C’est entre deux scènes, après une vingtaine de dates américaines (en première partie de DragonForce) et juste avant d’attaquer une tournée européenne, que Clémentine Delauney est venue nous parler du huitième album de son groupe Visions Of Atlantis. Sortie de « Pirates » le 13 mai sous la bannière de Napalm Records.
Khimaira : Bonjour, Clémentine. Le groupe et toi rentrez tout juste des États-Unis et c’est un peu comme une revanche sur le sort : votre dernière tournée américaine avait été interrompue il y a deux ans à cause de la pandémie…
Clémentine Delauney : Oui, tout à fait ! La crise sanitaire nous avait arrêtés en pleine tournée, et repartir là-bas pour une série de dates presque trois fois plus longue, ça a été pour moi comme une vengeance, une revanche contre la pandémie !
Cette tournée a commencé bien avant la sortie du nouvel album. Quels sont les titres inédits qui ont le plus fait réagir le public ?
À chaque concert, on a joué quatre nouveaux titres dont Master The Hurricane, Legion of the Seas et Melancholy Angel. Ces deux-là ont fait énormément réagir le public, qui les connaissait déjà puisque nous les avions sortis en singles un peu avant. Les gens sautaient comme des fous pendant Melancholy Angel, et Legion of the Seas a déclenché de vrais pogos ! Pour Master The Hurricane, c’était moins flagrant car ce n’est pas évident de prendre la pleine mesure d’une chanson qu’on découvre en live, surtout ce titre-là, qui demande un peu de temps pour qu’on puisse vraiment entrer dedans.
Du point de vue vocal, t’es-tu lancé des défis sur ce nouvel album ?
Oui, sur le premier titre de la tracklist, Pirates Will Return : je me suis amusée à aller chercher des notes très haut, mais dans les chœurs seulement, en arrière-plan, et pas dans le chant « lead », ce qui n’aurait eu aucun sens. Cela donne au morceau un côté très « metal sympho » sans pour autant en faire des tonnes. Sinon, il se trouve que Michele [Michele Guaitoli, l’autre chanteur du groupe — NdR] et moi avons en commun d’avoir chanté, par le passé, dans des chœurs sacrés, et dans le titre In My World, on s’est fait plaisir en incluant en guise de pont un Kyrie eleison. Ça m’a permis d’exploiter au mieux ma voix de chœur sacré, sans abuser des vibratos parce que ça ne s’impose pas en chant sacré, qui est un art plus léger que le chant d’opéra. Je précise d’ailleurs que ma tessiture n’est pas celle qui convient à l’opéra ! J’ai parfois entendu dire que j’avais une voix moins puissante que celles des chanteuses d’opéra, mais c’est normal : même en chant classique, les voix ne peuvent pas tout interpréter, et mon répertoire, c’est le chant sacré, pas l’opéra !
Michele n’a jamais eu de velléités de chanter — ou de te faire chanter — en italien ?
Non, pour Visions of Atlantis, on préfère rester à l’anglais, la langue universelle ! Y mêler de l’italien, c’est quelque chose que Michele fait parfois avec son autre formation, Temperance, mais c’est plus à l’initiative de Marco, le leader du groupe. Une fois, j’ai lancé l’idée d’enregistrer un titre en français pour Visions…, et vu le regard que m’a adressé Thomas [Thomas Caser, batteur et membre fondateur de VoA — NdR], j’ai compris que c’était pour lui hors de question (rires) !
Ce huitième album s’intitule donc Pirates. Le thème de la piraterie associé à la musique metal, ça donne d’habitude du « pirate metal » : on y célèbre les tavernes, la bière et le rhum, on y entend de l’accordéon et du violon. Mais ce n’est pas l’orientation que vous avez choisie…
Non. C’est vrai que le thème des pirates est un lieu commun aujourd’hui, au même titre que les vampires, les zombies ou même les vikings. Tout cela fait partie de la culture populaire, la littérature s’en est depuis longtemps emparée, le cinéma aussi. Les pirates, chacun s’en fait sa propre image : pour certains, l’appellation est forcément péjorative, elle s’applique à des truands et des bandits. On a abordé la question de façon plus romantique et spirituelle. Nos pirates à nous ne font pas que boire de la bière et partir à l’abordage : ce sont surtout des explorateurs en quête de liberté. Et leur île au trésor n’est pas sur une carte, on comprend qu’ils la portent en eux.
Les quelques grandes figures féminines de la piraterie, Anne Bonny ou Mary Read, t’ont-elles inspirée pendant l’écriture de l’album ?
