Est-il vraiment besoin de présenter Christophe Bec? Il faut dire que même le "prolixe" ne semble pas assez fort pour cet auteur complet, tour à tour scénariste, dessinateur ou les deux selon les cas. Cette année ne l’aura pas vu se reposer une seconde; Carthago, Pandemonium, Prométhée, pour n’en citer qu’une partie: les tomes s’enchainent à une vitesse vertigineuse. Pourtant, que ce soit dans son travail de scénariste ou son travail de dessinateur, on décèle chez Bec une cohérence dans ces univers. Khimaira, qui a déjà rencontré l’auteur, ne pouvait pas manquer une occasion de faire le point…
Khimaira : Vous êtes un auteur complet, à la fois scénariste et dessinateur. Ou plus exactement, parfois scénariste et parfois dessinateur : comment voyez vous ces deux postes ? Est-ce qu’il s’agit pour vous du même travail, ou de deux métiers vraiment différents ?
Christophe Bec : Ce sont deux métiers à part et très différents. J’aime varier les collaborations, être scénariste offre cela bien plus qu’en étant simplement dessinateur. Je suis aussi auteur complet sur la série Prométhée et je découvre l’extrême satisfaction qu’il y a à pouvoir tout maîtriser au niveau de son travail.
Khimaira : La plupart des auteurs complets dessinent parfois sur le scénario d’un autre, mais se contente beaucoup plus rarement du scénario pour laisser le dessin à un autre. Est-ce que ce n’est pas trop difficile de confier la réalisation à quelqu’un d’autre quand on possède soit même les compétences pour le faire ?
C.Bec : Non, ce n’est pas difficile, je n’ai pas spécialement une haute estime de mon dessin et j’estime donc que certains dessinateurs illustrent beaucoup mieux que moi certaines de mes histoires. De plus, j’écris parfois certains scénarios pour des styles de dessin dont je suis à l’opposé. C’est aussi l’intérêt d’être scénariste, laisser un autre que soi amener sa propre vision sur son œuvre.
Khimaira : Comment est-ce que Christophe Bec, le dessinateur, influe sur Christophe Bec, le scénariste ? Est-ce que vos scénarios sont très précis, avec un découpage déjà réalisé ?
C.Bec : Mes scénarios sont beaucoup plus précis lorsque je les destine à un autre dessinateur. Pour ma part, comme sur Prométhée, scénario et dessin s’imbriquent. L’un peut générer l’autre et vice versa.
Khimaira : A l’inverse, comment le scénariste influe-t-il le dessinateur : est-ce que vous avez un regard critique sur les scénarios que vous mettez en image et en séquence? Est-ce que vous faites beaucoup de remarques ou propositions à votre scénariste ?
C.Bec : Je n’ai pas depuis Sanctuaire redessiné sur le scénario d’un autre, même si cela va se faire prochainement avec Eric Corbeyran. Mais à l’époque déjà j’avais tendance à effectivement amener ma propre vision. Par exemple Sanctuaire au départ était un scénario d’action et c’est moi qui ai eu l’idée et l’envie de le tirer vers du Lovecraft, Xavier Dorison le scénariste à eu l’extrême intelligence de s’y engouffrer joyeusement ! Et je crois que c’est ce qui a plu et qui fait que la série est devenue un classique du genre.
Khimaira : Vous n’avez finalement pas tellement de série où vous assurez à la fois scénario et dessin. Pourquoi ?
C.Bec : Et bien parce que cela prend énormément de temps. Finalement, être auteur complet, si on maîtrise tout certes, veut également dire que l’on doute beaucoup plus, c’est une perpétuelle remise en question. On est seul face à son œuvre, face à son travail, face à ses propres limites.
Khimaira : Comment travaillez-vous sur ces séries ? Est-ce que vous séparez complètement la phase de scénario de la phase dessins, où sont elles plus imbriquées ? Comment voyez-vous le travail d’un artiste comme Moebius, dont la carrière a justement été consacrée à la recherche d’une fusion complète entre l’écriture du scénario et le dessin ?
