Les sports co vous ennuient ? Vous gardez un souvenir cuisant du gymnase du collège et des coups de sifflet stridents des profs d’EPS en survêtement ? Un conseil : jetez tout de même un œil à Girls With Balls, où l’équipe féminine des « Falcons » passe des courts de volley à une séance forcée de « survival trail » dans les buissons et la rocaille. Une leçon mortelle de team spirit dispensée par le sélectionneur Olivier Afonso. Débriefing après la douche sur les divans moelleux du Festival de Gérardmer.
Khimaira : On dirait que tu as conçu Girls With Balls comme un événement joyeux, comme le spectacle idéal pour être projeté dans une salle comble un soir de festival…
Olivier Afonso : C’est exactement ça ! Il y a dix ans, je suis venu ici, à Gérardmer, et je me suis dit que ce serait génial d’écrire un film qui collerait parfaitement à l’ambiance délirante du festival, une sorte de slasher, par exemple… J’en ai parlé à mon compère scénariste, Jean-Luc Cano, qui m’a livré un premier jet, mais c’était un traitement sombre, très sérieux ! Ce n’était pas ce que je voulais : je voulais raconter une histoire fun, où on n’aurait pas une nana avec un mec armé à ses trousses, mais plein de nanas qui se feraient courser par plein de mecs (rires) ! Une approche très drôle, jouissive… Un peu plus tard, je me suis rendu au BIFFF où j’ai retrouvé la même ambiance de fête, avec un public qui rit, applaudit, qui vit littéralement le film ! C’était extraordinaire et ça m’a conforté dans mon idée. Il fallait que je tourne quelque chose capable de créer cette atmosphère-là. Un show spontané, drôle, divertissant, qui serait accueilli avec le sourire par tous les spectateurs qui vont au cinéma dans un esprit festif.
On s’est trouvés hier à la projection de Beyond Blood [documentaire sur le cinéma d’horreur français, tourné par le Japonais Masato Kobayashi — NdR], dans lequel est abordée la question, notamment, du dédain affiché, en France, par toute une frange de gens de cinéma à l’égard des films de genre et d’horreur. Girls With Balls est-il aussi une sorte de bras d’honneur adressé à toutes ces personnes si sûres de leur bon goût ?
Non, je n’ai pas conçu le film dans un esprit revanchard, plutôt dans un état de naïveté absolue : je me suis lancé dans cette aventure avec mon producteur, mon scénariste… sans jamais savoir si on arriverait à aller jusqu’au bout. À chaque étape franchie, on n’en revenait pas de s’approcher du but et de se dire que le film allait réussir à exister ! Si Girls With Balls devait prouver quelque chose, c’est qu’il est possible, en France, de concrétiser un tel projet.
As-tu déjà recueilli des réactions outrées après une projection du film ?
Oui, j’ai même reçu des lettres d’insultes concernant la scène qui impliquait le chihuahua !
Une scène que je tenais justement à aborder ! Les chihuahuas t’indisposent-ils vraiment autant ?
Pas du tout ! J’adore les chiens et les animaux en général. Face aux bêtes, je suis un vrai gamin, je les adore… jamais je ne pourrais faire le moindre mal à un animal ! Je suis végétarien. C’est amusant : au cinéma, on a le droit de montrer des choses atroces, mais jamais de s’en prendre à des animaux. Surtout s’ils sont mignons ! En fait, la scène est née d’une interrogation lancée pendant l’écriture : on s’est demandé ce qui pouvait représenter l’exact opposé du personnage du coach sportif. Et nous sommes tombés d’accord sur un chien minuscule, un chihuahua ! C’est une femelle, Rosita, qui est arrivée sur le tournage. On a d’ailleurs appris que ces animaux-là sont cardiaques, alors tout le monde sur le plateau était aux petits soins et faisait gaffe à ne pas parler trop fort pour ne pas lui provoquer trop d’émotions !
Alors que sa grande scène est vraiment violente et trash !
