Objet des fantasmes des mâles pré-pubères (et de leurs géniteurs quadragénaires), la baby-sitter est devenue depuis Halloween de John Carpenter une figure récurrente du cinoche de frayeur. La nuit tombée, que peut-il arriver dans la maison qui fera regretter aux parents d’avoir accepté un dîner en ville ou de s’être autorisé une soirée au ciné ? La Baby-sitter (réalisé par McG) et Better Watch Out (signé du débutant Chris Peckover) proposent chacun leur réponse, pour des résultats opposés, d’un point de vue thématique autant que qualitatif.
Hasard des calendriers de sorties, La Baby-sitter (ci-dessus) et Better Watch Out ont été distribués l’un et l’autre en octobre dernier aux États-Unis. Les deux scénarios commencent par s’associer dans un même effort : justifier — et ce n’est pas rien — que leurs héros respectifs, des gamins de douze ans, aient encore besoin d’une baby-sitter pour veiller sur eux en l’absence de papa-maman. Nous ne sommes pas dans la vie réelle mais au cinéma, on peut donc gober ces explications sans trop se faire prier. Les parents de Cole (dans La Baby-sitter) sont surprotecteurs, au point d’avoir fait de leur rejeton une chochotte notoire chahutée au bahut. En cas de sortie nocturne, ils ne le laissent pas sans gardienne. Luke, quant à lui (dans Better Watch Out), souffre de tendances somnambuliques qui le font sortir nuitamment de son lit. D’où la nécessité de surveillance des parents, ou de la baby-sitter s’ils ne sont pas là.
Se déroulant sous la neige de Noël, Better Watch Out se distingue radicalement du cadre solaire et estival de La Baby-sitter. Pour les spectateurs des deux films, l’opposition des climats met en évidence celle des personnalités des gardiennes : dans le film de Chris Peckover, Ashley (Olivia DeJonge) est une pucelle emmitouflée dans un pull en mohair ; dans celui de McG, Bee (Samara Weaving) est une bombe sexuelle moulée dans un minishort, et elle joue un rôle d’émancipatrice auprès de son protégé pétochard, à qui elle essaie de transmettre un peu de sa confiance en soi. Pour tout le monde, le voyage au bout de l’effroi commencera donc une fois les parents éloignés et la nuit tombée. Situation n°1 (Better Watch Out) : des rôdeurs prennent pour cible la maisonnée ; à travers un carreau, ils lancent un message tagué sur un pavé (« un pas dehors et vous êtes morts »). Situation n°2 (La Baby-sitter) : le jeune héros se risque hors de sa chambre pour espionner sa gardienne une fois seule dans le salon, au cas où la demoiselle ait invité son petit copain à la rejoindre. Surprise : aux douze coups de minuit, il y a plein d’inconnus à la maison…
Dans les deux cas, la mécanique infernale s’enclenche au moyen du même ressort : l’un des personnages n’est pas tel qu’on le pensait et nourrit un projet néfaste. La Baby-sitter ménage un minimum de suspense, mais donne surtout dans la comédie sanglante, ambitionnant plus de surprendre que de faire grimper le trouillomètre. Passé l’entrée en matière, le public même le mieux disposé aurait de toute manière du mal à se mettre à trembler, hélas déconnecté de l’histoire par l’écriture médiocre : si vous choisissez de vous poser devant le film (il est visible sur Netflix), n’attendez aucune crédibilité dans les portraits des personnages, pour la plupart archi-stéréotypés (dans une volonté manifeste de second degré, mais le résultat est moins drôle que lassant). Mais surtout, la caractérisation à gros traits s’accompagne d’un mépris insultant de la cohérence narrative, avec des personnages rassemblés ou séparés, qui apparaissent ou disparaissent au gré des besoins du scénariste. Et il faudrait vraiment se laisser subjuguer par les jambes de Samara Weaving — ou rester longtemps médusé par la vision d’un long french kiss lesbien échangé en début de métrage — pour ne pas s’offusquer devant un empilement honteux d’absurdités (explosion sans combustible, blessure par balle sans conséquence, cascade automobile hors de propos, etc.) qui discréditent inexorablement le spectacle. Ouch ! Quant à Cole, le petit froussard de l’histoire, son évolution suit un schéma devenu classique, résumé d’ordinaire par la formule rhétorique « from zero to hero », et donc sans surprise.
