Les Finlandais de Brymir trouvèrent le nom de leur groupe en associant Ymir (le dieu de la mythologie nordique dont la chair servit de matière à la création du monde) et Brimir, un estaminet où la bière coulera à flot lorsque les âme des braves y seront admises après Ragnarök — l’Apocalypse. On a rencontré la voix de Brymir Viktor Gullichsen, mais sans discuter de la fin des temps ni de chopes vidées cul sec dans l’au-delà. Le sujet de la conversation, c’était Voices In The Sky, le nouvel et quatrième album de la formation de death metal épique. Sortie le 26 août 2022 chez Napalm Records.
Khimaira : On fait souvent état des différentes branches de la musique metal. Le crédo de Brymir, c’est le death metal, un style très largement représenté aujourd’hui. Pourrais-tu nous expliquer en quelques mots ce qui fait la spécificité de ton groupe ?
Viktor Gullichsen : Je dirais qu’on a une approche du genre plus diversifiée que la plupart des autres. On va chercher des éléments empruntés au black metal, d’autres au power metal, etc. pour créer un assemblage bien à nous. Et puis notre originalité tient aussi à nos concerts : il est très important pour nous d’accomplir des prestations live pleines d’humour et d’énergie. On prend notre travail musical au sérieux, mais il faut aussi qu’on s’amuse en le faisant, notamment sur scène.
Votre album précédent, c’était Wings of Fire, qui a recueilli d’excellentes critiques à sa sortie en 2019. Est-ce que vous vous êtes mis la pression pour composer un nouvel album qui soit au moins aussi bon ?
Au départ, écrire ce nouvel album, ça a été tout sauf évident : on l’a composé en pleine pandémie, pas franchement une période propice à l’inspiration. Mais une fois qu’on a réussi à enclencher le processus, beaucoup de morceaux sont venus assez naturellement. Les chansons s’appuient principalement sur les guitares et les autres instruments dont nous jouons, et moins sur les arrangements symphoniques qui étaient de mise dans Wings of Fire. C’est déjà notre quatrième album, on a beaucoup appris depuis les débuts du groupe, notamment à cerner nos points forts et à en tirer profit. C’était notre objectif : exploiter au maximum nos points forts, ce qui fait qu’à mes yeux, Voices In The Sky est notre meilleur album à ce jour.
Comment se passe la composition d’un morceau ?
D’ordinaire, je bosse en binôme avec le guitariste du groupe Joona Björkroth, mais cette fois, comme l’essentiel du travail de compo a eu lieu en période de confinement, pendant laquelle on était le plus souvent séparés les uns des autres, c’est moi qui ai signé la majeure partie des textes et de la musique. Je pars d’une mélodie que j’ai en tête et que je travaille ensuite au clavier. Après seulement, j’exécute le morceau à la guitare mais je dois avouer que je suis un joueur de gratte horrible, super lent (rires) ! Ce qui fait que j’enregistre mes démos en jouant au ralenti et j’accélère ensuite le tempo au mixage avant les envoyer à Joona pour qu’il me dise ce qu’il en pense.
En écoutant le résultat final sur l’album, on remarque pas mal d’éléments empruntés à des genres musicaux sans rapport direct avec le metal : il y a des sons électroniques, un peu de folk, de la musique classique également. Alors je me suis interrogé sur la culture musicale au sens large des membres du groupe…
Ma mère est une musicienne classique, alors ce n’est pas surprenant d’entendre des influences fortes venant de ce côté-là. Je suis aussi très amateur de musique électronique, je suis passionné par l’habillage sonore des morceaux, et c’est un trait chez moi qu’on retrouve aussi de façon évidente dans plusieurs chansons. Quant à Joona Björkroth et Jarkko Niemi, les autres membres qui bossent sur les compositions, ce sont eux aussi des passionnés de musique classique : Joona est pianiste de formation, il a été formé à l’Université des Arts d’Helsinki — à l’Académie Sibelus, très réputée —, et Jarkko est à l’origine guitariste classique.
Que pourrais-tu nous dire des thèmes abordés dans les paroles ?
Il est beaucoup question de voyages, étant donné que la vie de musiciens en tournée nous a énormément manqué pendant la pandémie. Sinon les chansons parlent de la guerre et de la cruauté propre à l’être humain. On aime bien aussi aborder les problèmes du monde en établissant des analogies avec la mythologie nordique.
Parlant de la guerre, justement, la chanson Borderland évoque Taras Schevchenko (1814-1861), un des plus célèbres poètes ukrainiens. On entend même quelques-uns de ses vers à la fin du morceau…
Je suis très touché par la souffrance des Ukrainiens, d’autant qu’un de mes amis proches vient de ce pays. D’où ma prise de position dans cette chanson. Mon ami — il s’appelle Kirill — m’avait une fois parlé de ce poème où il est question, déjà, de gens innocents devant faire face à une invasion venant de Russie. En en reparlant, on s’est dit que ce serait bien d’entendre un extrait dans la chanson.