Je ne voulais pas verser dans le « torture porn », dans quoi que ce soit de malsain. D’un autre côté, c’est justement quand tu n’as pas peur d’exagérer que tu obtiens un résultat qui fait marrer les gens. Certains films se détournent de la violence, on y tue des personnages hors cadre, on y fait exploser des têtes sans les montrer, et ça me crispe carrément ! Il faut être honnête et généreux : si la tête d’un personnage explose, je la filme, s’il y a des impacts de balles aussi… Le tout était de trouver la bonne manière pour que tous les excès violents s’inscrivent dans une démarche au service du rire.
Y a-t-il eu des scènes écrites mais que tu n’as pas tournées en jugeant qu’elles étaient un peu too much ?
J’ai travaillé avec des gens qui ne tenaient pas à ce que le film soit trop trash, de peur qu’on s’aliène une partie du public. Il fallait donc trouver la bonne mesure. Mais je ne me suis pas censuré car dès l’écriture et la préparation du tournage, je savais par expérience où placer les curseurs en termes de violence pour ne pas cantonner le film à un public très restreint. Maintenant, il y aura toujours des mécontents qui aimeraient que ce soit encore plus extrême. Ou bien qu’il y ait plus de cul ! Mais ça, c’était hors de question : il est impossible de tourner un film qui parle de « girl power » et qui, en même temps, fasse des personnages féminins des objets sexuels. Il n’y a qu’une scène où j’ai féminisé à mort un des personnages, où je l’ai fait marcher à quatre pattes, mais c’est justement la seule fille que les mecs ne peuvent pas se taper puisqu’elle est lesbienne !
Certaines scènes ont-elles été improvisées ?
Très peu car je n’ai disposé que de 25 jours de tournage. Certaines scènes, très longues, qui mêlent action et comédie, ont dû être bouclées en une demi-journée. Par conséquent il n’y avait pas de place pour l’improvisation. Malgré tout, je tenais à ce que les dialogues aient l’air très spontané, qu’ils soient vivants, naturels, avec des personnages qui, comme dans la réalité, n’attendent pas forcément que leur interlocuteur ait fini de parler pour s’exprimer à leur tour. Au final, cela donne des dialogues un peu bordéliques, et je suis conscient que cela puisse dérouter et amener à penser que beaucoup de répliques ont été improvisées. S’il y a bien eu quelques improvisations, elles ont été dues aux contraintes de tournage. J’ai rêvé de plein de séquences que je n’ai pas pu faire à cause des conditions climatiques, à cause de problèmes de décors, d’autorisation de tournage qu’on nous a accordées puis retirées… Il a fallu tous les jours trouver des solutions et les trouver vite car on n’avait pas le temps de revenir en arrière. Dans des conditions de tournage classiques, on peut visionner les rushes le soir et éventuellement re-tourner le lendemain des plans qu’on veut améliorer. Sur Girls With Balls, c’était impossible ! Je n’ai même jamais visionné mes rushes car je savais que, satisfait ou non, je ne pourrais rien refaire. Il fallait foncer vaille que vaille, sans regarder en arrière. Un tournage très guerrier !
Un tournage guerrier dans une espèce de pampa ! Où as-tu trouvé les décors naturels ?
Le film devait être initialement une coproduction avec le Luxembourg, et il était question qu’on tourne là-bas. Mais les aléas de la production nous ont fait modifier nos plans et mon producteur, Jérôme Vidal, a lancé l’idée d’installer le tournage en Espagne, où il a l’habitude de travailler. J’ai accueilli sa proposition à bras ouverts en lui demandant de trouver un coin baigné de soleil car je souhaitais faire un film très coloré. Il m’a proposé Ténérife, dans l’archipel des Canaries ! Un endroit génial : une île, du soleil, la plage où les comédiennes ne manqueraient pas d’aller se baigner, ce qui ne pouvait que renforcer leur complicité. Mais je me suis trompé lourdement ! Pas au sujet des filles, mais au sujet du climat : Ténérife est une île volcanique, le matin le soleil brille, à midi le ciel devient gris, la température chute à 19°-20°C et, sur le coup de 15 heures, le brouillard tombe et le thermomètre ne dépasse pas 8°C ! Pourtant il fallait tourner sans s’arrêter… Malgré le manque de temps, il m’est arrivé de filmer une même scène trois fois, dans des conditions climatiques différentes, histoire de ne pas se retrouver coincés au montage avec des lumières qui ne seraient pas raccord. Malgré tout, il demeure des scènes où, d’une atmosphère ensoleillée, on passe dans la brume. Et comme par hasard, il s’agit d’un moment où la menace se fait tout à coup plus présente (rires) !
