Skye Sweetnam fait la preuve que la pop ado peut mener à tout, y compris au metal ! Après ses débuts dans l’industrie du disque à l’âge de quinze ans et ses concerts en première partie de Britney Spears, la chanteuse canadienne est depuis 2011, avec son boyfriend Matt Drake, à la tête de Sumo Cyco. Le quatuor punk metal déploie son univers bariolé dans une vaste collection de clips, des vidéos faites maison et toutes fantastiquement barrées, en accord parfait avec la musique exubérante du combo. Le troisième album de Sumo Cyco a pour titre Initiation, il sort le 7 mai chez Napalm Records.
Khimaira : Bonjour, Skye ! Tu es canadienne et tu vis dans l’Ontario, donc pas très loin du Québec. Cela veut-il dire que tu parles un peu français ?
Skye ‘Sever’ Sweetnam : « Juste un petit peu » (Rires) ! Au Canada, on nous donne des cours de français dès l’école primaire, mais il faudrait que je replonge dans mes cahiers ou que je passe quelque temps au Québec pour que tout me revienne. Et dans ma vie, je n’y suis pas allée souvent, je dois avouer. Il faut compter environ neuf heures de route depuis chez moi. Je suis sûre d’avoir voyagé plus souvent à Paris que je ne me suis rendue à Montréal !
« Initiation », c’est un titre d’album qui fonctionne dans les deux langues mais c’est un choix curieux : pour tous ceux qui ne connaissent pas encore Sumo Cyco, il y a déjà une tonne de choses à découvrir, à écouter comme à regarder…
C’est vrai, ça fait un certain temps maintenant que le groupe existe, on a même beaucoup tourné ces dernières années, on s’est fait connaître de plein de monde… Mais cet album est le premier qu’on enregistre en partenariat avec Napalm Records, et cela compte beaucoup pour nous : l’arrivée sur ce label nous ouvre de nouveaux horizons. Comme s’il restait tout un monde à découvrir et des tas de gens à rencontrer, bien au-delà de l’Amérique du Nord, et qu’on aimerait inviter à rejoindre notre univers un peu sauvage et déglingué de « Cyco City ».
« Cyco City », cela ressemble à un nom de ville de science-fiction…
L’endroit est un pur produit de mon imagination ! Cyco City, c’est une espèce de Pays des Merveilles nourri de mes peurs et de mes souvenirs d’enfance, un monde fantastique à la fois extraordinaire et effrayant, et je me plais à penser que quand on l’explore, on trouve en soi de quoi surmonter les obstacles ou les barrières mentales qui peuvent nous empêcher d’avancer dans la vie. Chacune des vidéos qu’on a tournées sont des étapes de ce voyage dans Cyco City, et on y met tout notre cœur et le meilleur de nous-mêmes car, à chaque fois, nous ne sommes que trois à quatre à travailler dessus.
Dans ton groupe, l’aspect visuel semble compter autant que la musique elle-même…
J’ai grandi dans la culture de l’image, plus jeune je filmais tout le temps plein de trucs avec un caméscope. Donc, pour moi, il est important de donner aux gens une foule de choses à regarder en même temps qu’ils écoutent notre musique, et je retire une grande fierté de la réalisation de nos clips, de A jusqu’à Z. C’est parti d’une nécessité, en fait : au début, on n’avait pas le budget pour recruter une équipe de tournage et un réalisateur, il a fallu qu’on fasse tout nous-mêmes. Et de fil en aiguille, c’est devenu une passion, à tel point que j’aurais du mal, à présent, à confier les rênes d’un clip à un réalisateur extérieur ! On risquerait de casser les liens qui unissent les vidéos les unes aux autres, de mettre à mal la cohérence visuelle. À chaque fois, on s’amuse à glisser en douce des éléments qui rappellent des motifs ou des personnages d’un autre clip. Il y a des fans qui sont fortiches, ils arrivent à les repérer tous !
