Cet article a comme objet de démontré la progression du moins le changement dans l’image du vampire de ses origines littéraires à la façon dont il est posé aujourd’hui. « Aujourd’hui » s’entend comme depuis les années 1970.
Posons comme portrait originel du vampire celui dressé par Bram Stoker en 1897 dans son Dracula, c’est-à-dire un être immortel, se nourrissant de sang humain et n’éprouvant aucun sentiment. Doué de pouvoirs surhumains, telle une grande force physique, le don de transformation en toutes sortes d’animaux (les plus célèbres étant la chauve-souris et le loup) ou en brumes. Sa peur des symboles chrétiens le définit comme démoniaque et on ne peut le tuer que par un pieu inséré dans le cœur tout en lui coupant la tête. Ajoutons qu’il lui arrive de se promener le jour :
» …Terrorisé autant que stupéfait, il regardait un grand homme, mince, avec un nez en bec de vautour, une moustache noire et une barbe en pointe : lui aussi observait la jolie demoiselle. … Le visage me déplaisait – dur, cruel, sensuel. Ses dents, surtout me mettaient mal à l’aise : elles étaient pointues, comme celles d’un carnassier, et d’une blancheur que soulignait encore l’incarnat de ses lèvres…la journée était chaude, pour l’automne… » (STOKER Bram, Dracula, in Vampires, Dracula et les siens, Paris, Omnibus, 1997, p. 292).
Le vampire est donc puissant et ennemi de l’Eglise, incarnation du Mal. Incarnation également de l’Autre (Dracula vient de Roumanie) et de la Mort indifférente (il frappe au hasard des rencontres et n’éprouve aucune pitié).
1975 : Les confessions de Dracula ou le « je » vampire.
Premier grand changement dans l’image du vampire, il devient quelqu’un à part entière : il parle et devient le principal protagoniste de son histoire. C’est Fred Saberhagen en 1975 qui livre au public les confessions de Dracula où le comte va reprendre l’histoire de Stoker et expliquer ce qui s’est réellement passé. Il va se poser plus en victime qu’en monstre et démontrer qu’il éprouve de vrais sentiments « humains ». Ce désir d’humanité se fait ressentir tout au long du récit :
« Je m’étais imaginé que, lorsque je commencerais à être pleinement accepté dans le monde comme un être humain, sans condition, la plupart des hommes et des femmes seraient incapables d’admettre le fait objectif que mon image ne se reflétât pas dans les miroirs, du moins pas de la manière normalement perceptible à l’œil. Laissez-moi vous dire, entre parenthèses, qu’il en va autrement en ce qui concerne la pellicule et le tube cathodique. » (SABERHAGEN Fred, Les confessions de Dracula, Paris, Pocket, n°9153, 1995, p. 27)
Ce roman ouvrait les portes aux parodies de Dracula par son style très humoristique.
Mais ce qui nous intéresse ici est le fait que le vampire va employer la première personne pour s’exprimer, le « je ». Il accède pleinement à la parole (certes des romans et nouvelles antérieures au Confessions de Dracula ont donné l’occasion au vampire de s’exprimer, le premier a lui donner véritablement l’occasion d’être Je est Cross of Fire de Lester del Rey, en 1939).
Cette caractéristique va permettre au vampire de se rapprocher des humains. Il n’est plus ce monstre muet des origines, en le faisant parler comme propre témoin de ses aventures, le vampire réduit son altérité. Notons également que l’utilisation de la première personne le fait accéder à la parole et donc à l’être. Par ce fait on accède aux pensées du vampire, à ce qu’il peut ressentir. Le recours à la première personne et le discours qu’il permet donne au personnage une richesse psychique qui le rapproche du lecteur mais qui plus est, le rend réel.
1976: Entretien avec un vampire ou la conscience vampirique.
Anne Rice dans l’évolution vampirique est sans doute la personne qui a compté le plus jusqu’ici. Elle a réussi à introduire une nouvelle figure vampirique avec comme caractéristique principale une conscience. A partir de là, le vampire va pouvoir se transformer complètement. Si l’origine démoniaque des vampires est attestée ( on le découvre en effet dans le troisième tome des Chroniques vampiriques, La Reine des damnés) elle n’est que secondaire. Ce qui importe est que le vampire ressent les choses encore plus profondément que l’homme:
» La douleur est une chose terrible pour vous, dit-il. Vous la ressentez comme aucune autre créature ne la ressent, parce que vous êtes un vampire… Le mal, ce n’est qu’un point de vue, murmura-t-il. Nous sommes immortels, et, ce qui nous attend, ce sont les somptueux festins que la conscience ne peut apprécier et que les mortels ne peuvent connaître sans regret. Dieu tue, et nous ferons de même; il frappe sans distinction riches comme pauvres, et ainsi ferons-nous. Car aucune autre créature de Dieu ne nous est semblable, aucune ne lui ressemble autant que nous, anges noirs qui ne sommes pas confinés aux limites puantes de l’enfer, mais qui pouvons vagabonder de par toute la terre et tous les royaumes du monde. » (RICE Anne, Entretien avec un vampire, Paris, Pocket n°9031, 1978, p. 123).
