Trois auteurs phare de la littérature jeunesse française donnent leur point de vu sur le phénomène Harry Potter : 

 

"  Jean-Philippe Arrou-Vignod, Erik L’Homme et Fabrice Colin nous livrent à travers leurs témoignages ce que la saga représente pour eux : " Source Gallimard Jeunesse

 

Trois auteurs phare témoignent de l’influence de Harry Potter

Si l’on vous dit Harry Potter, vous répondez ?

J-P. A-V. : Une baguette magique à faire lire.

F. C. : Le petit gars à lunettes qui m’a permis, in fine, d’écrire un roman de 630 pages. Le petit gars que ma fille de huit ans vient d’adopter à son tour. Un passeur, assurément.

E. L’H. : C’est la grande revanche ! Celle de la littérature imaginaire qui l’emporte sur la littérature sociale qui ennuie ; celle de l’écriture dégagée et revalorisante sur l’écriture engagée et moralisatrice ; celle des premiers de la classe dépréciés sur les cancres portés aux nues ; celle des maigrichons à lunettes sur les gros pleins de muscles ; celle des naïfs qui croient en la magie sur les esprits forts qui ricanent…

Quelle a été votre rencontre avec ce jeune magicien ?

J-P. A-V. : J’ai toujours adoré les histoires de pensionnat, des Disparus de Saint-Agil au délicieux Bennett d’Anthony Buckeridge. Quand j’ai rencontré Harry Potter et les collégiens de Poudlard, ils m’ont été aussitôt familiers, comme si je reconnaissais en eux les cousins de ces amis de mon enfance.

F. C. : Une amie m’avait rapporté le premier tome d’Angleterre – le seul, à l’époque ; il y avait un train en couverture, me semble-t-il. Je ne comprenais pas pourquoi elle était si excitée. J’ai fini par ouvrir Harry Potter à l’école des sorciers pendant les vacances. Alors, j’ai compris.

E. L’H. : Un soir d’hiver, en février 2000, dans un refuge du Vercors. J’avais emporté le premier tome des aventures de Harry dans mon sac à dos. J’ai dévoré le livre à la lumière de ma lampe électrique, blotti dans mon duvet. J’ai immédiatement :
1. regretté de ne pas avoir emporté les deux autres volumes parus,
2. remercié mon esprit pratique d’avoir pensé aux piles de rechange…

Que représente pour vous cette saga devenue référence ?

J-P. A-V : Un tournant majeur dans l’histoire de la littérature de jeunesse : pour la première fois, enfants, adolescents et adultes se sont partagé le même livre avec la même impatience et la même jubilation.

F. C. : En termes d’intensité, de construction narrative : un tour de force, tout le contraire d’un effet de mode. À l’instar d’un Spiderman ou d’un Peter Pan, Harry restera. En termes éditoriaux : une série qui a donné, ou redonné, à des millions de jeunes le goût de lire, et qui a établi un lien nouveau entre les ados et leurs parents. De cela, nous, auteurs, ne pouvons être que reconnaissants.

E. L’H. : Une porte ouverte. Les prémices d’un possible réenchantement du monde. Au moins dans les esprits !

Les aventures de Harry Potter vous ont-elles influencé dans votre métier d’écrivain ? En quoi ?

J-P. A-V : Les aventures de Harry Potter sont venues opportunément rappeler l’importance des histoires. Elles montrent aussi à l’évidence que rien ne vaut le détour par l’imaginaire pour parler aux lecteurs d’eux-mêmes et du monde qui les entoure. Deux vérités dont chaque romancier ne peut que s’inspirer dans son travail quotidien.

F. C. : Influencé, pas consciemment. Elles m’ont montré, ou rappelé, que l’on peut prendre tous les risques dès lors que l’on croit à son histoire. Traiter le lecteur avec sincérité, sans calcul, faire confiance aux grands thèmes, surtout, aux symboles, aux personnages… Harry Potter a agi sur moi tel un révélateur.

E. L’H. : C’est après la lecture des trois premiers tomes de Harry Potter que j’ai eu envie d’écrire mon Livre des Étoiles…

Pensez-vous qu’il y ait un « avant/après » Harry Potter ? Pourquoi ?

J-P. A-V : Indubitablement. La série fusionne tant de genres romanesques différents (apprentissage, aventure, merveilleux, satire sociale… ) qu’elle a ouvert toute grande la porte des livres à une génération de lecteurs. Après Harry Potter, lire n’est pas bien sorcier.

F. C. : On peut maintenant composer des romans énormes, des sagas au long cours – on peut mêler archétypes immuables et vraie modernité, intrigues de lycée et histoires de gargouilles… Harry Potter a officialisé le fait que, contrairement à ce que l’on avait pu penser, les adolescents sont capables de lire des milliers de pages sans avoir l’impression de produire un effort.

E. L’H. : Oui, il y a un avant et un après. Pour les lecteurs, qui ont réappris à lire de gros livres et qui ont redécouvert les possibilités infinies de l’imagination. Pour les auteurs jeunesse, qui ont eu la confirmation qu’ils étaient de vrais écrivains. Pour les éditeurs, qui ont vu leur secteur jeunesse exploser. Pour les Moldus, enfin, qui savent désormais que le train pour Poudlard part du quai 9 3/4.