Après la projection du nouveau film de Thierry PoiraudAlone (Don’t grow up), le réalisateur a bien voulu se prêter au jeu de l’interview.

Peux-tu te présenter un peu et expliquer ton parcours?

Je m’appelle Thierry Poiraud. J’ai fait des études d’arts et j’ai commencé dans la réalisation avec mon frère Didier. On a fait les mêmes études d’arts. On a commencé dans l’animation, pas mal de clips, du court-métrage. Notre première incursion dans le cinéma, c’était Atomic Circus, il y a bien… 13 ans maintenant. J’ai travaillé longtemps avec Didier puis on s’est séparés un peu. J’ai travaillé un peu aux Etats-Unis sur d’autres films et pas mal de pubs entre les deux. Je suis revenu avec Don’t grow up et le temps que le film se finance, j’ai enchaîné sur Goal of the Dead. J’avais fini Don’t grow up avant, mais j’ai fait Goal of the Dead qu’on m’a proposé.

J’ai été très surprise de voir que le film ne sortira pas au cinéma. Comment fait-on pour porter un film et pour rester motivé quand il n’y a pas de soutien derrière?

Il sortira un peu en salles dans d’autres pays. Après, il y a une sortie VOD même si je l’ai fait pour le cinéma. Je regarde beaucoup de VOD. C’est déceptif par rapport à la taille de l’écran et quand tu le penses vraiment pour la salle. Après je sais très bien que ce genre de films, 80% de leur vie est sur VOD donc si tu as déjà 50 000 personnes en salle c’est déjà le paradis! Il y a beaucoup de films que j’aime et que je cite en référence comme It follows ou Morse, que j’ai découverts en VOD. Après, là où c’est plus compliqué pour les distributeurs français, au-delà du genre, c’est de savoir que c’est un film transgenre. C’est à dire à la fois fantastique et dramatique; eux ils veulent vraiment des étiquettes parce qu’il faut que ça se vende vite. Tout doit aller vite, tout doit être prémâché. Tu ne peux plus faire des films un peu complexes où tu mélanges les genres. Il y en a qui le font, mais ils sont plus connus donc ils imposent le fait de le faire comme ça et ça se retrouve dans les affiches; ça se retrouve partout. C’est-à-dire que ça doit être marketé dans UN style; un style très reconnaissable parce que maintenant sur internet tu n’as que 4 mn; les gens regardent leur téléphone et ils ont une seconde pour voir le film donc tout doit être simple en une seconde. Ce qui n’est pas possible pour ce genre de film. Et tous les films que j’aime bien sont un peu plus complexes donc tu restes motivé et tu essayes de le faire passer. Tu es content d’avoir des retours et plus il y en aura, plus ça donnera peut-être envie aux distributeurs de changer de braquet.

Est-ce qu’il a été présenté à l’étranger, justement? 

Il a été présenté et acheté en Angleterre et en Espagne. En Angleterre ça va sortir juste après nous. Allemagne, Japon… Ca fait le tour un petit peu, mais c’est vrai qu’on avait besoin d’un distributeur français de part la façon dont on fabrique nos films; ça reste un film français et il fallait d’abord qu’il sorte sur le territoire avant d’être vendu un peu partout. Il a pris du retard, car on a eu du mal à trouver un distributeur qui veuille s’accrocher et dépenser de l’argent dessus donc maintenant que c’est parti, ça part!

On peut voir dans le film le mythe de Peter Pan. Qu’est-ce qui t’a séduit dans ce thème et pourquoi le traiter de façon horrifique?

J’aime beaucoup Peter Pan, le thème sur l’adolescence. Après, c’est plutôt Peter Pan à l’envers puisque c’est sur l’adolescent qui ne peut pas grandir. Au-delà de ça, ce n’est pas vraiment influencé par Peter Pan lui-même, quoique tu as les enfants perdus qui me sont restés; quand même une mythologie que j’adore comme Sa Majesté des mouches. Peter Pan — le livre — est assez violent en fait. Après Walt Disney est repassé dessus, j’aime beaucoup, mais le conte d’origine était assez noir et assez violent. Quand tu traites de l’adolescence, qui est un moment assez perturbant, qui peut être très violent, ça m’avait paru assez juste de le traiter dans ce mode-là. Et j’aime aussi beaucoup le fantastique parce que ça me permet, au-delà de l’image, de créer des fables donc le fantastique et la violence m’avaient permis de parler de ce sujet. C’est très exacerbé, très violent, notamment sur les adultes qui ont une violence envers les enfants; que le monde qu’on laisse aux enfants maintenant c’est le monde qu’on connaît, qu’on voit tous les jours; qu’on voit en Belgique, qu’on voit partout donc c’est un monde hyper-violent. Moi-même qui ai des enfants, eux ils le décryptent quand même comme un monde sur-violent donc ils se protègent. Après ce qui est nouveau, c’est que les enfants à la fin du film se retournent contre les adolescents. Ils ont une violence en eux qu’on leur a transmise.

