Imaginez que les sorciers soient des cuisiniers magiciens et que la quête soit de trouver les ingrédients nécessaires à une tourte sacrée… Les ingrédients? Oh, pas grand chose, juste une larme de femme crocodile et la dent d’un pharaon orc! Bienvenue dans un nouveau genre de la Fantasy: l’Héroïc Comedy!
C’est avec humour que Nicolas Tackian et Olivier Fagnère nous entraînent, avec
Relais & Mago, dans un monde déjanté peuplé de monstres bizarroïdes et truffés de clins d’oeil désopilants. L’approche est d’autant plus intéressante que le site des auteurs présente des infos et des bonus complémentaires à l’album. C’est donc un univers plein de surprises que les auteurs nous ont concocté et c’est certain, ils nous en réservent encore beaucoup. Pour Khimaira, Nicolas Takian lève le voile sur quelques ingrédients qui ont permis à Relais & Mago de prendre si efficacement!

Khimaira: Expliquez-nous votre parcours et votre rencontre avec les éditions Semic?
Nicolas Tackian: J’ai fais des études de droit à la Sorbonne en parallèle avec l’école du Louvre. En fait j’hésitais entre commissaire priseur et archéologue. Commissaire priseur pour le marteau et archéologue pour le chapeau et le fouet. Finalement je me suis acheté une boite à outil et une panoplie d’Indiana Jones et j’ai arrêté mes études pour faire du journalisme. Je suis rentré dans un groupe de presse comme pigiste puis j’ai récupéré la rédaction en chef de quelques magazines peu recommandables traitant des mondes insondés et insensés de l’ésotérisme et de l’étrange! Finalement, après quelques années de « Mulderisme », j’en ai eu marre d’interviewer des Vampires et j’ai décidé d’écrire ce qui me plaisait! Là j’ai eu la chance de retrouver un copain d’enfance (James Huth), réalisateur de son état (Serial Lover, La Marque Jaune) avec lequel j’ai sérieusement travaillé sur plusieurs projets de longs métrages. Cela m’a permis d’apprendre la technique de la « dramaturgie » (je sais, je sais, ça fait genre j’me la joue à mort mais ça s’appelle vraiment comme ça!) et de commencer à écrire mes propres histoires de manière professionnelle…

K: Relais & Mago est un monde d’heroïc comedy. Expliquez nous ce concept d’heroic comedy et l’idée qui a fait naître ce scénario délirant, cette quête de la Tourte sacrée?
NT: En fait, je suis un ancien rôliste (joueur de jeu de rôle = sataniste), organisateur de GN (Grandeur Nature = Groupe de satanistes costumés se retrouvant dans des lieux isolés pour s’abandonner à des rites ignobles) et donc grand lecteur de Fantasy. J’ai toujours voulu aborder l’Heroïc Fantasy mais je n’arrivais pas à imaginer sérieusement plus d’un dixième de seconde que j’avais le talent de concevoir un univers original en restant dans le genre. En fait, un certain monsieur JRR Tolkien avait un peu cassé le marché en même temps qu’il l’inventait… Bref, pour moi, la seule manière de renouveler le genre et de tenter d’être « un peu » original était de « décaler » l’univers vers la comédie et le burlesque. Ensuite, j’ai découvert l’œuvre de Terry Pratchett et j’ai compris qu’une fois de plus, j’avais 20 ans de retard! Pas complexé pour un sou, j’ai trouvé le concept du Relais & Mago et je me suis mis au travail. L’écriture du scénario a été assez rapide. Il faut dire que j’ai accumulé une dose de bêtise considérable pendant mes études de droit et mon cursus professionnel dans la presse et que tous mes amis sont des crétins… Ça aide!

