D’où venons-nous? Qui sommes-nous? Où allons-nous? Doit-on revenir sur le passé? Peut-on échapper à son destin?
Vous avez une heure trente-six.
Ce sujet aurait largement pu être présenté aux candidats en lice pour l’obtention du baccalauréat en ce mois de juin. C’est finalement Nacho Cerda, le jeune réalisateur espagnol des courts métrages Aftermath (1994) et Genesis (1998), qui s’est emparé de ces questions philosophiques pour les confronter au surnaturel dans son premier long métrage Abandonnée (The Abandoned).
Marie, productrice de cinéma américaine, retourne dans son pays natal, la Russie, où le cadavre de sa mère a été retrouvé dans des circonstances étranges. Elle ne l’a jamais connue, ayant été adoptée et emmenée aux Etats-Unis à la naissance. Elle apprend alors qu’elle hérite d’une ferme isolée dans les montagnes, que certains pensent damnée. Marie décide alors de s’y rendre pour percer le mystère de la mort de ses parents, mais le guide qui l’accompagne vers ce lieu maudit disparaît. Marie se réfugie dans la maison sombre où elle détecte une présence…
Ce long métrage, présenté lors du 14e Festival du Film Fantastique de Gérardmer, est à nouveau l’occasion de plonger le public dans un décor oriental dont semble s’emparer le cinéma d’horreur depuis quelques temps. Dracula avait ouvert une brèche dans la confrontation entre l’Occident et l’Orient et, peut-être lassée de rester sur son territoire, l’épouvante européenne (Ils, 2006) se réapproprie des lieux un peu laissés de côté.
Cerda nous fait pénétrer dans le fin fond de la Russie en ouvrant son film sur le charme discret des paysages éclairés par de faibles lueurs solaires : c’est le temps des certitudes. Mais lorsque la nuit tombe, les interrogations fusent dans la tête de Marie. Quand elle pénètre dans le périmètre de sa maison natale, la nuit et la rivière viennent dessiner une frontière hermétique autour de l’héroïne, à l’image du fleuve qui entoure les Enfers.
C’est dans les méandres de l’esprit du personnage principal que le réalisateur nous guide. Il est certain que Sigmund Freud et autres psychanalystes reconnus auraient matière à analyser ce film qui se pose comme une énigme pour le spectateur. Mais au final qu’importe ce qui arrive réellement à la jeune femme en proie à son histoire, c’est l’atmosphère distillée par le metteur en scène qui prend le pas sur le scénario. Les fantômes du passé, les personnages du présent et les fantômes du futur déambulent dans des clairs-obscurs avec un travail sur les ombres évoquant l’expressionnisme allemand qui a fait les beaux jour du cinéma fantastique dans la première partie du XXe siècle. Un rythme effréné donne le ton aux incertitudes de Marie jusqu’à nous faire perdre le fils des événements. C’est quelque part un film interactif. Il joue avec les peurs enfouies au plus profond de nous même: “Abandonnée est le résultat de mon cruel désir de frapper les spectateurs de terreur pendant 90 minutes, explique le réalisateur. J’ai souhaité invoquer mes peurs enfantines et les mêler aux leurs, comme la peur du noir, d’être seul… Et, au bout du compte, celle de la mort.” Souhait exaucé. On frissonne d’un bout à l’autre de ce film très réussi.