Carrie est l’adaptation à l’écran du premier roman de Stephen King, mais c’est surtout, près de trente ans après le film de Brian De Palma, un remake que beaucoup ont condamné par avance pour sa vacuité. Pourtant, proposer en 2013 une version actualisée de l’histoire n’avait rien d’absurde : Carrie est l’histoire d’une adolescente timide, douée d’un pouvoir de télékinésie mais surtout brimée par ses « camarades » car elle n’entre pas dans le moule des conventions sociales du lycée. Depuis 1973 et la publication du roman de King, le sujet a été rebattu, mais force est de constater que le phénomène du harcèlement scolaire — le « bullying », tel qu’on l’appelle dans les pays anglophones — n’a jamais été en régression. Bien au contraire, l’avènement des smartphones et des réseaux sociaux sur Internet contribuent à amplifier le phénomène. Il est courant aujourd’hui de lire dans la presse les drames de collégiens poussés à la dépression, voire au suicide, à force d’insultes proférées par leurs pairs à longueur de pages web.

La fameuse scène initiale d’humiliation dans les douches du gymnase prend ainsi une ampleur supplémentaire dans ce nouveau film, signé Kimberly Peirce (laquelle a déjà mis en scène une histoire similaire, Boys Don’t Cry, en 1999, avec Hillary Swank). Comparée au récit de King et à la version filmée de De Palma, l’épreuve subie par Carrie est rendue plus pénible encore car une des greluches du vestiaire, Chris Hargensen (Portia Doubleday, dans le rôle tenu en 1976 par Nancy Allen), se rend coupable d’un geste obscène en empoignant son téléphone pour filmer la détresse de la victime. La séquence achevée, on croit imaginer la suite : la vidéo va faire le tour des portables du lycée, susciter ricanements et commentaires déplacés sur Facebook ou autres… Une manière de s’affranchir du récit d’origine pour y apporter une résonnance actuelle. 

Malheureusement, le scénario délaisse illico cette piste à portée pédagogique pour se borner à une besogne de copier-coller du film de De Palma. On évoquera en un clin d’œil, le temps d’une scène dans le bureau du proviseur, la remise en cause de l’autorité des profs, des problèmes liés à l’ego démesuré de certains ados, à qui tout est dû. Mais cette thématique reste aussi en friche, l’essentiel du récit reprenant les étapes du scénario du premier film. On suit donc tranquillement les pas de Carrie jusqu’au bal tragique, le rôle étant tenu par Chloë Grace-Moretz (Hit Girl dans Kick-Ass), beaucoup trop mignonne pour le rôle. Comme ce fut le cas chez De Palma, la « prom night » se conclura par la colère meurtrière de Carrie, une furie rendue possible par ses pouvoirs surnaturels (la force dévastatrice de la jeune fille peut être vue comme la métaphore d’un fantasme de toute-puissance propre à l’imaginaire d’un adolescent brimé). Ce dernier acte se veut le plus spectaculaire du métrage, mais c’est surtout le plus faible : manifestement, Kimberly Peirce n’a pas été à l’aise pour filmer le délire d’effets pyrotechniques du finale. Sabotée par un montage qui abuse des ralentis, la mise en scène frise le ridicule et la pauvre Chloë Grace-Moretz, mal dirigée, figée dans des postures de pantin, finit par nous embarrasser en alignant grimaces et rictus grotesques. Les seuls vrais moments de trouille du métrage sont ceux où intervient Margaret, la mère bigote et psychotique de Carrie, interprétée par une Julianne Moore franchement flippante. Il y aurait aussi eu matière à exploiter la démence mystique du personnage en l’associant aux délires des groupuscules religieux extrémistes dont les agissements parfois criminels font le quotidien de la société américaine. Mais là encore, les scénaristes ratent le coche en maintenant le personnage dans son statut de foldingue isolée. Beaucoup trop d’occasions manquées pour un seul film… Sortie dans les salles le 4 décembre 2013.