Pour ce qui est de la musique, Sumo Cyco ne se borne pas à un style en particulier, votre musique est une hybridation entre rock, punk, metal, musique électronique, rap et hip-hop…
À la naissance du groupe, nous n’étions que deux, Matt et moi, et nous avons eu avant cela des parcours musicaux très différents. Il m’a initiée à des styles auxquels je ne me serais pas intéressée autrement, et vice versa. J’avais des goûts plutôt pop, lui versait dans le rock punk, et on s’est dit un jour « tiens, et si on créait un groupe de metal ? », sans qu’on n’ait jamais fait quoi que ce soit dans ce domaine ! Comme on aime écouter toutes sortes de styles de musique, on n’allait pas se limiter au metal stricto sensu, mais plutôt mélanger plein d’ingrédients différents. Ce qui me permet en tant que vocaliste de me lancer des défis : vais-je réussir à rapper ce couplet assez vite ? serai-je capable d’atteindre telle note ? de hurler ? pourrai-je chanter cette mélodie ? Matt vit exactement la même chose avec son jeu de guitariste, on est dans l’expérimentation permanente. Et l’un comme l’autre, on n’a qu’une envie une fois les morceaux enregistrés : que les gens aient envie de pousser le volume à fond quand ils entendent notre musique !
Tu faisais allusion à l’instant à tes débuts pop, et il est vrai que dans les années 2000, tes chansons n’avaient rien à voir avec ce que tu fais maintenant. Y a-t-il un facteur particulier qui a fait que tu as d’un coup changé radicalement de style ?
Plus jeune, j’adorais la musique jouée à la guitare et c’est là-dessus que s’est fondée ma carrière dans la pop. Alors en effet, on peut avoir l’impression d’une brusque rupture de style, mais de mon côté j’ai plus vécu ça comme une évolution : j’en suis venue à collaborer avec des musiciens qui m’ont influencée, par exemple Tim Armstrong du groupe punk Rancid, Mark Hoppus de Blink-182, Matthew Wilder qui fut le producteur de l’album Tragic Kingdom de No Doubt… Plus tard, quand j’ai rencontré Matt, il m’a fait connaître le groupe britannique Skindred et ça a été un choc : leur musique était super « heavy » et brutale, en même temps, elle me donnait envie de bouger, de danser. Et ça a été comme une révélation : je me suis rendu compte qu’en poussant la musique dans ses retranchements les plus extrêmes, on pouvait crier, dire des gros mots, exprimer bien plus de choses que dans le seul registre de la pop, où je me suis sentie limitée quant à ce que je pouvais dire et faire passer.
Aux débuts de Sumo Cyco, as-tu recueilli des réactions outrées de la part de tes fans de la première heure ?
Bien sûr, on trouvera toujours des gens moins disposés que d’autres à écouter du rock agressif, mais tu serais étonné de voir combien de jeunes filles qui ont écouté mes premières chansons — avec des paroles du style « j’ai pas envie d’aller en cours » ou « les garçons, c’est chelou » — ont elles aussi grandi et vu leurs goûts musicaux évoluer de telle sorte que ma connexion avec elles ne s’est jamais rompue. Plein de fans de pop se sont mis à écouter Sumo Cyco, des gens qui par ailleurs se sont reconnus dans la petite communauté que je me suis plu à créer sur Internet et YouTube. Et j’essaie toujours de ménager des ponts entre les univers musicaux, par exemple en réenregistrant beaucoup de nos chansons en version acoustique. Certaines oreilles un peu réticentes au metal découvrent nos titres façon « unplugged » et, lorsqu’elles s’essaient à l’écoute de la version heavy d’origine, ont plus facilement accès à la mélodie. C’est comme ça, il y a des gens qui font un blocage face aux décibels du metal, ils ne perçoivent que le chaos et le bruit alors que c’est une musique qui recèle énormément de beauté et de mélodies, de même qu’elle n’est pas vouée à faire peur. Elle peut s’avérer au contraire très fun et communiquer plein d’énergie.
