La recherche d’un nouveau logement est une mine d’or pour certaines émissions de télé-réalité, mais placé en d’autres mains, le thème de la quête immobilière peut fournir une parfaite matière à cauchemar. Il en va ainsi de l’expérience menée par l’Irlandais Lorcan Finnegan, qui prélève un couple de primo-accédants de leur milieu ordinaire pour s’amuser à les faire évoluer sous cloche. Présent dans la compétition du dernier Festival de Gérardmer, Vivarium sera la semaine prochaine dans les salles. Interview.
Khimaira: Bonjour Lorcan. Avec Vivarium, vous avez signé un film d’aspect très onirique, mais le rêve tient surtout du cauchemar…
Lorcan Finnegan: En fait, j’ai voulu dépeindre une situation réaliste mais éclairée d’une telle manière qu’on prenne conscience de son étrangeté. En l’occurrence montrer que la façon dont on vit, parfois, peut s’avérer vraiment bizarre lorsqu’on la considère d’un œil différent. Certains quartiers résidentiels, par exemple, avec leurs maisons alignées et toutes semblables, ressemblent plus à des cimetières qu’à de véritables de lieux de vie.
C’est la même étrangeté qu’on peut observer, par exemple, dans les tableaux de René Magritte et d’Escher, dont on peut mesurer l’influence dans l’aspect visuel du film…
C’est vrai, leurs œuvres sont vraiment étonnantes. Le décor surréaliste de Vivarium est en rapport étroit avec l’esthétique des tableaux de Magritte. On a sous les yeux un univers très « fabriqué » et irréel. Tout a l’air factice. Et un tableau comme L’Empire de la lumière s’est imposé comme une référence, dès l’écriture du script.
Les grosses pommes vertes, au milieu de la table de cuisine, sont aussi un motif cher à Magritte…
(Rires) Oui, exactement ! C’est drôle, c’est la première fois que j’entends quelqu’un relever ce détail.
Il y en a sûrement d’autres que je n’ai pas remarqués… Les rôles principaux sont joués par Imogen Poots et Jesse Eisenberg, des comédiens renommés qui sont également crédités dans le générique en tant que producteurs exécutifs. Pourriez-vous m’en dire plus ?
Pour réussir à mettre sur pied un long métrage comme celui-ci, avec un scénario insolite et nécessitant des moyens importants à cause de son aspect visuel et les effets spéciaux que cela induit, il est très utile d’avoir l’appui de comédiens connus pour convaincre des producteurs de financer le tournage. Et c’est ce qui s’est passé avec Vivarium : quand Imogen et Jesse sont arrivés sur le projet, ils m’ont aidé à trouver l’argent pour faire le film, d’où leur présence au générique en tant que producteurs exécutifs. Mais ils n’ont pas été impliqués dans l’écriture ni la mise en scène. Au cours de la préparation du tournage, on a bien sûr discuté des personnages, procédé ensemble à quelques ajustements, modifié quelques répliques… mais rien d’inhabituel ni de fondamental.
Comment avez-vous trouvé le jeune comédien qui joue le fils du couple ?
Ça n’a pas été évident de trouver un garçon de sept ans qui, à la fois, ait l’air d’un parfait petit chérubin et qui, même en restant très calme et immobile, puisse susciter un sentiment d’inquiétude. Il fallait aussi qu’il ait des talents de mime. Et nous sommes tombés sur Senan Jennings, à qui on a remis le scénario et qui, après lecture, nous a fait parvenir une vidéo de lui-même jouant une scène. Il a vite pigé ce qu’il fallait faire, et dès sa première audition, j’ai su qu’on avait tiré le bon numéro ! Nous lui avons fait jouer la scène où il s’adonne à plusieurs figures de mime, où il doit rejeter la tête en arrière en roulant des yeux, et il s’en est tiré à merveille.
Sur le plateau, est-ce qu’il a été facile à diriger ?
Très facile : je n’avais qu’à lui donner que des indications minimalistes — reste sans bouger, tourne un peu la tête, souris légèrement… Quand il s’agissait de hurler — c’est le cas plusieurs fois dans le film —, je n’ai eu qu’à lui demander de baisser un peu la note pour que le cri ne soit pas trop strident. Et voilà ! En outre, il s’est parfaitement entendu avec Imogen Poots et Jesse Eisenberg. Entre les prises, même pendant le tournage des scènes où il a l’air flippant, il courait sans cesse vers eux pour leur faire des câlins… Sa maman m’a dit qu’avant que débute le tournage, lorsque Senan se préparait pour le rôle, il l’accompagnait au marché lorsqu’elle allait y faire ses courses et il s’amusait à mimer les attitudes des gens dans les allées ! Ça a été un plaisir de faire le film avec lui.
Avait-il déjà une expérience de comédien avant Vivarium ?
Je crois qu’il avait tourné un film avant celui-ci et sinon quelques publicités pour la télé… Des spots où il devait jouer les mignons petit garçons !
Son personnage, quand il est plus âgé, est ensuite joué par un autre comédien. Comment avez-vous mis au point la continuité entre les deux acteurs ?
