Shattering Reflections, c’est le titre du troisième album d’Evil Invaders, formation belge de thrash/speed metal composée de Senne Jacobs (à la batterie), Max « Mayhem » Maxheim (guitare) et Joeri van de Schoot (à la basse). Pour compléter le quatuor, Johannes Van Audenhove, alias Joe, le chanteur du groupe, qui a répondu à nos questions.
Khimaira: Bonjour, Joe. Avant tout, il faut que je t’avoue : même si Khimaira est, à l’origine, un media belge, la scène metal du Plat Pays ne nous est pas tellement familière. Comment pourrais-tu nous la décrire ?
Johannes « Joe » Van Audenhove : Eh bien, ces dernières années on a vu l’émergence de quelques groupes très cool, dans plusieurs genres. Pas mal de death metal, je dois dire, et même deux-trois trucs assez extrêmes avec des groupes comme Carnation ou Schizophrenia, qui donnent dans le death metal old school. Il y a Bark, également, qui croise les influences entre thrash et hardcore — très cool, eux aussi. Je pourrais aussi ajouter Slaughter Messiah, qui joue du black/thrash… Ce qui fait qu’on a une scène metal assez bien fournie. Il y en a aussi qui donnent dans le hard rock, par exemple Wild Heart. Par contre, je ne sais pas s’il arrive à tous ces groupes de tourner beaucoup à l’étranger.
Pour ce qui est d’Evil Invaders, le groupe a vu le jour en 2007. Te souviens-tu de comment vous avez choisi votre nom ?
Hum… On a passé du temps à chercher, et je suis un jour tombé devant YouTube sur un clip du groupe canadien Razor. La chanson s’intitulait Evil Invaders.
En écoutant les singles que vous avez diffusés avant la sortie de l’album, In Deepest Black et Sledgehammer Justice, je me suis dit que vous aimiez beaucoup le metal des années 1980… Est-ce que je me trompe ?
C’est vrai que les artistes dont on est particulièrement fans, ce sont les bons vieux groupes comme Rainbow, Iron Maiden, Motörhead, Metal Church, Exodus… toutes les formations “historiques“ de heavy metal originaires de Grande-Bretagne et des États-Unis. Scorpions, également. Tous ces gens ont grandement influencé notre approche de la musique.
La décennie 1980, ce sont aussi les années où les groupes de rock et metal ont commencé à utiliser les claviers. Dans Evil Invaders, vous n’en avez pas, mais est-ce une possibilité que vous avez déjà envisagée ?
En fait, si, il y en a un peu dans le nouvel album, mais les sons de synthé ne sont pas mis en avant dans le mixage, ce qui fait qu’on n’a pas vraiment conscience de leur présence. Il faut dire qu’on n’a pas de claviers sur scène, et on n’a pas envie que ça a l’air de manquer quand on joue nos titres en live. On ne tient pas non plus à recourir à des backing tracks, pour que notre son en concert soit le plus pur et naturel qui soit. Et pour en revenir au son des années 1980, c’est vrai que j’aime bien la musique de groupes comme Sabotage, par exemple, qui dans leurs premiers albums se servaient des synthés pour apporter une atmosphère un peu planante à leurs compos. Un genre de musique qui m’a aussi influencé en tant que musicien.
Ce nouvel album, vous l’avez enregistré dans des conditions de live ?
Du tout. On a enregistré à la maison chacun de notre côté. Il n’y a que les lignes de batterie qui ont été captées en studio. De ce point de vue, on aime beaucoup quand le son de caisse claire est rendu avec beaucoup d’écho, avec beaucoup de réverbération, comme si on jouait dans une très grande salle ou au sommet d’une montagne. Il faut que ça sonne fort, bien sûr, mais on ne voulait pas que l’auditeur reçoive la musique en pleine face, comme s’il se trouvait avec nous dans le studio. Au final, la force de la musique ne vient pas tant du volume sonore que de notre manière même de jouer. Je trouve qu’on s’est plutôt bien débrouillés de ce côté-là, et je suis très content de la production de ce nouvel album. Et pour ce qui est des compos elles-mêmes, on a pris notre temps car tout ou presque a été écrit et retravaillé pendant la période de confinement, sans aucune pression ni échéance de temps puisque tout était en stand-by.
