Fantastique et commentaire social vont de pair dans The Nocebo Effect, le second long métrage de Lorcan Finnegan, où l’horreur tient moins du surnaturel que des pratiques de l’industrie de la confection textile. De l’épouvante engagée dont nous avons parlé avec le réalisateur au dernier Festival de Gérardmer. The Nocebo Effect sort le 8 mars en DVD, blu-ray et VOD.
Khimaira : Nous nous sommes rencontrés une première fois il y a trois ans, à la sortie de Vivarium, et à l’époque vous parliez déjà de The Nocebo Effect, en l’annonçant comme votre projet à venir. Vous n’avez pas dévié de votre route…
Lorcan Finnegan : En effet, c’était déjà dans mon intention de tourner ce film à la suite de Vivarium. Je n’ai pas pour habitude d’annoncer des projets dans lesquels je n’ai pas envie de m’impliquer à 100%, jusqu’au bout. Mais ça n’a pas été évident de le concrétiser, d’abord à cause de la pandémie et de tout ce qu’elle a impliqué, et aussi parce que le financement n’a pas été simple à monter. À l’origine du scénario, il y avait une envie de faire une critique du monde de la mode, sous l’angle de ce qu’on appelle la « mode jetable ». Ensuite est venue se greffer la question médicale des placebos et des nocebos, un intérêt que je partage avec le scénariste du film, Garrett Shanley. Nous avons lu un livre consacré au sujet intitulé Placebo, Nocebo and the Mind-Body Connection. Un ouvrage très universitaire dans son approche du sujet, et qui explique comment l’esprit et le corps sont liés, à tel point que l’esprit peut soit aider le corps à guérir, soit au contraire le rendre malade, jusqu’à carrément provoquer la mort.
Un concept médical qu’on retrouve dans les pratiques de médecine traditionnelle dépeintes dans le film…
Oui, cette relation étroite entre corps et esprit est au cœur de la conception de la médecine qu’a le chamanisme : bien avant l’invention des médicaments que l’on connaît aujourd’hui, les gens allaient voir les chamans pour qu’ils les guérissent ou éliminent les mauvais sorts. On retrouve ce type de personnes dans l’histoire préchrétienne de l’Irlande, une période païenne où officiaient des femmes de pouvoir appelées « les sages », et que plus tard on appellera plutôt des sorcières. Nous avons trouvé très intéressant d’apprendre comment des femmes comme celles-là se sont retrouvées peu à peu marginalisées par le Christianisme ou, plus tard, dans d’autres régions du monde, par les campagnes de colonisation britanniques ou espagnoles. C’est notamment ce qui s’est produit aux Philippines, un pays constitué de milliers d’îles où subsiste encore aujourd’hui une forte tradition de médecine pratiquée par des guérisseurs.
Est-ce que vous vous êtes rendus sur place pour vous documenter pendant l’écriture ?
Oui, et en particulier sur l’île de Cebu, un lieu très célèbre pour ce genre de pratiques. Nous avons rencontré des sorciers et des guérisseurs, des gens avec qui nous avons comparé l’histoire de notre folklore et la leur. Nous avons bien compris le lien entre l’éradication du chamanisme et l’avènement de l’impérialisme occidental et du capitalisme. Et ce séjour aux Philippines nous a aussi permis de prendre contact avec la société locale de production qui a cofinancé le film.
Donc tout ce qu’on voit dans Nocebo en matière de pratiques traditionnelles est authentique ?
Absolument. Tout ce qui, dans le film, a trait au chamanisme et à la sorcellerie des Philippines est authentique. Le film est actuellement à l’affiche là-bas, et il est bien accueilli par le public qui trouve le scénario très documenté. On s’est montrés très scrupuleux à cet égard. Nous avons fait lire le script à un chaman pour qu’il nous donne son approbation quant à notre manière de mettre en scène les rituels traditionnels. Tous les objets et accessoires qu’on voit manipulés à l’écran viennent également de là-bas.
Dans le film, c’est le personnage principal, joué par Eva Green, qui suit un traitement à base de médecine traditionnelle. Eva Green est une actrice que je trouve très physique dans ses compositions. Je me souviens notamment d’elle dans des séquences très intenses de possession dans la série Penny Dreadful. Est-ce cet aspect de son jeu qui vous a intéressé quand vous avez fait appel à elle ?
C’est une comédienne que je trouve vraiment brillante. J’avais besoin de quelqu’un qui, comme elle, puisse se montrer à son avantage — belle, vive et élégante — et l’instant d’après se montrer convaincante lorsque son personnage souffre énormément. Alors en effet, l’aspect physique du rôle était primordial. Eva a parfaitement intégré cette exigence du scénario. Elle avait vu Vivarium, qu’elle a beaucoup aimé, et elle s’est impliquée à fond pour aboutir à ce que j’attendais.