K: Relais & Mago est le nom de l’auberge la plus réputée de Kalbut. Son slogan: «Votre plaisir est notre désir»! On sent que vous vous êtes amusés sur cet album. En fait, ce slogan, c’était votre leitmotiv dès le départ?
NT: Mince, je suis découvert! Effectivement, pour moi Relais & Mago signifie liberté et plaisir! J’ai cinq séries « adultes » chez Soleil sur lesquels j’essaye d’être beaucoup plus sérieux. Et puis Relais & Mago s’adresse aussi aux enfants et ç’est un aspect qui m’intéresse tout particulièrement…

K: Gossuin et son maître Stronzo ne sont pas de simples magiciens, ce sont des cuisiniers magiciens! Expliquez-nous cette conception de la magie à partir de la nourriture.
NT: Tout le monde connaît le proverbe « on est ce qu’on mange ». Et bien dans le monde de Gooz il faut prendre cela au premier degré… Les arts cuisinatoires regroupent un ensemble d’enseignements ésotériques dispensés par des Magisters es Cuisinorum dans toutes les écoles de magie. Ces connaissances basées sur des rituels précis, des ingrédients souvent introuvables et des incantations préparatoires interminables permettent la création de « plats mystiques » dont les effets sont variables. Certains vous transporteront dans une autre dimension, d’autres soigneront votre calvitie. Malheureusement (pour votre calvitie), la magie est un art aléatoire qui a tendance à n’en faire qu’à sa tête. (ahaha qu’elle est bonne!)

K: Comme dans toute bonne histoire d’heroïc fantasy, le jeune héros (Gossuin) est accompagné d’un mentor (Stronzo) et d’une jolie fille (Aliéna). Les règles du genre sont respectées. Votre ajout: détourner des présupposés connus par le lecteur, comme le garou qui se transforme ici seulement s’il a une crise de rire! Une façon de démonter le genre, de le parodier?
NT: Effectivement, la structure narrative et les archétypes de personnages restent « classique ». Quand on s’intéresse un peu à la technique du scénario, on se rend très vite compte que « tout le monde raconte la même histoire » en terme de structure. Depuis la tragédie Grecque on a rien inventé (z’étaient forts ces barbus en toge!) diraient les plus intellos… Par contre, mon travail d’auteur consiste à « décaler » les archétypes vers mon univers personnel pour les rendre originaux et pouvoir me les approprier. C’est pour cela que vous trouvez des vampires édentés, des nécromants obèses, des goules œnologues etc.

K: On retrouve derrière le scénario l’influence d’autres auteurs (Morvan, Arleston, Herenguel, Pratchett) ou des Monty Python… Derrière cela, deux genres d’humour que vous aimez particulièrement?
NT: Evidemment tous ces auteurs font partie de mon univers et ont contribué à forger le style d’humour que j’ai introduit dans Relais & Mago. Pour moi, l’humour est un genre « casse-gueule » dans lequel un scénariste à tendance à marcher sur des œufs avec une enclume dans chaque main! Ce qui me fait rire ne fera pas forcément rire le lecteur et les clichés universels du rire (la fameuse « tarte à la crème ») commencent sérieusement a prendre un coup de vieux.
Dans Relais & Mago, j’ai essayé de mettre des choses qui m’amusent, de suivre mes envies et celles de mon dessinateur dont l’apport et très important en terme de bouffonnerie! J’ai également introduit des éléments burlesques qui me sont moins personnels mais qui marchent toujours…

K: L’album regorge de clins d’œil. On peut y rencontrer E.T., le chapeau des Gryffondor dans Harry Potter, Hannibal le cannibale… Le cinéma (en plus de la littérature) est-il une grande source d’inspiration?
NT: Bien sûr! D’ailleurs je dois préciser que je suis également scénariste de long-métrage et que j’ai créé une structure de production (le studio Delawine!) qui prend en charge un certain nombre de projets audiovisuels en production et en réalisation. Pour moi, le cinéma fait intégralement partie de mes influences au même titre que la littérature ou la BD. De plus, le cinéma est techniquement plus proche de la BD que ne l’est la littérature…