Y a-t-il d’autres références littéraires dans l’album ? Et plus généralement, trouves-tu souvent l’inspiration dans d’autres domaines artistiques ?
Presque tous les titres de l’album sont inspirés de sujets de la vie réelle. Pour commencer, Fly With Me, qui parle des réseaux sociaux et de la situation des personnes qui donnent à voir, via les réseaux, une image irréaliste et idéalisée d’elles-mêmes. Au bout d’un moment, il leur devient impossible des critères absurdes de perfection qu’ils ont eux-mêmes contribué à véhiculer… Certains sont ensuite harcelés et lynchés en ligne, ils n’ont pas d’autre issue que de se « suicider » numériquement en effaçant toute trace d’eux-mêmes sur Internet, voire en mettant réellement fin à leurs jours. C’est très triste… Sinon j’aime les histoires fantastiques, particulièrement la science-fiction. Et j’ai un faible pour les récits de fiascos complets, les histoires d’expéditions qui virent au désastre. La chanson Seeds of Downfall, par exemple, est en partie inspirée de l’entreprise écossaise catastrophique qu’on appelle le « projet Darién », au 17e siècle.
En fin d’album se trouve une reprise d’une chanson de Dark Funeral, Diabolis Interium. Rien à redire sur la qualité de la reprise, mais la musique de Dark Funeral en général ne correspond pas vraiment au style de Brymir…
Dark Funeral a été pour moi d’une grande inspiration quand je me suis tourné vers le metal extrême. Je nourris pour eux une véritable passion, que je partage avec Patrik Fält, notre batteur depuis 2012. La reprise de Diabolis Interium est en quelque sorte un hommage à la complicité qui nous unit autour de la musique de ce groupe.
À part Dark Funeral, y a-t-il d’autres groupes ou artistes qui ont changé ta façon d’entendre la musique ?
Le plus gros choc sensoriel que j’aie jamais vécu, c’est quand je suis tombé sur l’album Puritanical Euphoric Misanthrophy de Dimmu Borgir, à l’âge de 11 ans. Il m’a frappé à un tel point qu’il m’a rendu accro à ce style musical, et c’est ce qui m’a influencé jusqu’à mon activité d’aujourd’hui. Il m’est ensuite arrivé quelque chose de comparable lorsque j’ai découvert la face obscure de la trance psychédélique, par exemple le travail des artistes du label Parvati Records. J’y ai retrouvé la même audace et le même côté extrême que le metal, même si les règles de composition sont totalement différentes : c’est une musique fondée sur un habillage sonore abstrait, atonal, qui s’affranchit des principes des musiques plus conventionnelles — accords, mélodies, etc.
Le visuel de la pochette du nouvel album est très réussi. Pourrais-tu nous dire qui l’a réalisé ?
L’artiste s’appelle Tuomas Valtanen. Nous voulions créer un contraste très fort avec nos pochettes d’albums précédentes, afin de restituer l’ambiance sombre des années que nous venons de traverser. Le noir et le blanc pour symboliser la polarisation extrême de la société actuelle, le rouge pour le sang des innocents répandu en Ukraine, en Afghanistan, au Myanmar et ailleurs…
D’habitude, quand les groupes sortent un album, ils n’ont qu’une envie : prendre la route pour jouer leurs nouveaux titres live. Est-ce que vous vous apprêtez à écumer les scènes de Finlande et d’Europe ?
Yes, sir ! Nous sommes sur le point de nous lancer dans une grande tournée européenne avec Finntrol et Skalmold. Un rêve devenu réalité ! Un peu plus tard, l’hiver prochain, on jouera beaucoup en Finlande et on espère encore ajouter plein d’autres dates un peu partout à notre calendrier !
Pour conclure notre entretien, deux questions que je pose souvent aux musiciens que je croise en interview. La première : quel est le dernier album que tu as découvert ?
Je me suis bien déchaîné récemment en écoutant Deadbeat, le tout premier album de DIRT, un groupe finlandais qui associe rock grunge et metal !
Et quel est le dernier album que tu as adoré sans réserve, du début à la fin ?
Anticult (2016) de Decapitated. Voilà un album que je m’éclate à écouter et que je peux passer en boucle !
Propos recueillis en août 2022. Special thanks to Magali Besson + Tyffanie Bloc’h (Sounds Like Hell Productions) and to Lisa Gratzke (Napalm Records Berlin).