Vous avez visionné l’an dernier notre Manoir des Chimères « spécial Requins » et vous en voulez encore ? Ça tombe bien : l’actualité cinéma de l’été nous invite à ce post-scriptum avec deux titres où les affreux squales remplissent leur contrat en donnant cette fois du fil à retordre à de jolies demoiselles…
Au cinéma, les requins sont comme les nazis, des méchants idéaux dont les visées néfastes n’ont nul besoin d’être longuement justifiées sur le plan de la dramaturgie. Comme le précisait Matt Hooper, l’océanologue joué par Richard Dreyfuss dans Les Dents de la mer, « un requin, ça nage, ça mange et ça fabrique du requin, ce sont ses seules fonctions ». Ces bases étant posées, il ne reste plus qu’à jeter les héros de l’histoire à l’eau et faire tourner les ailerons autour.
Dans un « film de requins », les protagonistes poursuivent par conséquent un but simplissime : il s’agit de survivre, point barre. Encore faut-il, pour livrer un film efficace, que le public se sente concerné par la condition des héros, et c’est là que le talent du « script-writer » doit d’abord s’exprimer, en conférant épaisseur aux personnages. Dans Instinct de survie de Jaume Collet-Serra (Esther), le premier acte introduit Nancy, qui s’adonne à la glisse sur une côte mexicaine. La jeune femme est blonde, jolie, athlétique, elle est jouée par Blake Lively, une nana qui a du chien, ici immortalisée — magie du cinéma — telle une Aphrodite dans l’écume en combi de surf et bikini. Et on a de l’empathie pour elle, avant même ses tourments face aux mâchoires, car on apprend que sa maman vient de décéder après une longue lutte contre le cancer. On n’a donc pas envie qu’il lui arrive à son tour des bricoles, d’autant que sa jeune sœur et leur papa, éprouvés eux aussi par le deuil, l’attendent à la maison au Texas.
Sur ce plan, l’écriture d’In the Deep de Johannes Roberts (The Door) est moins performante, quand bien même le scénario ne jette pas une mais deux jolies femmes à la baille : Lisa et Kate (Mandy Moore et Claire Holt) sont sœurs, de tempéraments et de physiques complémentaires (la brune Lisa est sage et romantique, sa cadette blonde Kate indépendante et sportive). Les frangines s’entendent à merveille, promptes à s’épauler. Lisa, d’ailleurs, a besoin d’un coup de pouce, venant de se faire larguer par son fiancé. La pauvrette verse de grosses larmes sur son sort, cela dit la blessure affective n’a rien de bouleversant pour le spectateur, et on en vient à considérer que les motivations des filles pour se jeter à l’eau sont plutôt légères : soucieuse de remonter le moral de sa sœur avec une dose d’adrénaline, Kate pousse Lisa à accepter la proposition d’une plongée au large où, à l’abri d’une cage anti-requins, elles pourront frissonner devant la beauté effrayante des squales. L’expédition en pleine mer est donc récréative, tandis que l’excursion de Nancy dans Instinct de survie s’apparente à une thérapie : orpheline de mère, l’héroïne opère par le surf un retour à l’élément matriciel, dans une baie aux eaux chaudes et peu profondes (« the shallows », le titre original). Le cancer qui a eu raison de la maman sera aussi évoqué symboliquement lors d’une courte scène où de petits crabes assaillent Nancy, et son duel face à l’animal va faire écho au combat contre la terrible maladie.
Les déboires de Nancy débutent lorsque, à 100 mètres et quelques du rivage, un requin solitaire heurte sa planche, la contraignant à se réfugier sur un minuscule îlot rocheux. Dès lors, la bestiole maousse monte le siège. Dans In the Deep, comme l’indique le titre (« dans les profondeurs »), la distance qui sépare les protagonistes de la sécurité n’est pas horizontale mais verticale : trahies par le matos vétuste du responsable de la plongée (joué par Matthew Modine, venu faire une simple panouille !), Lisa et Kate échouent avec leur cage par 47 mètres de fond. Plusieurs requins rôdent alentour. Pas question de sortir de l’abri de métal pour rejoindre la surface, sans compter que les plongeuses ne peuvent remonter sans respecter les paliers de décompression. Les filles peuvent communiquer par radio, mais dans les bouteilles, l’air commence à se faire rare…
Dans l’un et l’autre film, l’essentiel du récit est consacré à la résolution du problème. Une nouvelle fois, les trames sont simples, matières à des métrages découpés classiquement en trois actes et d’une durée assez courte (à peu près 1h20 dans les deux cas, hors génériques de fin). Dans In the Deep, les deux comédiennes rendent très bien la peur — l’angoisse des gros poissons et celle de l’asphyxie — malgré les masques de plongée qui les dissimulent la majeure partie du temps. Cela dit, le spectacle souffre de quelques péripéties peu crédibles, qui prolongent le suspense artificiellement. Instinct de survie, plus culotté dans son postulat (l’héroïne doit trouver seule son échappatoire et ne peut « converser » qu’avec une mouette blessée posée avec elle sur l’îlot), reste dans les rails d’une certaine vraisemblance, même si, au fil des séquences, le requin passe du simple statut de bête sauvage à celui de créature presque surnaturelle, mue par une volonté maligne (jamais, dans le monde réel, un requin ne traquerait ainsi une proie).
Qui vivra ? Qui mourra ? Bien entendu, motus et bouche cousue quant aux dénouements. Sur ce point, disons quand même qu’In the Deep marque des points avec une conclusion étonnante, tout en nuances, dotée d’un « twist » qui n’est pas sans rappeler The Descent de Neil Marshall. Instinct de survie, en revanche, cède maladroitement à la tentation du spectaculaire et du « climax » avec une séquence finale mouvementée un peu difficile à avaler… Quoiqu’il en soit, autant par leurs points communs que par leurs différences, les deux productions fonctionnent très bien en complément l’une de l’autre. Dommage que les films ne soient pas visibles en salles simultanément…
Instinct de survie (The Shallows), sorti dans les salles françaises le 17 août 2016. In the Deep, disponible en DVD et VOD aux États-Unis depuis le 2 août 2016.