Pour le spectateur, il n’est pas évident de choisir son camp entre les deux personnages féminins, entre Christine, jouée par Eva Green, et Diana, la guérisseuse qui s’occupe d’elle et qui est en fait son ennemie : elles paraissent l’une et l’autre sympathique, et elles se rendent aussi coupables, l’une comme l’autre, d’agissements néfastes… C’est un beau duel !
Christine est en quelque sorte le produit de notre culture : elle a beaucoup d’argent et préfère détourner le regard quand il s’agit d’affronter les conséquences des actes qui l’ont menée au succès. Néanmoins ces choses pèsent sur sa conscience, et elle développe une maladie aux symptômes très lourds qu’on pourrait comparer à la maladie de Lyme — d’où l’image récurrente de la tique dans le film et les difficultés qu’ont les médecins à diagnostiquer son mal. Et de l’autre côté il y a Diana, avec un air faussement inoffensif, qui joue avec les idées préconçues de ses employeurs occidentaux concernant son statut de petite nounou immigrée des Philippines. Dans le rôle, j’aime beaucoup la façon de jouer de Chai Fonacier, qui passe d’une attitude plus ou moins menaçante à une apparence totalement douce et gentille simplement grâce à son grand sourire. Ce qui fait qu’on a longtemps du mal à cerner son personnage.
Avez-vous un plan ou une scène préférée dans le film ?
La séquence dans la chambre de Diana, où s’opposent Chai Fonacier et Mark Strong. Elle est toute petite, lui très grand, au début ils sont dans un rapport évident de dominant à dominé. Et puis, progressivement, le rapport de force s’inverse et elle réussit à le faire partir. J’aime beaucoup cette scène.
J’aimerais qu’on revienne sur le propos du film concernant la « mode jetable » : pourquoi ce thème vous tenait-il particulièrement à cœur ?
Dans notre monde actuel, toutes les grandes rues commerçantes des villes se ressemblent : où qu’on soit, on retrouve exactement les mêmes enseignes, comme Zara et plein d’autres. Et tous ces magasins ont pour politique de proposer des vêtements très bon marché. Pour maintenir ces prix bas et garantir leurs marges, ils sont obligés de réduire toujours plus leurs coûts de fabrication, ce qui fait qu’à l’autre bout de la chaîne il y a des gens qui souffrent. De notre côté, on n’a pas besoin de savoir tout ça : ce qui compte, c’est qu’on puisse entrer dans un magasin, acheter quelques articles pour pas grand-chose et ressortir de là avec un sac plein de fringues en se félicitant de notre pouvoir d’achat. On est dans l’illusion complète, c’est un cas manifeste de dissonance cognitive où on refuse de prendre en compte la réalité de la chaîne de production qui fait qu’on peut se payer ces vêtements pour si peu d’argent. Et la réalité, c’est que des gens triment et souffrent dans des ateliers de confection à l’autre bout du monde.
Vous avez dit avoir rencontré d’authentiques guérisseurs et chamans aux Philippines. À l’opposé, avez-vous aussi interrogé des professionnels de la mode impliqués dans ce système ?
Oui, bien sûr. Aux Philippines, nous sommes aussi allés voir des endroits où sont installés les ateliers de confection. C’est un monde à part, très étrange, avec des quartiers entiers consacrés à cette activité et qui fonctionnent avec leurs propres lois, un peu comme à l’intérieur des ambassades en territoire étranger. Et en Occident, les gens qui travaillent dans ce secteur sont employés par de très grosses sociétés, ce qui fait qu’ils ne se sentent jamais responsables de rien : un designer qui réussit à vendre ses concepts et ses idées n’aura jamais envie d’aller enquêter pour trouver où exactement les articles sont confectionnés. Mais on peut être sûr d’une chose, et il n’y a qu’à lire les étiquettes : les vêtements en provenance des Philippines, d’Inde, du Vietnam, de Chine… sortent d’ateliers qui rémunèrent très peu leurs employés. Les gens qui, chez nous, bossent dans ce système en sont conscients.
Et ils préfèrent regarder ailleurs…
Exactement. C’est juste du business. Un business comme un autre.
Propos recueillis en janvier 2023 au 30e Festival du Film fantastique de Gérardmer. Un très grand merci à Valentina Eid Clavel (The Jokers Films) et Zvi David Fajol (Mensch Agency) pour l’organisation de cet entretien.
Photo de Lorcan Finnegan © Pascal Gavoille
Retrouvez notre chronique de The Nocebo Effect dans le compte rendu du 30e Festival du Film fantastique de Gérardmer.