Peut-on imaginer que de sinistres individus, membres d’une société secrète néonazie, explorent les sous-sols non moins cachés de l’Opéra Garnier ? La réponse est oui concernant Cassandre Cain, jeune auteure française dont le tout premier roman, Le Foyer de Thémis, est paru en juin aux éditions Nutty Sheep.
Nous sommes donc à Paris, et l’auguste opéra, inauguré en 1875, est comme le second foyer de Myriam, 21 ans, dont la maman n’est autre que la directrice de la danse de l’établissement. Depuis toute petite, Myriam fait évoluer sa silhouette gracile entre les colonnes, les ors et les marbres, des richesses architecturales que bientôt elle ne pourra plus admirer : atteinte d’un glaucome, la jeune femme est menacée à court terme de cécité. Sa rencontre avec un chorégraphe énigmatique lui apporte un espoir : attiré par les charmes de l’étudiante, l’homme assure qu’il saura faire jouer ses relations influentes pour que les yeux de Myriam soient sauvés…
Nul besoin de savoir lire entre les lignes pour saisir de quoi il retourne : le bonhomme, qui prend son pied à filmer les entrechats des petits rats, est un adepte des plaisirs cruels et raffinés, il entend bien initier la « superbe lolita » à des jeux où le désir de soumission de Myriam sera copieusement mis à profit. Il y a donc quelques passages sulfureux dans Le Foyer de Thémis, des moments érotiques mais, que cela soit clair, non pornographiques. Le but de Cassandre Cain n’est pas de dépeindre dans les moindres détails des rapports sadomasochistes (à l’image, par exemple, du célèbre roman Le Lien de Vanessa Duriès), mais plutôt d’inscrire la relation amoureuse perverse dans un cadre plus large où l’on retrouve les charmes cinématographiques des séries B : le chorégraphe a des accointances avec la troupe néonazie mentionnée plus haut, l’intrigue s’enrichit d’un disque mystérieux dissimulé quelque part dans l’opéra et recherché activement par les fachos…
Tout n’est pas parfait dans ce premier roman dont la pagination brève — 150 feuillets qui filent à toute allure — ne permet pas à Cassandre Cain d’explorer de nombreux méandres. Une histoire par conséquent plutôt linéaire, à la narration parfois un rien trop elliptique ou précipitée, mais qui parvient à séduire par des partis pris d’écriture prometteurs : en accord avec les contours cryptiques de l’histoire, riche d’ésotérisme, la plume de l’auteure fait fourmiller des vocables rares et précieux, comme chipés aux vers hermétiques des poètes symbolistes. Une élégance de lexique qui forme un contrepoint piquant aux personnages et situations très « cinéma bis » du roman. Inspirés par les méthodes pourtant très discutables des méchants de l’histoire, nous nous sommes dit que nous aurions les moyens de faire parler Cassandre et lui faire tout avouer des sources de son inspiration. Quart d’heure d’interrogatoire poussé dans le secret des caves voûtées de Khimaira.
Khimaira: Cassandre, tu vas devoir dire toute la vérité et rien que la vérité. À te lire, on comprend que tu n’as rien contre des immersions régulières dans l’univers du cinéma de genre et des séries B, voire du cinéma d’exploitation… Ne mens pas, et donne-nous des titres.
Cassandre Cain : Tout d’abord je tiens à te remercier, Julien, pour avoir exploré jusqu’au bout l’univers mystique du Foyer de Thémis ! Je vois que tu as l’œil du tigre comme le personnage de Chris… Tu as raison, je me confesse, certains films de série B ont marqué ma rétine d’images cuisantes mais pour moi ce sont des chefs-d’œuvre de kitsch. Je te donne quelques exemples de films que j’apprécie : Les Vierges de Satan avec Christopher Lee (The Devil Rides Out en v.o.), Opera d’Argento et d’autres moins recommandables qui sont sûrement introuvables maintenant comme Ilsa she wolf of the SS ou Cradle of Fear avec le chanteur de black metal Dani ! Ce sont des films qui jouent beaucoup sur l’imagination, le fantasme et la peur.
Les multiples chapitres dans l’Opéra Garnier suggèrent que tu connais bien l’endroit. Peux-tu nous raconter ce que tu es allée y faire ?
