C’est une espèce de tradition : quand arrivent les fêtes de fin d’année, nous avons rendez-vous avec Sissi et l’empereur François-Joseph. Oui mais cette fois, pas à l’occasion d’une énième rediffusion des films avec Romy Schneider (enfin, jetez un œil sur le programme télé, on ne sait jamais), mais grâce à Viribus Unitis, quatrième LP de Dragony. Un album-concept de power metal symphonique tout entier consacré à une vision délirante et alternative de l’Histoire. Direction Vienne, où nous avons fait quelques pas de valse avec Herbert Glos, le bassiste du groupe autrichien.
Khimaira : C’est le premier album que Dragony sort sous le label Napalm Records. Est-ce que ça a changé quelque chose pour le groupe en termes d’enregistrement ?
Herbert Glos : On a pu disposer de tout le temps nécessaire pour le peaufiner. Non pas qu’on ait connu plus de pression auparavant avec notre ancien label, mais on tenait à monter d’un cran en termes de qualité de son et de composition. Quand on a su qu’on ferait l’album avec Napalm, on s’est montrés encore plus ambitieux que d’habitude, on a retravaillé les compos et ils nous ont vraiment laissé le champ libre pour travailler.
Réussir à enregistrer un album en 2020, c’était quand même un sacré défi à relever, non ? Pas évident de se retrouver tous ensemble pour composer…
En fait, la plus grosse partie de l’écriture a lieu en 2019, donc avant la pandémie. Cette année, on a surtout fait le tri parmi ce qu’on avait composé pour décider de ce qu’on allait garder pour le nouvel album. Il restait du travail à faire, bien sûr, et on l’a réalisé en ligne : chaque membre du groupe a choisi ses instruments préférés pour retravailler les démos — à la guitare ou avec des logiciels comme Q Base ou Pro Tools — et les a ensuite envoyées aux autres.
Il en résulte un album-concept qui tourne autour de l’empereur François-Joseph et de son épouse, l’impératrice Sissi. J’ignore la perception qu’ont les Autrichiens de ce couple historique, mais en France on les associe surtout à la trilogie de films kitch des années 1950 avec Romy Schneider…
(Rires) Oui, c’est aussi un peu le cas en Autriche ! On tenait beaucoup à refaire un album-concept, comme aux débuts du groupe avec l’album Legends, avec une histoire à raconter au fil des chansons, d’un bout à l’autre du CD. Et un jour notre chanteur, Siegfried, nous a proposé cette idée d’une version alternative de l’Histoire de l’Autriche, et nous sommes tous tombés d’accord pour travailler à partir de ce sujet. Il y a beaucoup de groupes de metal qui s’inspirent de thèmes historiques — Serenity, Sabaton et d’autres — et on s’est dit « pourquoi pas en faire de même ? », mais à notre manière. Dans Dragony, on est tous fans de films comme Inglourious Basterds ou Abraham Lincoln, chasseur de vampires, des films qui partent de la réalité historique pour aboutir à des scénarios purement fictifs, et on a imaginé l’album en puisant dans cette veine.
L’artwork de la pochette est superbe. Pourrais-tu nous présenter ces différents personnages ?
Le visuel de l’album a été réalisé par Lucian Markovich, un artiste serbe dont le style correspond exactement à ce qu’on recherche (c’est déjà lui qui s’est occupé de l’artwork de notre LP précédent, Masters Of The Multiverse). L’image représente les cinq personnages principaux de l’album : tout en haut nous avons le roi Rudolf, qui se dresse au-dessus des autres personnages tel un marionnettiste, comme s’il tirait des ficelles invisibles ; tout à droite il s’agit du magicien Houdini, dont la magie joue un rôle important dans notre histoire ; à côté d’Houdini, Nikola Tesla, le « sorcier » de l’électricité qui est si populaire encore aujourd’hui ; au centre de l’image l’empereur François-Joseph dans son armure cyberpunk, conçue par Tesla. Et tout à gauche, l’impératrice Sissi, revenue d’entre les morts, possédée par un démon, et qui est devenue un zombie !
L’armure de François-Joseph fait un plus steampunk que cyberpunk, je trouve…
Disons qu’il y a un peu des deux : la technologie steampunk fait appel à la vapeur, tandis que dans notre version parallèle de l’Histoire, c’est l’électricité qui est mise en œuvre.
Ce serait fabuleux de voir tous ces personnages évoluer dans un prochain clip…
Ce serait génial, oui, mais difficilement réalisable pour nous en termes de budget ! Pour mener à bien ce projet d’album, on a lancé un appel à contributions via une campagne de crowdfunding sur Kickstarter. Tout s’est déroulé à merveille, la somme récoltée a dépassé nos objectifs mais on a préféré mettre l’argent supplémentaire dans l’enregistrement et la qualité du son plutôt que de le réserver, par exemple, au financement de clips vidéo.
Dans le précédent album de Dragony, il y avait cette chanson, « If It Bleeds We Can Kill It » — un hommage à la fois à Arnold (et au film Predator) et au heavy metal des années 1980, avec beaucoup de synthé. On trouve un titre semblable, « Made Of Metal », dans le nouvel album. Que représente la décennie 80 pour le groupe ?
