeau !
Dans votre librairie préférée le 12 avril 2023. L’édition numérique est déjà disponible sur le site de l’éditeur.