On devine aussi un commentaire politique et social sous-jacent dans les vidéos de Sumo Cyco…
Disons que nous sommes un groupe d’inspiration très universaliste, on aime fréquenter toutes sortes de gens, aussi bien en termes de couleur de peau que d’orientation sexuelle. Yasmin, par son exemple, son nom me vient tout de suite à l’esprit en abordant ce sujet [le mannequin anglais Yasmin Benoit — NdR]. On parle beaucoup d’elle parmi les gens qui se déclarent asexuels. Elle est venue un jour nous voir sur scène et elle nous a raconté que c’était le tout premier concert rock auquel elle assistait ! Je n’étais pas peu fière car c’est quelqu’un que j’admire beaucoup. Elle a réussi à s’exprimer publiquement avec beaucoup d’assurance au nom des personnes asexuelles. Sinon beaucoup de nos chansons s’inspirent de la vie en général, de ce qu’on suit aux infos — ça va des émeutes aux États-Unis et des manifestations des « Black Lives Matter » au cirque politico-médiatique qu’on a pu voir à la télé ces derniers mois. Difficile d’échapper à tout ça, surtout pendant cette période de pandémie où on est tous coincés à domicile devant les écrans.
Cette période, est-ce qu’elle t’affecte beaucoup ?
On a l’impression que le monde entier s’écroule et qu’on n’y peut rien, que la seule chose à faire est de rester assis chez soi. Oui, ça m’affecte beaucoup. Beaucoup de paroles de chansons sont nées de cette frustration et de ce sentiment d’impuissance. Il est impossible de vivre sa vie comme on l’entend, on se demande à quoi on sert… Mais il faut quand même trouver à se motiver, et je me dis que la musique est encore un moyen de rester en contact avec les gens : si plein de personnes n’écoutent de la musique que de façon occasionnelle, il y en a aussi d’autres qui tissent des liens très forts avec un album, avec un groupe, et pour qui ce rapport intime à la musique permet d’avancer. Je n’ai aucune idée de tous les endroits où ma musique a pu passer ni de toutes les personnes qui l’ont écoutée, ni dans quelles circonstances, mais quand j’y songe je me dis que la musique est une manière de faire partie de la vie des gens. Si nos chansons peuvent insuffler quoi que ce soit de positif pour tenir le coup dans cette galère, si elles permettent à certains de se sentir un peu mieux, alors je me dis qu’à notre niveau nous faisons œuvre utile.
Nous enregistrons cette interview le jour même où Sumo Cyco sort Vertigo, un single extrait du nouvel album. Peux-tu nous expliquer de quoi parle cette chanson ?
Les paroles de Vertigo, je les ai écrites avant la pandémie mais elles collent assez bien aux sentiments qu’on peut éprouver en ce moment : la chanson parle de ce qu’on ressent lorsqu’on se retrouve désorienté, soit par un coup de la vie ou par l’influence néfaste d’une personne dans l’entourage. On ne sait pas trop quoi faire ni comment réagir, et il est nécessaire de trouver en soi les ressources pour ne pas se laisser submerger. D’où la métaphore dans un couplet des chiens à mes trousses qui ne sont pas loin de me croquer… Il ne faut pas se laisser faire, l’important est de continuer à avancer. C’est un peu ce que mon père m’a toujours dit en m’expliquant que, dans la vie, on n’a pas besoin de courir à perdre haleine ni d’être le plus rapide pour être devant les autres, l’important c’est de ne jamais s’arrêter d’avancer.
Un autre homme important dans ta vie, Matt Drake. Comment décrirais-tu votre vie de couple au sein d’un groupe rock ?
Nous parlons beaucoup de Sumo Cyco, c’est sûr, c’est devenu notre mode de vie et on y prend énormément de plaisir. Personnellement, je ne m’accorde aucun jour de congé, et je n’y pense même pas parce que j’ai la chance énorme de mener une activité qui est à la fois un métier et une passion. Et Matt vit cela de la même façon. Bien sûr, de temps en temps on se chamaille à propos de ce qu’on devrait inclure ou pas dans une chanson ou dans un clip, il nous arrive même d’entrer vraiment en conflit mais on vit ça bien : il y a des couples qui vont se faire la gueule parce qu’ils sont en désaccord, mais pas nous. On prend chaque difficulté comme un défi qui nous pousse vers l’avant et c’est plutôt cool.
En dehors du groupe, y a-t-il un artiste que tu admires tout particulièrement ?