J’ai tenu à m’éloigner le plus possible de tout contexte historique, sinon tout devient vite trop réaliste. Ce qui compte pour moi, c’est de créer un univers original, avec même une touche de magie et d’ésotérisme comme dans le clip de Melancholy Angel, où des espèces de démons apparaissent. Je me suis quand même documentée sur le sujet, ne serait-ce que pour savoir comment une femme pirate s’habillait, et je suis tombée sur les figures dont tu parles. Mais je ne tenais pas à évoquer des gens qui ont existé, ça ne correspondait pas à notre approche.
Je crois savoir que Michele et toi avez beaucoup travaillé ensemble sur ces nouveaux titres. Qu’avez-vous réalisé en duo ?
Tout d’abord, le titre qui ouvre l’album, Pirates Will Return. C’est moi qui l’ai écrit, mais je n’y serais jamais arrivée sans l’aide technique de Michele. Je tenais à créer une chanson qui évoque le vent dans les voiles, la brume, avec une voix fantomatique… Michele a conçu tous les arrangements avec batterie, basse et guitare pour créer l’ambiance voulue. On a abouti à ce résultat en seulement deux jours, alors que je me trouvais chez lui, en Italie, pour une session d’écriture. On a fait plusieurs autres sessions de ce genre où chacun a apporté ses idées, ce qui a donné des titres comme Mercy ou In My World, dont je parlais tout à l’heure. On les a écrits et peaufinés ensemble. Master The Hurricane, également. Notre travail aurait été moins efficace si on avait communiqué à distance !
Master The Hurricane, c’est comme la pièce maîtresse de l’album : le morceau est assez long, au-delà de sept minutes, et sa construction est un peu à l’image d’une tempête, avec une alternance de bourrasques et d’accalmies…
Le thème de l’ouragan m’est venu pendant l’écriture des paroles et, là aussi, Michele en a composé la musique. Nous avons mis la touche finale à notre travail en collaborant étroitement avec notre producteur, le troisième sommet de notre triangle ! Il y a plusieurs points que nous tenions à ne pas perdre de vue pendant toute la conception de l’album : le groupe fonctionne avec deux chanteurs, mais il s’agit de metal symphonique, ce qui impose aux voix de s’effacer de temps à autre pour laisser sa place à l’orchestre. En outre, on avait à cœur d’enregistrer un album plus ouvertement metal que le précédent, Wanderers, que nous aimons beaucoup mais qui était plus léger et lumineux que celui-ci. Nous avions envie de retrouver tout le poids du metal, d’où la présence marquée des riffs — au second plan, en accompagnement du chant, mais aussi au premier plan, et alors on laisse la guitare devenir le pilier du morceau. C’est la synthèse de ce cahier des charges qui a donné Master The Hurricane, un morceau en effet plus long, qu’on peut qualifier de pièce centrale de l’album mais qui surtout, pour moi, symbolise ce qu’est Visions Of Atlantis aujourd’hui.
Êtes-vous partis de zéro pour écrire cet album, ou avez-vous aussi utilisé quelques démos ou ébauches issues du disque précédent ?
On est partis de zéro, complètement. C’est aussi pour cette raison qu’on a changé de producteur : la personne avec qui nous avons travaillé pour les deux albums précédents nous a fait des propositions qu’on trouvait trop proches de ce que nous avions déjà fait. Or on tenait vraiment à évoluer, ce qui implique parfois de changer d’équipe en studio.
En revanche, Visions Of Atlantis affiche en 2022 le même line-up que pour l’enregistrement de Wanderers, il y a trois ans. Le groupe a connu de nombreux remaniements depuis sa création. Dirais-tu qu’à présent vous avez trouvé une forme de stabilité ?
En ce qui concerne le chant, oui. Pirates marque en fait le début de la pleine collaboration entre Michele, moi-même et notre producteur. On a envie de profiter au maximum de ce travail à trois, d’explorer à fond toutes les possibilités qu’il nous ouvre. Alors de ce point de vue-là, oui, on a atteint la stabilité. Notre batteur Thomas va également rester, il ne va pas s’auto-licencier [précisons que Thomas Caser est aussi, accessoirement, le P.-D.G. de Napalm Records — NdR] ! Concernant les autres membres, on se dit qu’eux non plus ne partiront pas, qu’on en a fini avec les changements de line-up, mais ce n’est pas quelque chose qu’on peut jurer et promettre : on sait qu’avec le temps, les gens évoluent, tout comme leurs envies et disponibilités. Les carrières prennent parfois une nouvelle direction, les phases de vie se succèdent : une personne dans le groupe doit bientôt se marier, ses priorités peuvent changer…
Si tu veux bien, passons en revue quelques autres titres de la tracklist. Clocks, pour commencer : c’est une chanson très énergique et dansante, parfaite pour la scène. L’avez-vous écrite dans cette optique-là ?