Dans le metal ou plus généralement le rock, beaucoup disent que quoique les paroles veuillent transmettre, elles passent au second plan, la musique primant sur tout le reste. Cela dit, dans un morceau comme Sledgehammer Justice, il y un message assez fort qu’il ne faudrait pas rater. Contre qui la hargne du morceau s’exprime-t-elle ?
La chanson s’attaque à la corruption au sens large, aux dirigeants politiques d’ici et d’ailleurs qui se contrefichent des gens en-dessous d’eux et n’ont qu’un objectif, tirer le plus possible de bénéfices, s’en mettre plein les poches en tirant toutes les ficelles qu’il faut pour arriver à leurs fins.
On relève aussi beaucoup d’humour : j’aime beaucoup le passage sous forme d’acrostiche où tu épelles le titre. C’est un aspect très drôle de la chanson et du clip…
C’est un parti pris très musical, en fait. Quand les gens viennent au concert, ils veulent passer un super moment, ils ont envie de chanter et de crier avec le groupe. D’où cette partie où on peut épeler le titre, qui m’est venue tout naturellement une fois qu’on a trouvé le riff pour l’accompagner. Je me suis dit, attends voir : dans “Sledge” il y a six lettres, idem pour “Hammer”, ça donnait un bon rythme à la chanson.
Die For Me, également, est assez agressive et semble s’adresser à une personne en particulier…
Parfois oui, les textes partent d’un cas particulier pour ensuite s’élargir à des sujets un peu plus généraux. Je ne reste jamais bloqué sur un thème tout le long d’un titre. Mais oui, comme tu dis, pour cette chanson je suis parti du cas d’un ami très proche qui m’a comme on dit poignardé dans le dos. D’où ce sentiment de vengeance qu’on perçoit à travers les paroles.
Vers la fin de l’album, il y a un morceau entièrement instrumental, intitulé Aeon. Comment est-il arrivé là ?
C’est un morceau que Max, notre guitariste lead, a composé il y a déjà un bout de temps. Pendant le confinement, il nous l’a envoyé avec plein d’autres démos via un drive Google et c’est comme ça que, de fil en aiguille, le titre s’est retrouvé sur la tracklist. Je n’ai pas jugé utile de le retravailler plus que ça ni de chercher à ajouter des paroles — je trouvais le morceau parfait comme il était ! Une approche très spontanée en ce qui me concerne : on ne cherche jamais à planifier et à composer tel ou tel style de morceau à un moment ou un autre en se disant que ça sonnerait bien dans l’album. On prend vraiment l’inspiration comme elle vient, de la façon la plus naturelle possible.
L’artwork de l’album est très réussi, je me suis dit que la meilleure façon d’en profiter serait de l’admirer en grand format sur une pochette de vinyle 33-tours. Vous avez prévu de sortir l’album sur ce support ?
Oui, bien sûr, c’est prévu : on est tous les quatre archi-fans de disques vinyles et on tient à ce que nos albums soient édités aussi sur ce support. Tu as raison : c’est une expérience en soi d’avoir entre les mains une grande pochette de 33-tours, c’est presque comme regarder un film… Pendant que tu écoutes la musique, tu peux promener ton regard sur la pochette et essayer d’en repérer tous les détails.
En préparant cette interview, j’ai fait des recherches et je me suis rendu compte qu’en plus d’être chanteur et musicien, tu étais aussi luthier ! Voilà qui n’est pas banal. En somme tu conçois et fabriques tes propres guitares. Pourrais-tu nous expliquer comment tout a commencé ?
