Les Origines
Dur de s’aventurer sur les terres foulées par L’Exorciste de William Friedkin en 1973. C’est un sujet devenu casse-gueule, pour ne pas dire drôle. Les scènes ont été tellement de fois détournées que ce classique garde surtout de son prestige les rentes phénoménales qu’il engrangea. Contre toute attente, Le Rite nous offre une excellente partition. En une phrase : nous ne sommes pas en présence d’un film d’horreur, mais d’un film sur l’horreur.
Mikael Hafstrom – réalisateur de Chambre 1408 avec Samuel L. Jackson – transpose en fiction, avec Le Rite, les idées contenues dans le livre The Making of a Modern Exorcist de Matt Baglio. L’enquête de l’auteur a pour sujet la formation d’exorciste dispensé par l’Athénée Pontifical Regina Apostolorum. Et Le Rite, c’est ça : on découvre les coulisses d’un métier.
Le côté obscur de la foi
Michael Kowak, séminariste de la nouvelle école, sceptique, perd sa foi et veut mettre fin à ses études théologiques. Le Vatican lui fait savoir qu’en cas d’abandon, il se réserve le droit de demander à un séminariste le remboursement complet des études. Afin de mettre à l’épreuve ses doutes, Michael Kowak va suivre un doyen de l’exorcisme dans son travail, le prêtre Lucas.
Et c’est Anthony Hopkins qui s’y colle. Premier clou du spectacle qui rive Jésus sur sa croix inversée. En effet la prestation de l’acteur est si intense que, dès son apparition, le film gagne un cran en crédibilité. Entre exorciste illuminé et vieillard aux habitudes tenaces, c’est le rôle pivot du film. Tout repose sur le prêtre lucas, le croyant. L’expérience d’Anthony Hopkins, sa qualité humaine, son regard profond qui en sait long le positionne au-dessus du commun des mortels. On l’écoute naturellement. Et il fallait un acteur d’envergure qui ose s’aventurer dans un film qui sent le film d’horreur facile. Il donne vie et crédit à la dimension documentaire du film.
Psychanalyse VS Magie noire
La nourriture intellectuelle du film est le conflit d’interprétation perpétuelle et légitime entre démonologie et psychanalyse. Ce débat entre Mickael Kowak et le père Lucas sert de fil de réflexion tout le long pour le spectateur. En effet, la découverte du subconscient et le travail phénoménal de Jung pour établir l’existence d’un inconscient collectif lui a permis de replacer dans la modernité les questions soulevées par les rites tribaux. En tout cas de réapprendre à les comprendre dans leur histoire. Tout cette découverte du versant caché de la pensée a permis de descendre de la vanité moderne, pour découvrir une logique profonde et sociale dans ce qui nous semblait être de la magie inutile. Niée, la croyance en la puissance des énergies psychiques s’est perdue avec la compréhension mécanique de plus en plus poussée de l’univers.
Longtemps, on a voulu déshonorer la psychanalyse par le rapprochement au vaudou. Ici, l’exorcisme se voit attaqué par l’approche psychanalytique. Le combat est troublant, passionnant, les deux faces d’une même pièce ou l’évolution d’un même concept ? La rationalisation du magique. Car aujourd’hui – voir la littérature allemande du XXème sicèle – les démons d’antan sont devenus les gouffres de la psyché humaine. Est-ce pour autant rassurant ?
La réussite d’un malaise
Par petite touche, le spectateur découvre le quotidien du prêtre Lucas dans une Italie typique. La première séance finie, la cliente ( en mode contorsionniste genre Exorciste 1973) redevient normale, part chez elle : elle reviendra. Un exorcisme peut durer des années…à l’égal d’une thérapie. Le diable n’apparaît pas soudainement, il s’installe insidieusement. Un frisson : la cliente, transformée, découvre le contenu dans un sac fermé. « Connaissance de l’inconnaissable, c’est l’un des symptômes » explique Lucas. Vivant les doutes du héros, de plus en plus impressionné, le spectateur peu à peu convaincu déchante quand Mickael Kowak découvre une arnarque du prête lucas. Ce qui amène à l’une des scènes les plus fortes du film : le jeune séminariste fort de ses convictions applique sa technique. Sa méthode, loin du folklore satanique, fixe la cliente, la cadre dans des préceptes psychanalytique. Lui aussi fait preuve de don oratoire décomplexé. La possédée réagit avec la même violence délirante, mais à mesure les mots tissés par Kowak dépouille le sujet de ses pulsions inconscientes. La scène est très réussie car elle fixe la zone trouble. Kowak détricote le folklore. A sa manière, il calme la patiente et un instant on croit voir dans sa possession une lueur de conscience. Comme si elle ne faisait que s’abandonner à un état qu’elle réprime plutôt que d’être possédée par un démon. Le but de l’exorciste, apprend-t-on, est de pousser le possédé à cracher le nom du démon qui l’habite. Là encore, la psychanalyse ne miroite pas loin, où l’importance des mots est son principal outil thérapeutique. Un mal nommé, bien nommé, devient un cachet d’aspirine pour la conscience qui, forte de cette connaissance, peut commencer à réorganiser la source de ses réflexions et voir sous un nouveau jour les vérités masquées.
Le film ayant trouvé sa faille fantastique pour mettre à mal le réel, grâce à ce rapprochement troublant entre science et magie, la deuxième moitié du film peut dérouler son horreur. « Ne pas croire au mal n’en protége pas » dit le prête au jeune disciple. Mais c’est encore mieux que ça. Au lieu de s’arrêter naturellement là où il aurait flairé le danger, Kowak, dans son envie de découverte et d’expliquer un domaine obscur de la connaissance avec des préceptes logiques, s’enfonce sans s’en rendre compte sur les terres du diable. Lorsque les œillères tombent, il est trop tard : il est trop loin maintenant, il est cerné. Il est venu sans se protéger – sans vouloir se protéger, luttant contre ses instincts superstitieux pour appliquer une démarche scientifique. Désormais son esprit est accessible au Mal. La réussite du film est de nous faire sentir cette évolution, ce parcours, l’infiltration de la peur par degrés, on avance nous aussi pas à pas, du jour rassurant aux démons de la nuit. On apprend que son père meurt et on sent toute sa fragilité émotionnelle qu’il se dissimulait. Le sommet de ce sentiment se retrouve dans la scène du rêve où l’on voit le père mort dans un hôpital. Kowac se réveille en sursaut : la main d’un démon lui a touché le bras. On y est, le mal s’est frayé un chemin jusqu’à lui. Que cette scène se passe par le travers du rêve cultive une fois encore la superposition des théories freudiennes aux délires du possédés. Car la manifestation la plus tangible de notre subconscient est bien ce mystère, pour nous, que sont les rêves et dont la psychanalyse se sert comme de scalpels.