Oui mais on écrit tous nos titres pour qu’ils puissent être jouables sur scène. On n’ira jamais écrire des parties de batterie impossibles à reproduire en concert ni des lignes de chant dont on sait qu’on ne pourra pas les placer en live… C’est aussi Michele qui a écrit Clocks — je me demande encore d’où lui est venu ce morceau ! —, et la chanson a pris sa dimension hyper efficace en passant entre les mains de notre producteur. Et je reconnais qu’elle est très agréable à jouer en concert.
En milieu d’album, Wild Elysium fait beaucoup penser à la musique de Kamelot…
Oui, très clairement !
C’est un clin d’œil volontaire ou est-ce que vous avez mesuré après coup la similitude de style ?
Bon, quand on écrit un morceau, ce n’est pas très agréable de tout de suite sentir une influence. Quand moi-même j’imagine une mélodie et que ça ressemble beaucoup à quelque chose d’autre, j’efface tout et je recommence. Wild Elysium a été composé par notre producteur, Felix Heldt — il a proposé deux, trois morceaux et celui-là en fait partie. C’était au tout début de l’écriture, avant même que la direction artistique de l’album et le thème des pirates soient bien établis. C’est un bon titre, on l’a gardé, mais il ressemble beaucoup à ce que fait Kamelot, je suis d’accord. C’est une chanson qu’on ne jouera pas en live : elle n’est pas représentative de ce qu’on veut faire, et on ne la considère pas comme un titre majeur de Pirates.
Felix Heldt est aussi le producteur de Feuerschwanz et dArtagnan. Je suppose que c’est par son biais que Ben Metzner a été invité à participer à plusieurs chansons…
Oui, cela s’est fait comme ça. Nous avions fait appel une première fois à un flutiste pour l’enregistrement de Wanderers, et cette fois il nous fallait quelqu’un qui sache aussi jouer de la cornemuse. On pouvait toujours se rabattre sur des sons numériques, mais quand on a parlé de nos ambitions à Felix Heldt, il nous a tout de suite parlé de Ben Metzner en le présentant comme le musicien idéal. Et il n’avait pas tort : Ben a choisi soigneusement telle ou telle flute, pour que le son de l’instrument serve le mieux possible l’ambiance des différents morceaux. On a conservé des démos avec des sons de flute numériques, et le rendu n’a rien de comparable avec la qualité du travail de Ben.
Où l’enregistrement a-t-il eu lieu ?
En Allemagne en qui concerne les voix. Thomas s’est déplacé jusqu’à nous en fin d’enregistrement pour assurer certaines parties de batterie. Sinon, comme nous étions encore en pleine période de confinement — c’était en mars 2021 —, le reste des instruments a été enregistré par les autres musiciens chez eux, et le tout a été retravaillé au mixage en studio.
En tant qu’artiste, gardes-tu quelques souvenirs agréables de cette longue parenthèse sinistre sans festival ni concert ?
À vrai dire, c’est une période que j’ai assez bien vécue. Cette pause m’a permis de me poser des questions bénéfiques sur la suite que je voulais donner à ma vie et à mon travail. Je me suis rendu compte que je n’étais pas toujours heureuse de vivre là où j’étais, que je me trouvais loin du groupe et notamment de Michele, avec qui j’éprouve un plaisir énorme à écrire de la musique. Une introspection qui m’a conduite à déménager pour m’installer dans sa ville, en Italie, ce qui ne serait pas arrivé sans la pandémie, si on était restés pris dans l’enchaînement des enregistrements et des tournées.
Et vous êtes sur le point de retrouver le chemin de la scène, dans plusieurs pays d’Europe. Avez-vous en tête de renouveler l’expérience du concert avec orchestre symphonique, comme il y a trois ans à la sortie de Wanderers ?
C’est prévu : nous allons nous produire cet été avec un ensemble symphonique, le même orchestre qu’en 2019, au festival « Masters of Rock » en République tchèque et puis à « Metal On The Hill » en Autriche.
Et la « release party » de l’album arrive très vite, puisque vous serez sur scène le jour même de la sortie, le 13 mai, en Autriche…
En fait, on n’a rien de prévu de particulier, c’est la tournée européenne tout entière qui sera notre « release party » ! On commence la série de concerts la veille de la sortie, le 12 mai.
Aucune date en France, à ce que j’ai vu…
Non, pas cette fois : la date de Colmar, en juin, a été annulée. Mais nous allons très bientôt annoncer une deuxième tournée, de cinq semaines, qui aura lieu en automne. Nous jouerons à Paris et à Lyon. Il n’est pas exclu qu’une troisième date vienne s’ajouter, peut-être à Toulouse, mais rien n’est certain pour le moment…
Propos recueillis en mai 2022. Grazie mille à Magali Besson (Sounds Like Hell Productions) et à Lukas Frank (Napalm Records).
Sortie de l’album Pirates le 13 mai 2022.
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