Quand j’ai terminé le lycée, je n’avais plus envie de passer mon temps le nez dans les cours et dans les livres. Aussi pas question pour moi d’entamer de longues études, de m’inscrire en fac, de devenir avocat (rires) ! Ce qui me tenait à cœur, c’était de faire de la musique — ma passion ! D’un autre côté, c’est compliqué aujourd’hui de gagner bien sa vie en étant seulement musicien. J’ai fini par trouver une école en Belgique qui enseignait la lutherie et je m’y suis inscrit. J’ai commencé par apprendre la manufacture de violons puis une place s’est libérée six mois plus tard dans le cours de fabrication de guitare.
Et aujourd’hui tu tiens ton propre atelier ?
Exactement. Les clients viennent me voir parfois avec un design de guitare en tête ou sur un croquis, j’étudie le projet et je leur fabrique l’instrument demandé. Jusqu’à présent, j’ai dû réaliser une trentaine de pièces, électriques comme acoustiques : les gens qui entrent dans la boutique ne sont pas tous metalleux, ce sont des musiciens de rock, de blues…
Et les guitares qu’Evil Invaders utilise sur scène, ce sont tes créations ?
Oui, toutes, y compris les basses.
Y a-t-il des clichés ou des a priori autour de la musique metal qui ont le don de t’énerver ?
Le grand public passe en général complètement à côté des différents sous-genres du metal, les gens ne sont pas sensibles à toute la palette de styles — hard rock, modern metal, etc. Alors en gros, dès que tu annonces à quelqu’un que tu donnes dans ce type de musique, la personne s’imagine que tu te contentes de hurler et grogner dans un micro (rires) ! Beaucoup s’imaginent les metalleux comme des gens mal dégrossis qui boivent leurs bières dans des cornes, et j’essaie de leur expliquer que ce n’est pas ça du tout.
Parlant des différents styles de metal, y en a-t-il qui ne t’inspirent pas particulièrement ?
Le death metal, j’avoue que ce n’est pas trop ma came, et parmi les artistes qui donnent dans le modern metal, il n’y a que System of a Down que j’écoute volontiers. Ils font vraiment un style de zik bien à eux, et j’apprécie cette originalité. Sinon, parmi les groupes actuels, ceux que je préfère sont ceux qui maintiennent une sorte de feeling rock’n’roll dans leurs compos, Obituary par exemple.
Le dernier album que tu as eu le plaisir de découvrir, qu’est-ce que c’était ?
Eh bien… je dirais le tout premier EP d’un groupe américain qui a commencé sous le nom d’Idle Hands mais qui a changé pour s’appeler maintenant Unto Others. Je leur trouve un excellent niveau d’écriture en même temps que le petit feeling old school que j’aime bien. Le style de chant s’apparente au rock gothique, je dirais, et leur musique a été pour moi une chouette découverte.
Et quel serait le dernier album en date que tu as adoré de la première à la dernière note ?
Pas évidente, cette question, surtout que je ne consacre pas tellement de temps à explorer tout ce qui sort… En gros, les albums que je peux écouter sans jamais me lasser, ce ne sont pas forcément des disques récents, ce sont par exemple Transcendence de Crimson Glory [1988 — NdR], Gutter Ballet de Sabotage [1989 — NdR] ou bien n’importe lequel des albums de Motörhead !
Écouter Evil Invaders en concert, ce sera pour bientôt ?
C’est sûr, on a dû annuler ou reporter plus d’un show durant l’année écoulée ! Mais on dirait que ce coup-ci, c’est reparti pour de bon, alors il nous tarde de nous remettre en route. On a une release party prévue à Anvers le 2 avril, le lendemain de la sortie de l’album. Ensuite, nous avons en vue quelques dates lors des prochains week-ends, des participations à quelques festivals aussi. Pas encore de tournée véritable prévue pour l’instant, mais on y travaille avec notre agent…
Propos recueillis en mars 2022. Un grand merci à Magali Besson (Sounds Like Hell Productions) et à Juliane Baier (Napalm Records).
Sortie de l’album Shattered Reflections d’Evil Invaders le 1er avril 2022.