Dans Dragony, nous sommes tous fans des années 1980 ! Une décennie marquée par une ambiance très particulière, avec un son et un feeling qu’on a essayé de reproduire avec « Made Of Metal ». On n’est pas les seuls à faire ça, on peut citer d’autres groupes — Beast In Black, Metal Beast… Pour ma part, je suis né en 1989, notre chanteur en 1985, on n’a pas vraiment vécu cette période mais elle a quand même, rétrospectivement, marqué notre imaginaire : elle représente à nos yeux la décennie majeure du rock, avec l’apparition des concerts énormes dans les stades et des tournées mondiales… Oui, vraiment, la grande décennie du rock !
On n’entend pas que Siegfried Sammer dans Viribus Unitis, j’ai reconnu la voix de Georg Neuhauser, de Serenity. Y a-t-il d’autres chanteurs invités dans l’album ?
Georg est le seul invité en tant que soliste, sinon nous avons convié Michele Guaitoli et Alessia Scoletti de Temperance pour enregistrer les chœurs. On les entend dans tous les titres.
Le Beau Danuble bleu de Johan Strauss en ouverture du CD, est-ce un hommage au patrimoine musical de l’Autriche ?
Il y a un peu ça : Le Beau Danube bleu est une pièce de musique classique mondialement connue, notamment chez les Autrichiens, et quand on pense à ce morceau on pense automatiquement à l’Autriche. Traditionnellement, on le passe à minuit au Nouvel An, et on valse si on est en couple.
Et l’album se clôt sur une reprise d’une chanson de Rainhard Fendrich, intitulée « Haben Sie Wien schon bei Nacht gesehen ». Un artiste et un titre qui sont sans doute beaucoup plus connus en Autriche qu’ailleurs…
Oui, comme on le dit parfois, Rainhard Fendrich est une star mondiale en Autriche ! La chanson parle de l’Autriche, et plus spécialement de Vienne — le titre signifie « Si vous voyez Vienne la nuit ». Chez nous, tout le monde connaît ce titre. On s’est dit « tiens, et si on en faisait une reprise dans une version metal ? ».
Il y a quelque temps, j’ai enregistré une interview avec Clémentine Delauney, la chanteuse de Visions Of Atlantis, et il se trouve que tu es aussi le bassiste de ce groupe-là. Avec Clémentine, nous avons beaucoup parlé du DVD live de VoA sorti cet automne, enregistré en Allemagne avec un orchestre symphonique. Quel souvenir gardes-tu de cette soirée au Bang Your Head! Festival ?
Ce fut vraiment une soirée très particulière, exceptionnelle. Avant d’entrer en scène, j’étais nerveux comme jamais auparavant, parce que c’était une soirée de première pour plusieurs raisons : on n’avait encore jamais joué en tête d’affiche dans un festival de cette ampleur, et c’était la première fois également qu’on était accompagnés d’un orchestre classique… Bref, j’étais sur des charbons ardents, toute l’équipe également, on craignait que rien ne se passe comme prévu. Et puis une fois sur scène, on a commencé à jouer et, à partir de là, tout s’est déroulé de la manière la plus fluide et naturelle possible ! Au bout de deux ou trois chansons, toute la tension accumulée s’est évanouie et j’ai pu profiter pleinement du moment. C’était magique ! Et je suis très heureux qu’on ait pu filmer ça et le sortir en DVD.
Est-ce une expérience que Dragony serait prêt à tenter, jouer sur scène avec un orchestre symphonique ?
Oui, cela fait même déjà partie de nos projets. En fait, Visions of Atlantis aurait dû se produire à nouveau cette année avec un orchestre dans plusieurs festivals, et on espère que ça pourra avoir lieu en 2021. Quant à Dragony, on avait aussi prévu quelque chose de cet ordre-là, mais voilà, c’était avant la pandémie… Mais ça reste dans nos ambitions, sans qu’on puisse dire pour l’instant où nous le ferons.
Pour terminer, quel est le dernier album que tu as découvert ?
Eh bien… je crois qu’il s’agit d’Apex d’Unleash The Archers. C’est un groupe avec lequel j’ai tourné — avec Visions of Atlantis — en début d’année aux États-Unis. Je les connaissais déjà avant, mais j’avais écouté seulement quelques chansons, et je les ai vraiment découverts à cette occasion-là. J’adore aussi leur single « Northwest Passage ». Et sinon, j’ai aussi écouté récemment avec intérêt Wintersaga, le dernier album de Wind Rose.
Et quel est le dernier album que tu as adoré, de la première à la dernière note ?
De la première à la dernière note… (temps de réflexion) Space 1992: Rise of the Chaos Wizards de Gloryhammer.
Gloryhammer, c’est un groupe pour lequel l’humour compte énormément. Un peu comme Dragony, non ?
Ce n’est pas faux, mais je tiens à nuancer : avec Dragony, nous portons un regard lucide sur notre travail, nous prenons notre musique au sérieux. Mais on a aussi envie que les gens qui nous écoutent prennent autant de plaisir à le faire que nous lorsque nous jouons. Et qu’ils s’amusent tout autant. Le meilleur moyen qu’on ait trouvé pour ça est d’interpréter notre musique avec une note d’espièglerie, comme si on faisait de petits clins d’œil au public.
Propos recueillis en décembre 2020. Special thanks to Lisa Gratzke (Napalm Records Berlin).
Sortie de l’album Viribus Unitis le 15 janvier 2021.