On raconte parfois que les conditions de tournage difficiles forcent la créativité…
Oui, mais il ne faut pas se mentir : je ne m’estime pas moins créatif lorsqu’on m’alloue un budget important, lorsque je peux travailler dans le confort ! L’argent ne permet pas seulement d’investir dans les décors, les effets spéciaux, etc. mais aussi de donner du temps à la réalisation. 25 jours de tournage, pour un film comme le mien, c’est peu. Certains courts métrages sont tournés en 25 jours !
La musique est très présente dans la bande son, on en entend tout le temps. Comment as-tu choisi la tonalité musicale du film ?
La musique au cinéma est très importante pour moi. J’adore les comédies musicales, et en effet mon film est lui-même très musical : les personnages chantent, des musiques passent dans les postes radio, dans les mégaphones, sur un tourne-disque… La musique est très commode pour créer une émotion, un changement dans la bande-son peut modifier le ton d’une scène du tout au tout. Dans Girls With Balls, il y a deux « couleurs » musicales : celle des filles et celle des chasseurs. Pour les filles, on a opté pour des sonorités modernes, très électro, voire aussi un peu kitch — j’aime bien aussi tout ce qui est kitch ! Les vêtements sont kitch, le camping-car bariolé fait très « Scooby-Doo », etc. —, et pour les chasseurs, la musique était primordiale pour souligner leur état d’esprit car ces personnages ne parlent pas !
As-tu toujours envisagé de ne pas les faire parler ?
Oui. Mon scénariste, Jean-Luc, est plutôt bavard, il écrit beaucoup de dialogues, mais je ne voulais pas faire parler les chasseurs car cela les aurait rendus plus humains. Or je tenais à ce qu’ils représentent avant tout une menace, de manière presque abstraite. Face à eux, les filles ont du mal à s’en sortir car il y a des tensions et de l’animosité qui parcourent le groupe, et c’est là, en définitive, que réside le vrai danger : si toutes les filles s’étaient parfaitement entendues, les choses auraient été pour elles beaucoup plus simples…
Parmi les personnages masculins, on tombe sur deux visages très connus qu’on ne s’attend pas forcément à voir dans une comédie sanglante. L’un est plus habitué au cinéma mainstream (mais on taira son nom car il s’agit d’un caméo-surprise) et l’autre c’est Denis Lavant, qui joue l’un des chasseurs et qu’on a vu plus souvent dans des « films d’auteur » très exigeants…
Denis Lavant est un comédien qui souffre. C’est un acteur exceptionnel, rigoureux, au jeu hyper-précis, et en même temps il est comme un enfant. Il s’amuse de tout, il est joyeux, espiègle, et il adorerait interpréter des personnages légers et foutraques. Mais les cinéastes ne lui proposent que des rôles très intellos. Lorsque je l’ai rencontré et qu’il a accepté de jouer dans Girls With Balls, il m’a avoué : « Tu sais, on m’a faire dire tellement de conneries par le passé… Pour une fois, je vais avoir la chance de faire tout un film en fermant ma gueule ! ». Il s’est beaucoup amusé sur le plateau, à tel point qu’une fois ses scènes tournées, il n’a pas voulu rentrer mais rester avec nous. À l’origine, Denis vient du spectacle de clowns, il sait faire passer énormément de choses par le corps, ce qui n’est pas souvent demandé aux comédiens dans le cinéma français, où l’essentiel des messages passe par le dialogue.