Better Watch Out se veut beaucoup plus grinçant et inconfortable, pour une production qui reste orientée grand public, s’entend, car le script ne franchit jamais les limites d’une certaine bienséance. L’histoire, en effet, aborde des rivages potentiellement malsains qui nous font entrevoir ce que le film aurait pu être tourné il y a 40 ans par le Wes Craven des débuts, voire par Tobe Hooper ou, en Italie, par Sergio Martino ou Aldo Lado. Tout commence dans le coton d’une banlieue résidentielle aisée à l’approche des fêtes. Tout semble gentil, calme et ordonné, des chorales entonnent des cantiques de Noël devant les jardins tout blancs, où les enfants s’amusent à faire des bonhommes de neige… Mais ce décor idyllique n’est qu’une façade : dans la rue, une fillette traite un camarade de « fat fucker » (« gros enculé ! »), dans la maison des Lerner (où va se dérouler l’histoire), la mère de famille râle crûment contre les goûts esthétiques de son mari, qui a tout du gay refoulé (« Tu es bien sûr que tu n’as jamais sucé de bite ? »). Enfin, à l’étage, le jeune Luke complote en présence de son meilleur pote Garrett : ce soir, sans faute, il va réussir à s’envoyer sa baby-sitter ! La voici d’ailleurs qui arrive…
Les perversions cachées, les pensées malignes dissimulées sous le vernis des conventions ne constituent pas un thème novateur, mais traitée sous l’angle de la série B, à la fois effrayante et ludique, la question ne manque pas d’éveiller à nouveau l’intérêt. Better Watch Out joue également avec une figure typique de l’horreur au cinéma, l’enfant maléfique, personnage qui, de Damien (dans La Malédiction) à Regan (L’Exorciste) en passant par Miles (Les Innocents) et la récente Esther, a prouvé à maintes reprises que petite taille et jeune âge sont de faux indices d’innocence. Ici, on voit que les intentions des kids ne sont pas toujours honnêtes, les cinq premières minutes de métrage, pleines d’infos, ont tôt fait de le signaler. Véritable condensé thématique du film, l’introduction se garde bien, toutefois, d’annoncer à quel point le « diable » aura pu phagocyter l’esprit d’un préado. On verra tout ça plus tard, au fil de l’entraînant jeu de massacre prévu par le scénario.
Comme précisé plus haut, on n’est pas dans La Dernière Maison sur la gauche, ni dans Le Dernier Train de la nuit ou tout autre giallo aux visées plus ou moins crapoteuses. Donc pas question pour le film de se vautrer dans un développement par trop sordide : malgré des dialogues triviaux et la question sexuelle rampante, Better Watch Out (qu’on pourrait traduire par « Fais gaffe à tes fesses ! ») refuse tout excès scabreux. L’honneur de la baby-sitter vierge — et de son interprète Olivia DeJonge — sera donc sauf, même si le personnage, en une soirée, va en voir des vertes et des pas mûres (à commencer par une expérience d’invasion domestique à la mise en scène fort bien troussée). Les comédiens junior — Levi Miller et Ed Oxenbould — sont un poil plus âgés que leurs personnages, mais ce n’est guère un problème, ils sont tous deux excellents. À noter pour les cinéphiles férus de films de genre des années huitante/nonante, la mère de famille au verbe leste est jouée par Virginia Madsen, merveilleuse interprète de Dune, Highlander II, Hot Spot et, surtout, de l’inoubliable Candyman (1992) de Bernard Rose.
The Baby-sitter, je le répète, est à découvrir sur Netflix, si le cœur vous en dit. Better Watch Out est pour sa part disponible en DVD et blu-ray depuis le 30 décembre 2017, édité par Wild Side Vidéo sous le titre raccourci Watch Out. Ci-dessous, les deux bandes annonces. La première en raconte beaucoup trop, celle de Better Watch Out, au contraire, donne une bonne idée de l’ambiance et du rythme du film sans rien révéler des ressorts de l’intrigue.
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