C’est avec un enthousiasme presque fébrile que le chroniqueur s’empare de ce second tome de Blackwing : salué par une pluie de louanges à sa sortie, le premier volume, La Marque du corbeau, nous a fait découvrir l’an dernier l’univers sombre, cru et violent de Ryhalt Galharrow, chef-capitaine des « Ailes noires » de la ville de Valengrad. Le Cri du corbeau marque donc nos retrouvailles avec cet authentique spécimen punk de guerrier de fantasy, à l’existence rude et la voix rauque, buvant comme un trou mais toujours d’attaque pour passer au fil de sa lame les individus les moins recommandables de sa cité fortifiée. Reviennent également Tnota, le navigateur, capable de voyager sans s’égarer dans les vastes terres hostiles de la « Désolation », et Nenn, sœur d’armes du héros et farouche combattante, qui échappa de très peu à la mort dans la conclusion de l’épisode précédent. Quatre ans ont passé, et la petite compagnie des Ailes noires s’est enrichie des talents de Valiya, qui en pince pour Galharrow, et d’Amaira, orpheline de 14 ans que le capitaine a pris sous sa protection. Les Ailes noires vont devoir contrer une nouvelle menace mortelle pesant sur Valengrad, tandis qu’un culte singulier émerge peu à peu, attirant ceux, de plus en plus nombreux, qui voient apparaître à leurs yeux un mystérieux fantôme que tous surnomment la Dame lumineuse…
Relever le défi d’un second volet aussi réussi, dense, cruel et créatif que le précédent n’était pas une mince affaire, et le Britannique Ed McDonald s’en tire haut la main avec une histoire passionnante qui, si elle se déroule dans un monde de pure fantasy, en raconte des pages sur nos sociétés terriennes bien réelles et leurs vicissitudes. L’ascension politique de l’Ordre de la Dame lumineuse, néo-religion vite terreau du fanatisme, suit un mécanisme roublard aux rouages subtilement décortiqués et qui fait froid dans le dos, tel un écho des actuelles dérives extrémistes et terroristes de tout poil (la prise de pouvoir des « illuminés », lors d’un instant fatidique où tout bascule, est un chapitre intense parmi bien d’autres). Galharrow et les siens devront s’aventurer loin, très loin dans les contrées maudites et infertiles de la Désolation pour remonter aux racines du mal, lors d’une expédition infernale qui ne pourra laisser personne indemne.
Brillant, le récit à la première personne nous replonge dans l’esprit de Galharrow, nous réservant la primeur de son humour désabusé, vachard, et de quelques aphorismes édifiants sur la psychologie humaine. Le parcours du héros, non un jouvenceau en quête d’apprentissage mais un homme mûr rodé aux pires turpitudes, devient sous la plume de McDonald un calvaire quasi-christique, la souffrance sous toutes ses formes devenant le carburant grâce auquel le bonhomme (et ses deux mètres sous la toise !) s’achemine vers la vérité. Un sacré personnage, voire un personnage sacré, dont les manières souvent rudes, le franc-parler inébranlable et la couenne endurcie ne peuvent dissimuler à nos yeux une pudeur touchante et une grande noblesse de sentiments. Ed McDonald a créé un héros magnifique dont on voudrait rester longtemps les compagnons de route littéraires. Alors Ryhalt Galharrow reviendra-t-il croiser le fer et affronter à nouveau les horreurs de la Désolation ? Les ultimes paragraphes ne laissent planer aucun doute : le capitaine des Ailes noires va revenir au moins pour un troisième roman, paru il y a dix jours en langue anglaise et que d’ores et déjà on espère parfait, au même titre que celui-ci. Rendez-vous l’an prochain pour l’édition française !
En librairie depuis le 12 juin.