Tourné en 2006, cet excellent film, premier long métrage de son réalisateur Jonathan Levine, aura attendu quatre ans pour être enfin distribué chez nous. Une édition en vidéo seulement, ce qui est mieux que rien. Les spectateurs du Festival de Gérardmer, où All The Boys Love Mandy Lane a été projeté en 2008, ont eu la chance de profiter sur grand écran de la superbe photo du film (le chef op’ se nomme Darren Genet).
Un groupe de lycéens part fêter à la campagne le début des vacances d’été. Parmi eux, Mandy Lane, que tous les garçons rêvent d’avoir dans leur lit, mais que personne, durant l’année scolaire, n’a réussi à séduire. À la nuit tombée, ils sont éliminés un à un par un mystérieux tueur…
Bon, avec un pitch pareil, le film ne part gagnant. Mais dites-vous que ce ne sont pas l’aspect slasher du film et la mise en scène des meurtres qui ont motivé le plus le réalisateur et son scénariste, Jacob Forman. L’argument horrifique sert surtout de prétexte à une véritable étude de mœurs et de mentalités. À sa manière, All The Boys… tente de répondre à cette question : à l’aube du 21ème siècle, quelles sont les règles qui prévalent dans la société américaine et décident des comportements et rapports humains ? Le traitement est celui d’un cinéaste anthropologue scrutant la vie d’un échantillon de six individus dont les relations sont gangrénées par le souci de performance, l’esprit de compétition.
Au sein de la bande, Jake (Luke Grimes) tente de s’imposer comme le mâle dominant. Beau gosse, sportif, il exprime sa fierté dans le nombre de filles (« 42 ») qu’il prétend avoir inscrit à son tableau de chasse. Lorsqu’au cours d’une scène, sa virilité est remise en cause (une des filles avance en plaisantant qu’il a un petit sexe), il entre dans une colère noire et quitte le groupe. Qu’importe sa gueule d’ange, Jake est un bipède primitif dont l’identité se réduit aux prouesses de son phallus.
Bird (Edwin Hodge) est le seul Noir de la bande, et, dans un état du sud (le Texas) au lourd passé ségrégationniste, son appartenance à la bande d’amis n’avait sans doute rien d’acquis. Mais voilà : Bird est un athlète émérite, il brille (tout comme Jake) dans l’équipe de foot du lycée, ce qui aura été son ticket d’entrée dans la bonne société des Blancs. Il n’empêche qu’il reste considéré, à l’occasion, comme le brave Black de service, comme l’atteste une séquence, en milieu de métrage, où les autres le tournent en dérision en l’envoyant effectuer en pleine nuit un boulot inutile.
Red (Aaron Himelstein) est le troisième gars. Ce n’est ni un Hercule, ni un Apollon, et on comprend qu’il est encore puceau. Par quel miracle est-il traité d’égal à égal par un mec comme Jake ? Très simple : Red a de l’argent, ou plutôt sa famille est riche, et le ranch dans lequel les potes partent faire la fête appartient à son père. Dans le cas de Red, la qualification s’est faite par l’argent.
Reste les nanas de la bande. Chloé (Whitney Able, ci-dessus) et Marlin (Melissa Price) sont aux pieds de Jake (Marlin est sa copine officielle, Chloé est son ex et elle espère qu’ils vont se remettre ensemble). Elles font figure d’objets sexuels, consommables et jetables. Le plus étonnant est qu’elles acceptent ce statut sans broncher, comme conditionnées, tout particulièrement Marlin, qu’on dirait dressée pour contenter, de la main ou de la bouche, tous les mecs qui viennent la solliciter. Elles ont intégré des contraintes d’ordre esthétique des plus strictes qui les conduisent à se comporter en garces l’une envers l’autre : trois ou quatre kilos jugés superflus suffisent à ce que la fine Chloé (par ailleurs complexée par sa petite poitrine) qualifie sa copine de « grosse », tandis que Marlin, qui s’épile le sexe, va humilier Chloé en comparant sa toison pubienne à la « forêt de Sherwood ».
Primauté de la force physique, pouvoir de l’argent, soumission sexuelle des femmes… et il va de soi qu’aucun des personnages précités n’affiche d’ambition intellectuelle. Une fille comme Mandy Lane (Amber Heard) n’a a priori pas sa place au sein d’une telle assemblée. Car elle est différente : orpheline depuis son plus jeune âge, elle a été élevée par sa tante, une femme sans grands moyens financiers mais intelligente et responsable. La jeune fille jouit à présent d’une maturité héritée à la fois de son éducation et de ses malheurs. D’où cette question : dans quel but a-t-elle accepté de partir en week-end avec la bande d’idiots, d’autant qu’elle sait pertinemment qu’elle est l’enjeu d’une rivalité sexuelle entre les garçons ? La réponse ne sera délivrée que dans la dernière bobine lors d’un finale des plus cruels et amers, où proies et prédateurs ne sont pas forcément ceux qu’on pense.
Quid du tueur qui décime nuitamment les teenagers ? Je ne vais pas gâcher le suspense en dévoilant son identité (bien que celle-ci ne fasse guère de mystère et soit révélée assez vite). Disons seulement que ses exactions poussent dans ses derniers retranchements le principe de sélection naturelle qui sous-tend les relations entre les principaux protagonistes, de même qu’il répond à un besoin de révolte contre le modèle social, générateur d’exclusion, véhiculé par ceux-ci.
On aimerait que tous les slashers aient des ambitions comparables à celles de All The Boys…, qui séduit également par une mélancolie diffuse imprègnant le métrage d’un bout à l’autre. Le film a révélé Amber Heard, dont c’est le premier grand rôle. On l’a revue depuis dans Zombieland, entre autres, et elle sera bientôt à l’affiche de The Ward, le prochain film de John Carpenter, actuellement en cours de montage.
Sortie du dvd et du blu-ray le 4 août (Wild Side Vidéo).