Il s’agit d’un premier roman, alors commençons par quelques mots sur l’auteur Ed McDonald, un sujet d’Elizabeth II, un universitaire, maître de conférences à Londres, doublé d’un expert au maniement de lames aussi diverses que la rapière et la hache d’armes. En somme, un intellectuel qui ne rechigne pas à s’adonner à des joutes vives et musclées, rythmées par le cliquetis des aciers qui s’entrecroisent. La personnalité de McDonald se retrouve tout naturellement dans le tome inaugural de Blackwing, qui annonce une très belle série de romans de fantasy.
Ryhalt Galharrow, le héros de notre histoire, n’est pas non plus du genre à se défiler lorsque vient le moment de sortir l’épée du fourreau. Galharrow est un capitaine des « Ailes noires », un type à l’existence violente, un chasseur de primes prêt à s’aventurer très loin pour capturer ses proies. L’homme et ses acolytes traquent les fuyards jusqu’au cœur de la Désolation, vaste étendue désertique née du recours à la Machine, une arme dévastatrice qui, jadis, stérilisa la contrée en même temps qu’elle balaya les armées de conquête des Rois des profondeurs. Les monarques en question, des êtres surnaturels, attendent, depuis, le jour fatidique où ils pourront lancer une nouvelle offensive contre les humains. Des heures sombres attendent Galharrow et ses congénères de la ville-État de Valengrad…
Ed McDonald nous jette dans le bain dès les premières lignes de son récit. Pas de long préambule ni d’entrée en matière, pas non plus de carte ni de glossaire en fin de volume pour nous aider à nous repérer dans le monde foisonnant qu’il a imaginé : l’auteur tente le pari de l’immersion totale en installant le lecteur dans l’esprit du héros Galharrow, flanqué de ses compagnons d’armes. La narration à la première personne est aussi riche et élégante qu’elle est rude et sans concession ni souci de bienséance. Au fil des chapitres, l’on saisit les contours d’un univers adulte extrêmement dense et fouillé, régi par la magie et par des rapports de force militaires ou politiques. Les réflexions vachardes de Galharrow, souvent empreintes d’autodérision, accompagnent la peinture d’un univers dangereux et guerrier, où l’on transperce, coupe, décapite, où l’on essaie, sans grand succès, d’oublier ses douleurs et ses plaies dans les vapeurs d’alcool des tavernes. La poésie, quant à elle, est aussi bien présente et s’invite au gré de trouvailles liées notamment à l’usage de la magie, qui officie en lieu et place de notre énergie électrique (parmi les humains, les « Fileurs » puisent dans la lumière la force nécessaire pour faire tourner les machines, y compris « la Machine » citée plus haut, équivalent mystérieux et à peine déguisé de l’arme nucléaire).
Au terme des presque 400 pages, la cruauté du monde de Ryhalt Galharrow, les épreuves infligées aux personnages, le souffle épique qui traverse les situations de combat nous laissent pantois et essorés. Et il ne s’agit que du premier épisode. Passé le paroxysme des derniers chapitres, noyés sous une pluie battante inextinguible, on guette avec une impatience véritable la suite des événements. Chapeau à McDonald pour avoir accouché d’un premier roman aussi riche et maîtrisé. Gageons que si Robin Hobb et Sergio Leone (ou Sam Peckinpah) avaient un jour pu s’influencer l’un l’autre en conjuguant leurs talents, leur association aurait sans doute donné une saga dans ce goût-là.
Paru le 18 avril 2018.