K: Les noms des lieux (Kalbut, Sachling, Maal Ox…) et des personnages (Shakira etc.) sont pour le moins originaux! Comment avez-vous procédé pour les trouver?
NT: Humm… Cela fait partie des petits secrets de fabrication qu’un scénariste a du mal à livrer. Disons que concernant les noms de ville qui sont sur la carte, beaucoup sont des dérivés de noms de médicaments que j’utilise. D’ailleurs en cas de brûlure d’estomac, je vous conseille le Maalox…

K: Vous avez créé un site internet. Des bornes cachées dans l’album nous y renvoie. Peut-on considérer le site comme complémentaire à l’album? Une façon de rechercher de l’interactivité avec le lecteur?
NT: A 100%. C’est une volonté affichée par Olivier et moi depuis le début de l’aventure Relais & Mago. D’ailleurs vous n’êtes pas au bout de vos surprises en terme d’interactivité car nous allons lancer un grand jeu en septembre dont le prix sera: Gagne ton personnage dans Relais & Mago Tome 2! Ce jeu, lui aussi, était une idée que nous avons eu avant même la sortie du Tome 1. Le trait d’Olivier se prête particulièrement bien à la caricature humoristique…

K: Comment se passe la collaboration avec le dessinateur Olivier Fagnère, comment travaillez-vous?
NT: Très mal. Il est plus têtu qu’un âne bâté et je suis obligé de reprendre tous ces gribouillis.
Non je rigole, Olivier et moi ça roule au quart de tour! La preuve, on a réalisé un album en six mois. Les étapes de notre collaboration sont assez simples. J’écris un synopsis de l’histoire (10-11 pages) et j’en discute avec lui puis j’attaque le séquencié c’est à dire que je découpe l’histoire en séquences (de 1 à 5 pages). A ce stade j’ai la maîtrise de la structure de l’album, je sais exactement ou je vais (généralement dans le mur) et dans quel timing (à très grande vitesse). Ensuite je découpe les planches séquences par séquences. Je lui envoie le découpage, il me renvoie le story-board, on en discute, puis il fait le crayonné. Concernant les dialogues, je les travaille sans arrêt jusqu’à la veille de l’impression!

K: Depuis quand êtes-vous un fan de fantasy?
NT: Arf! Longtemps… non… très longtemps!

K: A quand le prochain album et quels sont vos autres projets?
NT: Le second album viendra clôturer les pérégrinations insensées d’Aliéna, Gossuin et Ulrak à la recherche de la Tourte Sacrée. Il sortira à la fin de l’année (si ce canasson d’Olivier cravache bien!). Ensuite, la série se développera sur plusieurs axes simultanément au rythme de deux albums par an! En ce qui me concerne, j’ai plusieurs projets chez Soleil. Le premier à sortir en librairie est un thriller fantastique, « Tracker », dont le tome 1 sera disponible en octobre. Un tout autre style…

Les conseils de Nicolas Tackian (tout en vrac!)

– BD?
Alan Moore (le boss), Bourgeon et Lacroix (à tomber par terre), Loisel et Le Tendre (à se rouler dans la farine), Sergio Aragonés (le génial auteur de Groo le barbare!), Springer (j’adore l’univers de ce gars!).

– Littérature?
P.K Dick, Asimov, Spinrad, Simmons, Lovecraft, Poe, Stevenson, Pratchett, Elroy, Bunker, Dantec, Giono! (Dans le désordre!)

– Musique?
Les BO de « Ghost in the shell », « jhro », « Blade Runner », « Avalon » et une excellente et fort peu connue « Samsarra »… Et, bien entendu , toute l’œuvre d’Ennio Moriccone!

– Cinéma?
Terry Gilliam, Ridley Scott, Martin Scorceese, Claude Sautet, Jeunet, John Cassavetes, Stanley Kubrick et… Spielberg!

– Un conseil pour un jeune scénariste voulant se lancer dans le métier?
Patience et obstination mais surtout beaucoup de patience! Ton dicton: « On te sort par la porte, tu reviens par la fenêtre… »