A quel moment considères-tu que Bastian devient adulte? Il y a plusieurs étapes dans sa « transformation », mais à quel moment toi tu t’es dit « voilà, là il est adulte »? 

Lui il devient adulte à partir du moment où il tombe amoureux. C’est quelqu’un qui était recentré sur ses problèmes, très bloqué sur son enfance, très bloqué sur l’amour qu’il portait à sa sœur… A partir du moment où il tombe amoureux de Pearl, après avoir fait l’amour avec elle, il a envie de la protéger, de l’aimer; il a donc une nouvelle responsabilité, il change. Ils deviennent un couple, ils doivent s’occuper de l’enfant. C’est une sorte de formation d’une famille. Pearl devrait être infectée; j’ai décidé de l’infecter un peu plus loin parce que c’est la plus immature. C’est vraiment quand elle protège l’enfant contre lui; à mon avis elle était juste au bord; il fallait qu’elle parte vite !

Et du coup justement, pourquoi la laisser partir seule et pas lui ? C’est ce qu’on se dit à la fin, car le final est triste. On s’attache beaucoup à Bastian, notamment grâce à l’acteur, mais elle aussi. Tous les deux sont bons ensemble et du coup à la fin il y a un espèce de déchirement. Pourquoi lui et pas elle ?! 

Après c’est un drame. Pour moi ce n’est pas un point de vue de dire que c’est mal ou qu’on passe à côté de quelque chose comme dans Peter Pan où en devenant adulte on perd toute l’innocence. A partir du moment où tu deviens adulte, tu deviens violent donc c’est ça le drame. Lui devient adulte, à la limite c’est plutôt une bonne chose, mais dans le film c’est inversé. Mais comme tout mélodrame et histoire d’amour, ça ne pouvait pas se finir bien avec cette famille reformée où lui devenait adulte trop tôt et son sacrifice est plus joli à la fin. « Je vais devenir infecté, je vais devenir comme eux, mais je te laisse partir et recréer ta famille ». C’est comme ça que je le fais: on espère qu’elle va recréer une nouvelle famille et une nouvelle forme d’humanité. Il y a eu des pistes dans le scénario où elle ne partait pas; où elle était infectée et pas lui et jusqu’au dernier moment on a fait évoluer les choses.

Ça n’a pas été difficile de travailler avec les jeunes acteurs sur tout ce qui est armes à feu et violence? 

Non parce qu’en fait tu t’aperçois que les ados, avec leur culture des films et tout ça, ils ne sont pas sortis de l’enfance donc les armes à feu c’est des « pan-pan », les films d’horreur, les monstres… c’est ce à quoi on joue quand on est petit. J’ai beaucoup joué aux westerns, aux films d’horreur. Donc c’est un jeu qui est resté ancré. Quand on leur met ça dans les mains, c’est juste un jeu en plus; le cinéma étant un jeu en soi. Après ça n’empêche pas d’être crédible, mais ils jouaient énormément donc les scènes d’horreur c’est ce qui les a le plus amusé. Pour la scène de chaos dans la ville, ils se sont éclatés, ils ne voulaient plus partir du plateau ! Donc les ados, ils sont super à fond. C’est un truc pour lequel ils sont en demande et au contraire tu es obligé de les restreindre un petit peu, car ils ont tendance à surjouer (mime le pistolet de travers en mode gangsta!) genre Brad Pitt avec son flingue. Il faut vraiment leur donner les bonnes intentions: « reste un enfant: si tu étais vraiment dans cette situation, tu ne tiendrais pas ton flingue comme dans les films ». Mais c’est ça qui est intéressant: de voir comment les ados réagissent au scénario.

Si on devait dire que les adultes doivent garder une âme d’enfant, qu’est-ce qui selon toi permet d’y arriver? 

C’est dur ! J’y suis moi-même arrivé, par mon métier, j’essaye en vain de la garder. Surtout, c’est une fraîcheur, une curiosité, une ouverture d’esprit parce que pendant l’enfance tu as tout à découvrir donc tu es très ouvert d’esprit. Voir aussi de la féerie, de la magie dans le monde qui nous entoure. Un arbre ça devient un Géant. Moi c’est plus ça: arriver à créer de la magie, au jour le jour; de regarder à travers les décors, les gens que tu découvres, qui te fascinent, que ça te fasse rêver et que tu ne mettes pas les choses dans des cases; de voir un peu plus loin et de faire grossir les choses hors de la taille humaine.

Quand penses-tu que le film de genre en France retrouvera une bonne place et comment? 