Le vampire apparaît comme la plus libre de toutes les créatures terrestres bravant tous les interdits liés au sang (tuer) :
» Tuer n’est pas un acte ordinaire, dit le vampire. Il ne s’agit pas seulement de se rassasier de sang. (Il secoua la tête.) C’est faire l’expérience de la vie de quelqu’un d’autre, et souvent c’est sentir, à travers le sang, cette vie s’en aller lentement Pour moi, c’est aussi, toujours, l’expérience renouvelée de la perte de ma propre vie, de ce moment où j’aspirais le sang de Lestat par son poignet, sentant son cœur battre avec le mien. C’est chaque fois célébrer le souvenir de cette expérience, qui est pour les vampires l’expérience ultime. » (RICE Anne, Entretien avec un vampire, Paris, Pocket n°9031, 1978, p. 43).
ou au sexe (pédophilie/inceste), Babette étant une petite fille dont Louis peut être considéré comme le père :
« Je suis capable d’amour, et j’avais dans une certaine mesure de l’amour pour Babette… » (RICE Anne, Entretien avec un vampire, Paris, Pocket n°9031, 1978, p. 84).
Cette conscience vampirique se développe à travers la souffrance de Louis, protagoniste principal d’Entretien avec un vampire (1976) qui se confie à un journaliste. Tout au long du roman, le personnage nous apparaît comme déchiré malgré sa supériorité en tous points: immortel, parfaitement beau, jouissant d’une force surhumaine etc.
Le second roman d’Anne Rice est également intéressant car il concerne l’autre protagoniste d’Entretien. Lestat est une figure forte, bravant tabous et interdits moraux (sauf celui de ne jamais tuer d’innocents pour s’abreuver de sang).
Dans toutes ses œuvres, Anne Rice va poser comme traits principaux à ses vampires une certaine recherche de l’amour. Amour qui n’existait pas chez Dracula et les autres monstres des origines.
» A présent, je savais que les vampires, en tout cas, peuvent s’aimer et que le fait de se dévouer au mal n’exclut pas l’amour. » (RICE Anne, Lestat le vampire, Paris, Pocket, n°9023, p. 118)
Une autre constante dans les œuvres de Rice est la peur qu’ont les vampires de la solitude alors que les vampires des origines étaient justement des chasseurs solitaires!
« Gabrielle, je t’en prie, je hais la solitude. Reste avec moi ! »( RICE Anne, Lestat le vampire, Paris, Pocket, n°9023, p. 378)
Enfin, Lestat apparaît comme une rock-star, lien entre musique et vampires que vont partager d’autres auteurs comme par exemple Somtow dans Vampire Junction (1984)
« La musique rock avait quelque chose de vampirique. Elle devait paraître surnaturelle même à ceux qui ne croyaient pas à Ces choses. Cette façon dont la musique électrique pouvait prolonger indéfiniment une note, accumuler les harmonies jusqu’à tout dissoudre dans le son, permettait de traduire éloquemment la terreur. C’était quelque chose qu’on n’avait encore jamais entendu »( RICE Anne, Lestat le vampire, Paris, Pocket, n°9023, p. 14).
Où chercher l’origine d’un tel changement si ce n’est dans la société elle-même de la fin des années 1970 et du début des années 1980 ?
Le Mal des vampires.
Un troisième visage moderne des vampires reste à aborder. Toute une partie de la littérature vampirique emploie cette figure liée au sang pour traiter des problèmes également liés au sang. Sida et drogue font partie aujourd’hui de l’univers vampirique. Ce partage de problèmes physiques amène le vampire au plus près de ses anciennes proies :
« Le sang de cette créature avait été contaminé par une substance chimique grossière mais néanmoins puissante qui lui avait donné un goût amer: concentré de quinine mêlée de toxines rénales. Répugnant Tout à ma Faim, j’avais réussi à l’avaler, niais à présent, son seul souvenir me faisait hoqueter de dégoût » (SPINRAD Norman, le Mal des vampires,in Vampires, Dracula et les siens,Omnibus, 1997., p. 763)
Le vampire confronté à des maladies et des maux bien humains, se rapproche de plus en plus de l’homme. Et il n’est pas rare aujourd’hui de voir des vampires occuper des fonctions sociales très diverses mais qui ont en commun d’être spécifiquement humains. Professeur d’université (Un vampire ordinaire, Suzy McKee Charnas, 1980) « danseuse » dans un peep-show (Extase sanglante, Ray Garton, 1987), attraction pour touriste (Monsieur Alucard, D.A. Johnstone) etc.
Malgré toutes les « déviances » subies, une grande partie de la définition du vampire donnée en début de ce chapitre se retrouve: un être immortel, se nourrissant de sang humain. Doué de pouvoirs surhumains, telle une grande force physique, le don de transformation en toutes sortes d’animaux (les plus célèbres étant la chauve-souris et le loup) ou en brumes. Ajoutons à cela que son aspect physique et mental s’est quelque peu amélioré. Faisant de lui un être duel: d’un côté le monstre assoiffé de sang, puissant, supérieur de par sa force, et parfois irrésistible de par sa beauté, de l’autre la créature consciente de son état et qui en souffre, irrésistible de par sa fragilité. Force et fragilité tel est aujourd’hui le vampire dans la littérature.