Au secours, des vampires dorment dans nos placards ! Dans nos placards, ou plutôt dans les armoires des distributeurs, comme en témoigne Kiss of the Damned, tourné en 2012, vainqueur du trophée du meilleur film au dernier Festival du Film fantastique de Strasbourg, mais à ce jour dépourvu de date de sortie officielle française. L’histoire racontée par Xan Cassavetes (la fille du cinéaste John Cassavetes) est celle de Paolo, un scénariste séjournant seul dans une maison du Connecticut pour y achever son prochain script. Un soir, son regard croise en ville celui de Djuna, jeune dame à l’aura mystérieuse. Djuna est un vampire, et cela ne l’empêche pas de tomber follement amoureuse de Paolo…
Amour et vampirisme étaient au cœur de Twilight, mais nous sommes ici à des années-lumière de l’univers prude des films adaptés des romans de Stephenie Meyer. Djuna et Paolo — mordu, dans tous les sens du terme, campé avec justesse et sobriété par Milo Ventimiglia — s’engagent dans une relation sentimentale (donc sexuelle) dont la peinture donne lieu à un thriller surnaturel et érotique des plus troublants. Le style de Kiss of the Damned n’a pas grand chose d’américain : la musique, les costumes, la photographie… renvoient à une cinématographie bien particulière, celle, européenne, du cinéma de genre des années septante. Xan Cassavetes puise son inspiration dans les ambiances, dans les effets de caméra et de montage des « gialli » transalpins, on hume aussi dans son film des effluves du cinéma de Jean Rollin (eh oui !), au travers de la galerie de vampires féminins, aussi omniprésents ici que dans la filmographie insolite du réalisateur, décédé en 2010. Rollin, j’en suis sûr, aurait été ravi d’admirer les joutes verbales opposant les trois goules du film, d’ailleurs toutes interprétées par des comédiennes françaises : chavirée par son amour pour Paolo, Djuna est jouée par Joséphine de La Baume (actuellement à l’affiche de Quai d’Orsay de Bertrand Tavernier) ; le personnage accueille d’un très mauvais œil l’irruption dans sa vie nouvelle de couple de Mimi, sa propre sœur, elle aussi nosferatu et campée par Roxane Mesquida. Comme avant elle Catherine Breillat ou Gregg Araki, Cassavetes exploite la sensualité de la comédienne en lui confiant un rôle de jouisseuse destructrice, qui pourrait mettre en péril la solidité du couple-vedette. Mimi consomme tous les plaisirs et bafoue une à une les règles de la communauté vampirique dépeinte par le film. Une assemblée à la fois nombreuse et fort discrète, dominée par la figure de Xenia, à la fois maîtresse vampire et comédienne adulée des amateurs de théâtre, vivants comme non-morts. À l’image de son personnage d’étoile des planches, Anna Mouglalis excelle dans le rôle et livre une composition sidérante, notamment dans une scène mémorable, peut-être la meilleure du film, dans laquelle Mesquida lui jette une jeune vierge en pâture, telle une victime sacrificielle.
Kiss of the Damned peut éventuellement agacer par un petit côté snob susceptible de le cataloguer en tant que « film d’horreur pour bobos » : le trio d’actrices n’est pas le seul clin d’œil que Cassavetes adresse à la culture française (le dialogue ne se gêne pas pour citer sans raison Truffaut et même… Peugeot !), et la société des vampires montrée dans le film constitue un milieu feutré, cultivé et bourgeois. Le choix d’associer alors systématiquement le personnage négatif et perturbateur de Mimi à une bande son rock/électro/techno, plus populaire, n’est pas très adroit. Malgré ces quelques réserves, le film de Xan Cassavetes (dont la démarche n’est pas non plus sans rappeler Les Prédateurs de Tony Scott) est un vrai plaisir pour les amoureux de cinéma gothique, pour ceux qui aiment à côtoyer les vampires lorsque ces derniers apparaissent dans leurs incarnations les plus sensuelles et les plus sanglantes. Il ne reste qu’à espérer que l’Octopus d’Or remporté par Xan Cassavetes en septembre à Strasbourg convainque un distributeur de donner à Kiss of the Damned sa chance dans les salles.