Alors, quand, je ne sais. Moi-même j’ai fait le film en anglais et j’aurais peut-être dû le faire  en français… Il manque rien en fait, il faut juste que les gens mettent un petit peu plus d’argent dedans. Je reprends l’exemple de l’Espagne, la Suède; ils font des films comme L’Orphelinat qui était aux Magritte, qui sont des films « normaux » qui intègrent du fantastique. Nous on a eu Tourneur, pleins de réalisateurs qui ont fait du fantastique, La Belle et la Bête… C’était une époque où le fantastique faisait entièrement partie du cinéma. Après on a dit que le fantastique ça devenait un genre et pour les gens, le genre c’est l’horreur alors que moi j’ai même pas fait un film d’horreur. Pour moi, j’ai fait un film fantastique; c’est un thriller fantastique. C’est pas tellement le film de genre qu’il faut réhabiliter, c’est le fantastique.  Je pense aussi qu’il faut travailler au niveau des scénarios. Les Suédois se servent beaucoup de leur Histoire; ils n’essayent pas de faire des films qui se passent ailleurs. Mais comme moi le premier: je suis français et je suis allé faire le film en Espagne ! L’idéal ça serait de se servir de l’Histoire française, qui est énorme; comment on pourrait l’introduire dans du fantastique. Il faut aussi que des grands réalisateurs s’intéressent au fantastique, comme Cronenberg à l’époque, qui feraient avancer les choses.

Et justement, je reprends le fait que tu dises que tu n’as pas fait un film d’horreur, c’est en effet très clairement le cas. Je me demande si la presse spécialisée n’a pas un rôle à jouer. J’ai regardé un peu les critiques après l’avant-première et les gros titres que l’on retrouve dans la recherche c’est « Le nouveau film gore de Thierry Poiraud » ou « Nouveau film de zombies français ». C’est un peu gênant, car ce n’est ni l’un ni l’autre ! 

Oui, tout à fait!

Du coup, comment on fait pour que, même en expliquant que ce n’est pas un film d’horreur, mais un thriller fantastique, les gens ne présentent pas de cette façon ton film ?

C’est plus facile pour eux puisque j’en ai fait un avant (film de zombies avec Goal of the Dead); c’est normal, la distribution a essayé d’axer le film dans un sens identifiable qui était le plus facile par rapport aussi au public d’adolescents. On s’aperçoit par exemple que tous les retours sont plus féminins que masculins donc il y a un énorme gap entre l’intérêt des filles et des hommes pour le film. Mais ça m’étonne pas, car mis à part que la scénariste est une femme, il y a une sensibilité dedans. Mais ils ne savent pas comment le vendre: du film fantastique pour ados. Alors l’aventure c’est possible avec Hunger Games par exemple, mais en film comme ça, européen à petit budget, ils ne savent pas. Ils n’ont pas d’exemple donc le plus facile c’est film de zombies; comme une marque: tu vas voir des infectés. Mais ça ne veut rien dire, car l’infecté c’est juste une autre façon de raconter une histoire.

Et puis là ils sont infectés par le virus de l’adulte donc c’est une infection qui n’est pas liée à la figure du zombie. C’est une façon de traiter la métaphore. Du coup, pour les spectateurs qui ne veulent pas forcément voir un film d’horreur, ils n’iront pas le voir alors que ça n’en est pas un !

Eh bien c’est le problème qu’on a eu avec la distribution. Eux ils ont axé un peu young adult, même dans l’affiche qui fait très Labyrinthe & co, parce que c’est plus difficile d’en parler. Ca demande un tout petit peu plus de réflexion, un peu plus de temps et malheureusement dans la presse et les gens qui regardent, il faut que ça aille très, très vite. Et après c’est à la presse d’en parler dans ce sens. Le film et le sujet en lui-même demandent un petit plus de temps pour être expliqués. C’est pour ça que je l’ai fait en plus: pour changer de ce que j’avais fait avant donc on me ramène énormément aux zombies.

Quelles sont tes références artistiques, au sens large, en terme de fantastique?

Les films qui m’ont le plus marqué, où j’ai appris c’est ceux de Lynch, Cronenberg après y a beaucoup de Spielberg aussi. Toutes les années 80 en fait où il y a eu toute une vague de films comme ça: il y avait Blue Velvet et en même temps Alien puis Blade Runner plus tard, mélangés aux Frères Cohen qui commençaient. C’est tout ça qui m’a un peu formé. Après dans le fantastique maintenant, ce que j’ai vu de plus joli dernièrement c’était Morse, que j’avais trouvé sublime. It follows, que j’ai trouvé plus superficiel au niveau du fond, mais j’ai beaucoup aimé son traitement.

Si tu devais choisir une oeuvre, cinéma, série ou littéraire préférée?

Ce qui m’avait beaucoup influencé quand j’étais aux beaux-arts, c’est La Nuit du chasseur.

Quels sont tes prochains projets?

Je travaille à l’heure actuelle sur une série qu’on m’a proposé, Zone Blanche, qui est une série polar-fantastique pour France 2, qui se lance dans des productions un peu différentes. On est sur les quatre premiers épisodes avec un autre réalisateur. Ca, c’est ce que je vais faire cet été et j’écris un nouveau film avec Marie (la scénariste d’Alone), deux séries: une comique trash et une autre fantastique un peu dans la lignée du film. C’est de l’anticipation, mais c’est un gros projet donc comme tout gros projet tu es obligé d’en faire plusieurs petits à côté. Et d’autres longs métrages qu’on m’a proposé, donc j’attends un peu.

*******************************************************************************

Merci à Thierry pour son accueil et sa gentillesse et à l’agence MIAM pour la possibilité de cette interview.