Je pourrais te citer tellement de noms ! Le chanteur Benji Webbe de Skindred, le groupe que j’ai mentionné tout à l’heure, pour sa voix et ses talents de musicien. Gwen Stefani, que j’admire depuis toute petite, dès que j’ai entendu la chanson Just a Girl. Quand Gwen se mettait à faire des pompes sur scène sans s’arrêter de chanter, qu’est-ce qu’elle pouvait déchirer ! Et après, quand tu vois la carrière qu’elle a su mener, en même temps en fondant une famille… Une réussite vraiment stimulante ! Et j’aime aussi beaucoup la chanteuse estonienne Kerli qui, en plus de composer sa musique et de réaliser ses clips, crée également ses propres vêtements. Elle est incroyable, douée d’un super sens esthétique. Je voue beaucoup d’admiration aux artistes qui maîtrisent tous les aspects de leurs créations et ne peuvent pas s’empêcher d’innover et d’inventer encore et encore.
En tant qu’auditrice, quel est le dernier album que tu as découvert ?
Hmm, je dois réfléchir parce que j’ai passé tellement de temps ces derniers mois sur notre album… Le premier qui me revienne en mémoire c’est l’album de Grandson [Death of an Optimist, 2020 — NdR], un artiste que j’aime beaucoup avec des chansons aux paroles très franches et spontanées. Sinon, il n’y a pas longtemps, comme j’ai des goûts éclectiques, j’ai aussi acheté un vinyle du groupe de hip-hop Outkast. J’ai toujours apprécié ce qu’ils font mais, jusqu’ici, sans écouter d’album complet, seulement des singles. Je me suis donc amusée à replonger dans leur discographie. À la maison, figure-toi qu’on a une énorme collection de disques alors on pioche dedans au gré des envies. J’aime beaucoup la période rock prog de Genesis, les vieux albums de Pat Benatar et de Blondie, je vais aussi explorer de temps en temps la collection de disques de mon père… Le confinement nous a permis de redécouvrir pas mal d’albums, je dois dire. De ce point de vue-là au moins, la période était amusante. Plus d’une fois on s’est dit « ce soir, pas question d’allumer la télé, on écoute des disques en jouant aux cartes ou aux échecs ! ».
Alors dis-moi, quel est le dernier album que tu as trouvé parfait de bout en bout ?
Oh punaise, en voilà une question difficile ! Surtout qu’en tant que musicienne, j’ai tendance à tout analyser et à me montrer trop critique vis-à-vis de ce que j’écoute. J’ai comme perdu l’innocence du mélomane amateur. Mais bon, pour répondre je dirais un album d’Enter Shikari — mince, je ne me souviens plus du titre ! C’est celui avec un triangle rouge sur la pochette [A Flash Flood of Colour, 2012 — NdR]. C’est un super groupe, j’adore leur musique et je n’ai jamais envie de sauter une piste quand j’écoute leurs albums. Idem en ce qui concerne Rage Against The Machine, dont je suis aussi une très grande fan. Et bien sûr l’album Tragic Kingdom de No Doubt, que je place volontiers en tête de mes albums préférés.
Je vois que l’heure tourne alors juste avant qu’on se quitte, pourrais-tu nous révéler l’origine de ton nom de scène ‘Sever’ ? Tu l’as ajouté à ton patronyme à la création de Sumo Cyco, j’imagine qu’il y a un rapport…
Oui, c’est vrai. Quand Matt et moi avons lancé Sumo Cyco, on redoutait un peu de ne pas être pris au sérieux à cause de ma carrière dans la pop. J’ai rassuré Matt en argumentant que beaucoup de gens dans le milieu de la musique metal n’étaient même pas au courant de mon existence ! Et qu’il suffirait de me trouver un surnom pour me créer une sorte d’alter ego. Alors on s’est amusés à tourner une vidéo dans laquelle je me kidnappais moi-même — en fait c’était Sever qui kidnappait Skye pour aller l’enfermer dans une cage au fond d’un grenier. Des fans ont réagi et il y en a même eu pour dire que Skye était morte en 2011 à l’arrivée de Sever et de Sumo Cyco !
Dans ce cas, longue vie à Sever, et merci beaucoup pour cette interview !
(Rires) Merci à toi pour l’intérêt que tu portes à notre groupe. Take care !
Propos recueillis en avril 2021. Les chansons qui illustrent l’article sont extraites de l’album Initiation (ci-dessous, le making-of du clip Vertigo et un autre extrait, Bad News). Tous les autres clips du groupe sont à visionner ici.
Remerciements à Magali Besson (Sounds Like Hell Productions) et Hakan Halac (Napalm Records).