Voici enfin débarquer sur les écrans le film annoncé avec tambours et trompettes comme le meilleur titre de S.F. depuis bien longtemps. Gravity se déroule entièrement dans l’espace, pourtant est-ce de la science-fiction ? Nous ne sommes pas dans le futur, et la technologie mise en scène dans l’histoire n’a rien d’utopique : le film débute alors qu’une mission spatiale de routine autour de l’orbite terrestre touche à sa fin. On assiste à des opérations de maintenance exécutées sur un satellite par un équipage réduit : Ryan Stone (Sandra Bullock), ingénieur, effectue son premier séjour dans l’espace ; Matt Kowalski (George Clooney) est, lui, un astronaute en fin de carrière qui achève son dernier vol ; le troisième membre est un spationaute indien, Shariff (Phaldut Sharma). En quelques minutes, tout bascule : des débris spatiaux entrent en collision avec la navette américaine. Shariff meurt, Stone et Kowalski se retrouvent à dériver dans le vide…
Bullock et Clooney sont des stars, mais la vraie vedette de Gravity n’est autre que le réalisateur Alfonso Cuarón, dont l’art du découpage et de la mise en scène a déjà fait merveille dans le thriller d’anticipation Les Fils de l’homme. Le cinéaste mexicain s’est attaqué à un pari invraisemblable, celui de filmer une histoire se déroulant entièrement en apesanteur. Le défi est relevé haut la main : le tournage a beau avoir eu lieu en studio sur le plancher des vaches, les personnages semblent réellement flotter en gravité zéro, et l’objectif saisit chacune de leurs actions dans des mouvements d’une fluidité extrême. Cuarón coordonne de façon magistrale les mouvements de ses caméras avec ceux des astronautes, des appareils… Une chorégraphie au cordeau qui fait également apparaître, à l’arrière-plan, tantôt le vide étoilé, tantôt le globe magnifique de notre bonne vieille planète bleue, reconstituée pour l’occasion en images de synthèse. Joli paradoxe : 90% de ce que nous voyons à l’image est artificiel, cependant tout semble authentique, et Gravity s’impose comme l’exemple parfait d’une œuvre où la technologie des effets des spéciaux se met entièrement au service du film, et non l’inverse.
Concernant l’histoire, il est donc difficile de cataloguer Gravity comme une œuvre de science-fiction. Le film s’inscrit davantage dans le registre du grand cinéma d’aventure humaine, suivant l’exemple d’Abyss, auquel on peut difficilement ne pas penser : aux prises avec les éléments, le couple Ed Harris-Mary Elizabeth Mastrantonio, dans le film de James Cameron, trouve un pendant avec le duo Bullock-Clooney, le milieu aquatique étant remplacé par le vide sidéral (Ed Harris — coïncidence ? — figure d’ailleurs au générique de Gravity : il est la voix de Houston lors des échanges entre la Terre et l’équipage, au début du film !). Et sans atteindre les sommets d’émotion du chef-d’œuvre de Cameron (la scène de la « résurrection » après noyade de Mastrantonio reste à ce jour le moment le plus intense que j’aie jamais vécu devant un écran de cinéma), le suspense de Gravity fonctionne à plein régime. Le film est porté par Sandra Bullock, magnifique, présente dans presque tous les plans. La survie de son personnage perdu dans l’espace ne dépend pas que de son savoir-faire technologique, mais aussi de sa volonté à communiquer malgré une multitude de barrières, techniques aussi bien que linguistiques, physiques et psychologiques.
Gravity semble bien parti pour devenir l’événement cinéma de cet automne, et on peut parier que le film fera de nouveau parler lui dans quelques mois lors de la prochaine cérémonie des Oscars : Sandra Bullock, déjà récompensée d’un trophée de la meilleure actrice en 2010, pourrait tout à fait décrocher une nouvelle statuette. Quant au titre du meilleur réalisateur, il serait tout aussi justifié qu’il vienne couronner le travail fantastique accompli par Alfonso Cuarón.
Sorti le 23 octobre 2013.