« Un beau cauchemar à la Polanski », proclame l’affiche en citant un avis de nos confrères de la presse magazine (en l’occurrence le mensuel Première). Tout comme Le Locataire ou Répulsion, Magic Magic est en effet un film sur la folie, celle d’Alicia (Juno Temple), une jeune Américaine qui rejoint sa cousine Sarah (Emily Browning) au Chili, où celle-ci est étudiante, pour y passer quelques jours de vacances. Les deux filles ne sont pas seules : les accompagnent le petit ami de Sarah, Agustin (Agustin Silva), la sœur de ce dernier, Barbara (Catalina Sandino Moreno), et enfin Brink (Michael Cera), un autre Américain résidant à Santiago. Les comptes sont vite faits : au sein du groupe d’amis, tous plus ou moins délurés, sans complexe, Alicia apparaît comme la cinquième roue du carrosse. La fille est timorée, elle n’a jusque-là jamais mis le pied en dehors des USA. Alors que la petite bande a pris la route vers une île lacustre pittoresque dans le sud du pays, un imprévu met à mal les repères déjà fragiles d’Alicia : suite à un coup de fil, Sarah doit regagner la capitale chilienne pour quelques jours, laissant sa cousine désemparée aux bons soins des trois autres. Ces derniers ne font guère d’efforts pour mettre leur invitée à l’aise, lançant vanne après vanne et parlant essentiellement en espagnol…

Le sentiment d’abandon et de solitude d’Alicia ne suffirait pas à faire un film si la jeune femme n’était pas dès le départ borderline. Il y a en effet un truc qui cloche chez elle, et sa sensibilité à fleur de peau comme sa tendance à l’insomnie (arrivée sur l’île, elle ne dort plus) sont les symptômes d’une psychologie pathologique. Alicia reçoit des appels téléphoniques imaginaires, se figure que les autres, sadiques, s’amusent à la tourmenter. Elle n’a pas forcément tort, le personnage de Brink, par exemple, s’avérant être un individu détestable (dans le rôle, Michael Cera, loin de ses prestations comiques habituelles, livre une composition inquiétante très louable malgré ses tics de jeu énervants, comme le fait de se triturer le lobe de l’oreille quand il doit jouer l’embarras). Cependant, au lieu de remettre l’un ou l’autre à sa place, Alicia s’abîme dans un état de repli mortifère. Lorsque Sarah refait son apparition, deux jours seulement sont passés, mais il est déjà trop tard.

Magic Magic (pourquoi ce titre, au fait ?) risque d’intéresser surtout ceux que la psychologie clinique passionne, illustrant un cas — imaginaire mais qu’on devine documenté — de schizophrénie paranoïaque. Outre le jeu de Juno Temple, émouvante, la détresse d’Alicia est représentée à l’écran par de nombreuses métaphores, pour la plupart animalières (plusieurs séquences mettent en scène un mouton, un perroquet, un chiot… victimes d’un destin funeste). La récurrence de ces symboles, associée à des plans fréquents sur une nature sauvage d’une beauté peu accueillante (le ciel est bouché, l’eau est froide, les rochers menaçants), crée une atmosphère cauchemardesque réussie, constamment sur le fil entre réalisme et fantastique. Maintenant, le film de Sebastian Silva va irriter ceux qui s’attendent à découvrir un thriller psy au rythme fun et rapide (ce que laisse penser la bande annonce, visible ci-dessous). Le tempo de Magic Magic est lent, voire contemplatif, et le dénouement en demi-teintes (décevant, il est vrai, en queue de poisson) fera grogner tous les spectateurs ayant espéré un pétage de plombs final et sanglant, comme on peut en voir fréquemment dans ce type d’histoire au cinéma. S’il est frustrant, ce refus du spectaculaire est quand même tout à l’honneur du cinéaste, qui maintient jusqu’au bout la cohérence du style de son film. Magic Magic n’égale donc peut-être pas les chefs-d’œuvre précités de Roman Polanski, mais il réussit à nous embarquer dans un voyage dont les relents de mauvais trip restent durablement en mémoire.

 

Sortie dans les salles françaises le 28 août 2013.