Sorti dans les salles en novembre dernier, Arès n’a pas fait autant de bruit, c’est sûr, que le dernier Star Wars. Ce bel essai de S.F. française mérite sa chance en vidéo. Le film de Jean-Patrick Benes est disponible en DVD et blu-ray depuis le début du mois.
Pour trouver un équivalent à Arès dans le patrimoine de l’anticipation française, il faut peut-être remonter au fascinant Le Prix du danger d’Yves Boisset (et, en bande dessinée, plonger dans les albums d’Enki Bilal). Nous sommes en 2035, l’économie de la France s’est effondrée, le système politique aussi. Les groupes industriels ont réalisé une OPA sur le pays et tirent à présent les manettes d’une nation où vivotent plus de 15 millions de chômeurs. Les lois ont été changées pour permettre aux rois du commerce d’engranger un maximum de fric. Ainsi la population de crève-la-faim a les yeux rivés sur un sport télévisé, l’Arena, en fait un exutoire sous forme de jeu de massacre où des lutteurs s’affrontent lors de free fights barbares. Le dopage est légal, les meilleurs produits sont développés par les grands laboratoires et promus par les plus féroces « champions ».
Amis révolutionnaires, ennemis du grand capital, voici une œuvre clairement marquée à gauche : l’appât du gain y représente le vice ultime, la thune corrompt tout, et les quelques-uns qui s’en gavent en cherchent toujours plus, sur le dos d’une masse populaire asservie. Mais rien n’est immuable, et il se pourrait que la révolution couve. Arès, le rôle-titre, débute l’histoire comme un antihéros. C’est une ancienne gloire de l’Arena qui, passé la quarantaine, tire lui aussi le diable par la queue. Sa lutte quotidienne pour survivre en fait un quidam prosaïque, égoïste, mais les péripéties que lui réserve le scénario vont lui donner un destin et sauront révéler sa grandeur d’âme, son sens de la justice et du sacrifice.
On ne regrette qu’une chose après le visionnement d’Arès : la brièveté du métrage. À une époque où la plupart des sorties (surtout en matière de films d’aventure ou de S.F.) gardent le public assis largement au-delà de deux heures, le film de Jean-Patrick Benes se borne à 80 petites minutes, générique compris. La production n’a pas bénéficié de moyens énormes, le réalisateur n’a peut-être pas tourné tout ce qu’il avait en tête, alors on est un peu frustré de ne pas passer un peu plus de temps avec les personnages habilement croqués, les bons comme les salauds. En vedette, Ola Rapace, timbre grave et accent suédois, injecte de la tension jusque dans la plus infime réplique, et sa musculature lui donne le poids qu’il faut dans les scènes de baston hyper-efficaces qui ponctuent le récit. En contrepoint, dans un rôle de flic, Hélène Fillières impressionne par sa séduction hiératique et filiforme. Ces silhouettes et ces regards intenses habitent un futur de cauchemar, perverti jusqu’à la moelle, dont les travers les plus ignobles sont égrenés au fil de l’histoire avec un sens bluffant de la concision. Arès est un authentique plaisir de série B de genre, tournée avec la foi et les tripes, qui réjouit autant qu’elle fait peur car sa noirceur d’encre n’a rien d’un délire de bolivariste parano. Au contraire, le tableau prospectif ne fait rien d’autre que dépeindre, en les accentuant, les laideurs de notre société actuelle. Avant que la France et l’Europe gangrénées par la violence tapent droit dans le mur, mettez vite la main sur le blu-ray ou le DVD, disponibles depuis le 1er avril 2017 (édités par Gaumont).