Et les filles, alors : comment les as-tu recrutées ?
Ce n’était pas évident pour moi car je n’avais aucune expérience de travail avec des directeurs de casting. Ceux qui ont bossé sur le film ont recueilli pas moins de 400 candidatures de comédiennes qui affichaient toutes les mêmes motivations : elles voulaient décrocher un des rôles parce que ce genre de proposition n’arrive presque jamais dans le cinéma français. On a fait un premier écrémage, on est passé à 200 comédiennes parmi lesquelles les directeurs de casting ont fait une nouvelle sélection. Enfin j’ai eu l’idée de faire des castings de groupe et je me suis rendu compte que certaines filles auditionnant seules étaient parfaites, très à l’aise, mais s’effaçaient complètement lorsqu’elles étaient intégrées à un groupe ! Et d’autres qui, au contraire, avaient un jeu un peu léger mais qui se révélaient en étant parmi d’autres. Pour le choix final, j’ai sélectionné tout simplement celles dont les personnalités correspondaient le plus aux profils des personnages. Il fallait aussi qu’elles s’entendent bien et qu’aucune ne cherche à tirer la couverture à elle.
Il fallait peut-être aussi éviter d’enrôler des visages trop connus ? Est-ce que des actrices qui bénéficient déjà d’une certaine notoriété ont essayé de décrocher un rôle ?
Bien sûr ! Les comédiennes qui ont déjà une notoriété veulent toutes participer à ce genre de film ! Mais quand elles se rendent des contraintes qu’un tel tournage représente en termes financiers, et de l’investissement que les rôles demandent, c’est une autre histoire… Alors oui, elles aimeraient tourner des films comme celui-là, mais ça reste finalement une vue de l’esprit. Sans compter que l’entourage de ces comédiennes a une influence énorme sur elles, et je ne parle pas seulement des agents, également de l’entourage familial : il y aura toujours quelqu’un pour s’exclamer « Voyons, tu ne vas pas faire un film comme ça ! » Les gens bienpensants s’avèrent souvent très nuisibles…
L’avenir ?
J’ai une foule de projets en tête — un « action movie » avec un autre groupe de nanas, une comédie familiale, un thriller psychologique sur les violences conjugales… Les idées ne manquent pas ! Maintenant les effets spéciaux de maquillage restent mon activité principale, c’est ce qui me fait vivre et me permet de travailler avec les réalisateurs, ce que j’adore ! Je suis ravi à l’idée de pouvoir bosser à nouveau pour des gens comme Quentin Dupieux, Xavier Gens, Julien Maury & Alexandre Bustillo, etc.
Quel souvenir gardes-tu de ton travail sur Grave de Julia Ducournau, qui a été le film-événement de Gérardmer il y a deux ans et qui a bénéficié d’une reconnaissance critique inattendue pour une œuvre de ce type ?
Une excellente expérience, et lorsque j’en parle avec Julia, on en rit encore ! Rends-toi compte : le film partait avec un statut d’outsider, beaucoup de gens l’ont dénigré avant même sa sortie en se moquant du sujet — une végétarienne qui devient cannibale, mais c’est n’importe quoi ! Et tout à coup, le film devient LA référence ! Certains le qualifient d’« elevated genre », comme s’il fallait obligatoirement rendre le film d’horreur « intelligent », sans quoi il n’est pas respectable… Julia a réussi à rassembler beaucoup de gens qui ne seraient autrement jamais allés voir du gore, c’est un sacré tour de force, avec six nominations aux César à la clé ! Grave est un excellent film. Sur le papier, je le trouvais déjà mortel, et le résultat a été à la hauteur des espérances.
Propos recueillis au 26ème Festival du Film fantastique de Gérardmer. Un immense merci à Olivier Afonso pour sa gentillesse et sa disponibilité quasiment au petit matin, après la projection de Girls With Balls lors d’une « Nuit décalée » de folie dans la grande salle du festival. La critique de Girls With Balls se trouve dans notre compte rendu du Festival.