Cela s’est beaucoup joué au niveau du son. Pour accentuer discrètement l’étrangeté du garçon, on a travaillé sur sa voix : au moment du montage, Jonathan Aris, qui interprète l’agent immobilier au début de l’histoire, a réenregistré toutes les répliques de Senan et nous avons mixé les deux voix ensemble. Donc, lorsqu’on entend Senan parler dans le film, ce n’est pas tout à fait sa voix mais un mélange des deux timbres. Ensuite, quand le personnage du garçon grandit et que le rôle est joué par Eanna Hardwicke, on a carrément mélangé les trois voix — la sienne, celle de Jonathan Aris et celle de Senan. D’où une continuité vocale entre les comédiens.
Du point de vue des parents, ce doit être perturbant d’élever un enfant qui ne ressemble en rien à ce qu’ils sont…
C’est vrai, ça doit faire peur mais ce cas de figure existe dans la nature et là, on rejoint l’image du coucou qui ouvre le film : cet oiseau pond ses œufs à l’intérieur des nids d’autres espèces, et l’oisillon, une fois l’œuf éclos, se comporte à la manière d’un parasite en étant nourri par ses parents d’adoption. L’espèce étrangère dans Vivarium se comporte de la même façon, et sans états d’âme. Ils font ce qu’ils ont à faire, et c’est tout.
L’histoire est très sombre mais le film contient beaucoup d’humour. Était-il nécessaire qu’il y en ait autant ?
Oui, dans la mesure où ce qui arrive aux personnages tient de la farce noire, comme la vie elle-même ! Et puis l’horreur et la comédie sont très liés : dans les deux cas, on cherche à provoquer une réaction forte chez le public, et on n’est d’ailleurs jamais sûr à 100% de ce que ça va donner. J’aime bien aussi dépeindre une situation humoristique et qui, doucement, dévie vers quelque chose d’inquiétant… Maintenant l’humour dans mon film est aussi là pour servir de soupape, pour permettre aux spectateurs d’accepter l’étrangeté de ce qui se passe sur l’écran. Je ne voulais pas qu’il y ait de coupe brusque entre l’univers quotidien des personnages, au début du film, et le monde bizarre dans lequel ils échouent. Il fallait au contraire que la transition soit douce et fluide, et l’humour permet d’atteindre ce résultat.
La possibilité d’une fin heureuse était-elle totalement hors de propos ?
On m’a déjà fait la remarque… Plusieurs personnes m’ont demandé s’il aurait été possible qu’à la fin, Gemma [le personnage joué par Imogen Poots — NdR] réussisse à tout changer, à briser le cycle. On peut tout envisager, mais de mon point de vue de scénariste cette orientation n’était pas satisfaisante du tout. Et puis ça ne correspond pas à la réalité : l’existence est faite de cycles. Le cycle de la vie, bien sûr, l’économie… Les guerres, aussi : quand un conflit s’achève, on se dit que c’était « la der des der », et puis les années passent, les gens oublient et tout recommence. Aller contre ça en ménageant une autre fin aurait été contraire à la logique de l’histoire.
Je ne sais rien de vos projets futurs, mais en tant que cinéaste irlandais, aimeriez-vous chercher l’inspiration du côté des motifs et personnages de la mythologie celtique ?
Oui, bien sûr. Mon court métrage Foxes se rapprochait déjà de certains aspects de la culture irlandaise ancestrale, qui accorde beaucoup d’importance à la proximité nécessaire de l’homme avec la nature. Dans Vivarium, on retrouve un peu cette thématique, avec des personnages qui vivent coupés de la nature. Il n’y a pas un arbre à l’horizon, ils ne consomment que de la nourriture emballée… Alors oui, l’idée d’un film qui puise dans le folklore irlandais me plairait beaucoup, en remontant pourquoi pas jusqu’à une période très ancienne, païenne et pré-chrétienne. Mais ce ne sera sans doute pas mon prochain film, qui s’intitulera Nocebo — par opposition à « placebo ». Un suspense fantastique qui parle de « fast fashion », de l’exploitation de l’Orient par l’Occident. On y suit l’histoire de designers de mode et de femmes philippines dont les existences vont se retrouver mêlées d’une manière surnaturelle. Je viens de terminer l’écriture du scénario et je l’aime beaucoup.
Propos recueillis en février au 27e Festival du Film fantastique de Gérardmer. Retrouvez la chronique du film dans notre compte rendu du festival. Un très grand merci à Zvi David Fajol de Mensch Agency pour l’organisation de cet entretien.
Sortie de Vivarium dans les salles françaises le 11 mars 2020.
En bonus de cet article, Foxes (2014), le court métrage dont Lorcan Finnegan nous parle dans l’interview et qui apparaît comme la matrice de Vivarium, avec un décor de quartier résidentiel très inquiétant. L’enfilade de pavillons individuels déserts n’est pas une création de studio : le quartier lugubre existe bel et bien, sorte de ville fantôme comme il en existe ici ou là en Irlande, tous des chantiers inachevés et laissés à l’abandon suite à la crise financière de 2008. Bon visionnage ! Si vous aimez Foxes, vous aimerez sans doute Vivarium…