Une réédition d’importance se profile ce mois de mars chez les Humanoïdes Associés. Peut-être un peu moins connue que ses consœurs Miel (dans Le Parfum de l’invisible) et Claudia (Le Déclic), Gulliveriana n’en reste pas moins une créature typique de l’imaginaire de Milo Manara. Le maître italien de la BD érotique publia pour la première fois en 1996 ce décalque grivois des fantastiques Voyages de Gulliver (1726), œuvre, surréaliste avant l’heure, de Jonathan Swift. Chez Milo Manara, le chirurgien de marine Lemuel Gulliver cède la place à une grande ado blonde, aussi ingénue qu’impudique, dont la silhouette, comme le tempérament, ne peut laisser personne de marbre.
Les Voyages de Gulliver — et plus exactement la partie se déroulant sur l’île volante de Laputa — inspirèrent déjà Hayao Miyazaki lorsqu’il écrivit le scénario de son film Le Château dans le ciel, en 1986. Manara, quant à lui, reprend ici toutes les grandes étapes du périple de Gulliver : il envoie son héroïne chez les minuscules Lilliputiens (où elle exhibe, entre autres, son intimité gigantesque à une armée de mini-soldats), pour la jeter ensuite, telle une figurine sexy, entre les grosses pognes d’un couple de géants salaces… La suite la voit aux prises avec une assemblée de nymphomanes frustrées (parenthèse SM, saphique et soft, en plein ciel) puis poursuivie par les assiduités d’un étalon qui parle (pas Rocco Sifredi, non, un véritable cheval, capable de propositions malhonnêtes !).
Le bonheur résidant aussi dans la simplicité, on jouit sans entrave de la linéarité du récit, qui rebondit d’une péripétie absurde à l’autre avec le plus grand naturel, et l’on savoure à longueur de planche le caractère crûment ingénu de Gulliveriana (qui, ayant lu les pages de Swift, fantasme son voyage bien plus qu’elle ne le vit). Belle à se damner, comme toutes les héroïnes de Manara, la fille se trimballe dans les tenues les plus minimalistes avec une assurance désarmante (et quel plaisir de voir sa bouche pulpeuse lâcher, sous la surprise ou la colère, des chapelets de grossièretés !). Également, plusieurs illustrations pleine page la représentant en majesté retiennent toute notre attention et ne peuvent que clouer le bec aux pervers somatophobes qui s’aventureraient à taxer Manara de misogynie. Une réédition chaudement recommandée.
En librairie à partir du 16 mars 2022.