Qui n’a jamais souhaité s’endormir et se réveiller ailleurs pour échapper à un monde injuste ?
C’est ce que fait Camille, jeune fille de bonne famille, orpheline de mère, refusant que son père ne l’envoie dans une de ces pensions strictes de l’Angleterre Victorienne. Quand elle ouvre les yeux, elle découvre avec stupeur que son souhait a été exaucé : elle se trouve désormais à Evernight, le monde des rêves, l’autre côté de la nuit.
Né de l’imagination bien inspirée de Mel Andoryss, l’univers où se déroule l’histoire, n’est pas vraiment ce à quoi pensait la petite Camille en voulant fuir l’austérité du pensionnat. Cependant, la surprise n’est pas le seul apanage de la jeune humaine. L’Autorité, force mystérieuse qui régit le plan onirique via l’Ordre, apprend avec effroi l’éveil de ce côté de l’anglaise et met tout en œuvre pour lui mettre la main dessus, par le biais de ses exécutants avant qu’un pouvoir instable, exclusif aux humains, ne vienne comme jadis troubler la paix et l’équilibre, ainsi que l’exploitation des rêves et des cauchemars, principale ressource de ce monde.
C’est alors qu’Evernight surprend. A la façon d’un conte pour enfant, tout l’univers ou presque est peuplé d’animaux parlants et faisant tourner la société evernightienne en lieu et place des Hommes.
Les bons mots de l’auteur en référence à cette société animale sont bien trouvés et facilitent d’autant mieux l’immersion. Des belettes soldats indisciplinées au rat de bibliothèque retors en passant par l’impitoyable Lord MacClaw, tigre géant chef de l’Ordre, les suricates rigides responsables d’un effroyable orphelinat flottant où finissent les humains ouvrant les yeux ici et je passe les plus gratinés comme Dike, l’univers fourmille littéralement de vie.
J’avouerais que cette spécificité ne m’a pas déplue. Les souvenirs de dessins animés comme Sherlock Holmes, Renart ou Les Trois Mousquetaires que j’attendais impatiemment dans mon enfance m’ont fait plonger dans cette aventure aisément. Les lecteurs plus âgés comprendront.
Dans « conte pour enfants », il y a « enfants ».
Au nombre réduit de quatre, ce sont bien des adolescents qui sont au centre de l’intrigue. Excepté Camille, les trois autres occupent des postes à responsabilités et sont autorisés à vivre à Evernight. Leur histoire n’est qu’esquisse dans ce premier opus mais ne manque pas de piquer notre curiosité.
North la Vendeuse de Nuit, une femme chat au familier racé, raffine les cauchemars à Aguarian son usine aquatique. Max Le Marchand de Sable s’occupe lui des rêves dans son palais volant d’Alysæ qui fait inévitablement penser au Laputa de Myiazaki-san. Enfin Mathias le Maître du Temps fabrique des montres dans son Palais du Temps, parcourant le ciel tout comme son collègue Max. Ces montres permettent à la fois de réguler le flot de puissance onirique et à la manière d’une boussole, de repérer les humains indésirables qui se réveillent ici.
Quand tout échappe à l’Ordre ; une Camille en fuite, l’étrange disparition d’une montre de Mathias, l’attaque improbable d’un terrifiant cauchemar liquide, un Egrygor, sur une grande ville ; le moteur de l’histoire se met à ronronner tel un MacClaw mécontent et l’aspect mignon, à ma plus grande joie, s’assombrit un peu.
Bien que destiné à un public relativement jeune, les vieux briscards des récits oniriques, les aficionados de lourds secrets, de promesse aux conséquences funestes, d’artefacts originaux et rafraîchissants, de personnages attachants et d’une inventivité qui replongera irrémédiablement les plus âgés en enfance, je vous recommande chaudement l’ouvrage de Mel Andoryss. Seul bémol, deux après-midis viennent à bout des tribulations de Camille. On en voudrait plus tout de suite.