Pour être tout à fait franche, je n’avais jamais visité l’Opéra Garnier avant d’avoir terminé mon livre… Et devine quoi ? J’ai ressenti le même sentiment qu’Anna dans Le Syndrome de Stendhal. J’aime les décors baroques et surchargés à l’image des nombreux films adaptés du Fantôme de l’Opéra ou le clip avec Sarah Brightman.
C’est grâce à mon maître de recherches que je me suis plongée dans l’antre du chant lyrique parisien. Quand j’écris je pars souvent d’un lieu. Je vois ce lieu comme une matrice, comme une énorme bête qui va m’aspirer pendant des mois (tu vois l’énorme Moloch du film Metropolis ?). Je dois la dompter avant que ce ne soit elle qui me dompte. C’est une course contre la montre qui oriente chacune de mes minutes, c’est une danse macabre qui m’inspire, me repousse et m’attire. Le métier d’écrivain est très vampirique en cela qu’il ne s’agit ni plus ni moins d’échanges de fluides vitaux.
Les décors grandioses et sacrés contrastent avec l’horreur que j’ai besoin d’exprimer et participent pleinement à la catharsis. À la fin de l’histoire, on est rassuré et on comprend que c’est une mascarade. Mais comme dans Eyes Wide Shut de Kubrick, on sait qu’on a eu chaud et qu’on a laissé un fragment de notre âme quelque part dans un miroir ou bien que quelqu’un nous a vu sous un masque…
Ce M. Marc Belmor, le chorégraphe S&M du roman, est-il une pure création ou bien t’es-tu inspirée d’une silhouette existante ? Tu mentionnes Serge Gainsbourg lors de sa première apparition dans l’histoire…
Le mal est partout sur terre mais l’Art aussi. Les rites de toutes religions confondues sont essentiels pour moi. Les symboles sont universels et peuvent nous diviser ou nous rassembler selon ce qu’on décide d’y projeter. Le personnage de Marc Belmor est celui qui m’a demandé beaucoup d’observation. On pense qu’il est maléfique avec ses airs d’homme ténébreux. Il représente l’Argent alchimique des apparences qui attire. Mais il y a un autre personnage doré qui le compense et qui va s’avérer être le pilier de l’expérience initiatique de Myriam.
Dans la critique ci-dessus, j’ai mentionné un titre de roman signé de la défunte Katia Ould-Lamara, alias Vanessa Duriès. Connais-tu ce livre et ce qu’il contient ?
Mon roman est un récit à clef (il y a d’ailleurs une anagramme d’un auteur connu dans un prénom). Il peut se lire comme une romance SM à la Histoire d’O (ou comme Le Lien de Vanessa Duriès que je ne connais pas et qui m’attire déjà). Le récit du Fantôme de l’opéra de Gaston Leroux est d’ailleurs proprement BDSM soft… Mais Le Foyer de Thémis s’adresse aussi aux Initiés qui connaissent le sens et le poids des symboles. Il ouvre des portes aux profanes qui ont la volonté d’accéder à de nouvelles connaissances.
En effet, les symboles ésotériques pullulent dans les pages du Foyer de Thémis, dont les personnages affectionnent ce type de représentations. Es-tu toi-même férue des formes de langage accessibles uniquement à des initiés ? Serais-tu à même de servir de guide à des petits curieux désirant faire une excursion dans le Paris ésotérique ?
Guide, moi ? Oui mais dans un Paris qui n’existe que dans mes fantasmes les plus délirants ! Le Paris que j’aime est composite, il est rêvé… Ce sont les trésors architecturaux du XIXe siècle où Papus discute avec Flammarion devant la Tour Saint-Jacques et imaginent un endroit mystique préservé de la modernité décadente. Pourtant le progrès a du bon, même si je reste souvent sur un modernisme nostalgique des années 80 à l’ambiance « batcave ». Le bar du roman est un hommage au Marquis de Sade, un endroit rennais où les soirées vinyles nous permettaient de vivre de purs moments de folie extatique.
Parfait, nous allons pouvoir te laisser partir… Si la situation sanitaire le permet, les lecteurs et futurs lecteurs du Foyer de Thémis pourront-ils bientôt te rencontrer à la faveur de salons du livre ou de festivals et conventions ?
Pour les salons, ce sera avec plaisir. Comme je réside en Bretagne, il y a plus de chances que je croise mes lectrices et lecteurs par là. Allez donc faire un tour à Livr’à Vannes en septembre ! Sur ce, je retourne tailler ma pierre et sculpter mes mots dans mon cabinet de curiosités dans les murs de la Cité corsaire…