Le metal et la littérature sont deux compagnons de route, avec nombre de groupes s’inspirant dans leurs compositions (de power metal, surtout) des œuvres de fantasy de Tolkien, Robert Howard ou Michael Moorcock. Metallica, dans un autre style et abordant d’autres rivages littéraires, a fureté dans les pages d’Ernest Hemingway pour en tirer sa chanson For Whom The Bell tolls (dans l’album Ride The Lightning, sorti en 1985, le titre a été repris par la suite par plusieurs autres groupes) ; la nouvelle La Solitude du coureur de fond (1959) d’Alan Sillitoe a été adaptée au cinéma en 1962 mais elle est aussi à la source de Loneliness of the Long-Distance Runner, mélopée d’Iron Maiden enregistrée en 1986… N’oublions pas non plus Anthrax et The Ramones puisant dans les récits de Stephen King (respectivement pour la chanson Among The Living, qui trouve son origine dans le roman Le Fléau, et Pet Sematary, inspirée de Simetierre). On pourrait continuer cette liste encore longtemps, sans même parler des contes, légendes et autres récits mythologiques à l’origine d’autant de titres et d’albums de groupes de tonalités diverses. Un auteur, cependant, hante littéralement toute la discographie du metal, Howard Phillips Lovecraft, l’initiateur du mythe de Cthulhu et du Necronomicon, dont il nous arrive de parler régulièrement dans nos pages (par exemple ici ou là). Et rien de plus facile, pour prendre la pleine mesure de cette influence horrifique, que de se plonger dans la lecture de ce Cthulhu Metal rédigé par Sébastien Baert.
« Les concepts outranciers de Lovecraft et de sa sinistre mythologie et la nature extrême du metal s’accouplent de façon très naturelle », observe le prénommé Simon, chanteur et bassiste du groupe britannique Arkham Witch. Des propos recueillis par Sébastien Baert parmi une multitude d’autres commentaires recueillis aux quatre coins du monde : motivé par la passion autant que par un souci d’exhaustivité et d’exactitude, l’auteur a abattu un travail de fourmi, allant débusquer jusque dans des territoires reculés tous les groupes s’apparentant, de près comme de loin, à l’univers de Lovecraft. « Il me semble que ces formations s’efforcent, pour le dire simplement, de créer une ambiance sombre, et, pour le dire moins simplement, de provoquer à l’aide d’une pensée non conformiste », analyse Patrick T. Hall (du band US de black metal Sapthuran). Il poursuit : « Lovecraft est sans aucun doute le maître pour concevoir des atmosphères à la fois sombres, étranges, bizarres, extraordinaires, inquiétantes, horrifiques, dérangeantes… Le vocabulaire employé par Lovecraft et le son de certains groupes de metal semblent vraiment faits l’un pour l’autre, comme si les musiciens imaginaient la bande-son des écrits de l’auteur. »
La plupart des artistes interrogés par Sébastien Baert (par ailleurs traducteur littéraire et journaliste, ex-rédacteur en chef de Hard Rock Magazine) ont profité de leur entretien avec l’auteur pour révéler à quel moment de leur existence et par quel moyen ils ont été initiés à l’épouvante lovecraftienne. Certains sont tombés tout simplement sur un recueil de nouvelles du « reclus de Providence », mais nombreux sont ceux qui ont découvert HPL par le biais du cinéma ou du jeu de rôle. C’est notamment le cas, en France, de Florent, guitariste et chanteur du groupe bisontin Abyssal Ascendant, tombé à l’adolescence entre les griffes des « Grands Anciens » via les jeux L’Appel de Cthulhu et Horreur à Arkham et les quelques adaptations à l’écran de Lovecraft (le film à sketches Necronomicon, cosigné par Christophe Gans, ainsi que les longs métrages de Stuart Gordon, Aux Portes de l’au-delà et Re-Animator, lesquels s’avérent d’ailleurs les deux titres les plus abondamment cités par les interviewés dès qu’il est question de leurs découvertes cinématographiques). « Le monde de Lovecraft est l’un des fondements de l’univers musical de mon groupe, déclare Florent. Même lorsque nous développons nos propres thèmes, ils restent ancrés dans le background lovecraftien. »
Sébastien Baert a dégagé plusieurs grandes influences lovecraftiennes, autour desquelles il a articulé son livre. On découvre ainsi une partie consacrée au mythe de Cthulhu (« la créature hybride mélange de dragon, d’humain et de pieuvre que tout le monde adore », dixit Simon d’Arkham Witch, cité plus haut — j’adore la formule !), une autre au Necronomicon, une troisième à la nouvelle La Musique d’Erich Zann, etc. En tout douze chapitres épluchant l’effectif des musiciens du metal sous l’angle des grands textes d’HPL et du poids que ceux-ci ont eu dans leur inspiration. La formule est un peu répétitive, mais le tout est rédigé dans un style fluide, relevé de fines touches d’humour, discrètes et très plaisantes. Les 400 pages renferment également de nombreuses paroles de chansons, reproduites dans leur anglais d’origine puis traduites par les soins de Sébastien Baert. D’où un ouvrage incontournable, en tout cas pour les metalleux curieux — pléonasme ? — et en quête d’érudition sur le sujet.
Histoire de fermer la boucle, rappelons enfin que le fameux festival Hellfest, événement français annuel lui-même incontournable de la scène metal (et dont la couverture de Cthulhu Metal porte l’estampille), décerne depuis deux ans son propre prix littéraire, le « Hellfest Inferno », distinguant un ouvrage de fiction fantastique ou de fantasy. Succédant à Dragon Blood – Le Sang du dragon (tome 1) d’Anthony Ryan, l’heureux élu de 2019 (par vote Internet des lecteurs) n’est autre que l’excellent Blackwing (tome 1) : la Marque du corbeau, signé Ed McDonald, dont nous avions dit le plus grand bien l’an dernier à sa parution chez Bragelonne. La traduction française du tome 2, Le Cri du corbeau, vient d’ailleurs de sortir, nous en parlerons très prochainement…
Cthulhu Metal est disponible en librairie depuis le 12 juin 2019. Les illustrations de cette page figurent également dans le livre, dans un portfolio central de 16 pages en couleurs où l’on peut écarquiller les yeux devant de nombreuses covers d’albums.