C.Bec : Comme je le disais précédemment, elles sont effectivement très imbriquées, se générant l’une l’autre. Evidemment, on tend tous vers une fusion entre le dessin et l’histoire, car c’est là où tout se situe, entre les deux, dans ce justement qui est insondable et que l’on tente – sans doute vainement – de maîtriser. Pourtant, je n’en fais pas une quête ultime comme par exemple cela a été le cas d’un Hugo Pratt : aller jusqu’à un « dessin-écriture ». Je ne crois pas me situer à ce niveau-là, je n’ai pas cette prétention car je n’en ai tout simplement pas le talent. J’essaie juste de faire au mieux avec mes propres moyens.
Khimaira : Parlons de votre actualité maintenant, et de Prométhée en particulier. C’est une série ambitieuse et apocalyptique. Vous y signez scénario et dessin. Un projet qui vous tient fort à cœur ?
C.Bec : Pas forcément plus que des séries où je suis scénariste. Je tiens à toutes mes séries, pour des raisons différentes. Effectivement, pour Prométhée étant donné que je suis le dessinateur, c’est la série avec laquelle je vis le plus de temps, donc forcément, c’est particulier et l’attachement aussi est particulier.
Khimaira : La théorie des complots, c’est quelque chose qui vous a toujours fasciné ?
C.Bec : Pas vraiment. Je suis plus fasciné par l’inexplicable ou l’insondable.
Khimaira : Dans le second tome, les satellites sont détruits, pourtant la présentatrice vedette continue de présenter le JT… La destruction des satellites n’aurait-elle pas plus d’impact chaotique vu l’importance du réseau satellitaire pour l’homme aujourd’hui ?
C.Bec : Je suis conseillé sur Prométhée par des scientifiques ou des spécialistes dans certains domaines. Ce qui est décrit dans le tome 2 au niveau des répercutions après la disparition des satellites est largement décrit et est visiblement plausible, après ce n’est évidemment pas exhaustif, ce serait trop rébarbatif, je dois rester ludique et ne pas ennuyer avec de trop longues explications. Et de toute façon, je suis là pour faire rêver (ou cauchemarder) et pas pour livrer une copie scientifique parfaitement exacte. Mon boulot ce n’est pas de faire du vrai, c’est de faire du crédible ! Et ce n’est pas du tout la même chose… Pour la TV il existe le câble.
Khimaira : Prométhée nous plongera de plus en plus dans la noirceur. Le mythe de Prométhée est pourtant porteur d’espoir. Dans la série, y aura-t-il de l’espoir ?
C.Bec : Je ne peux pas répondre à cette question sans dévoiler trop de choses. Vous le découvrirez à la lecture des prochains tomes, ce sera une série assez longue, probablement 6 ou 7 tomes.
Khimaira : Prométhée signe votre retour chez Soleil. Quel est l’atout de cet éditeur pour votre histoire ? Pourquoi avoir choisi de la publier chez eux ? L’idée "grand spectacle" colle-t-il plus à la maison toulonnaise ?
C.Bec : La signature chez Soleil s’est faite à la suite des difficultés financière des Humanos chez lesquels j’avais engagé beaucoup de choses et qui étaient alors mon éditeur principal. Les éditions Soleil ont été les plus promptes à me sortir d’une situation difficile. Je sortais aussi d’une grosse crise personnelle durant laquelle j’avais totalement arrêté le dessin. Et revenir chez mon premier éditeur me plaisait bien dans l’idée. Après, je ne sais pas si ma série est mieux chez Soleil qu’ailleurs, je m’en fiche un petit peu en fait… ce qui compte pour moi c’est la liberté de travail et la confiance de son éditeur, et j’ai pour l’instant ces deux choses-là chez Soleil.
Khimaira : D’une manière générale, est-ce différent de travailler pour Soleil, les Humanos ou Dupuis? Est-ce que l’éditeur est important ?
C.Bec : Il y a évidemment des différences, quoique avec la crise actuelle tout cela est en train de se gommer et finalement on retrouve les mêmes méthodes un petit peu partout, même chez les éditeurs historiques comme Dupuis par exemple.
Khimaira : Puisque l’on parle d’éditeur, pourquoi Pandémonium a-t-il changé d’éditeur ? Est-ce que vos autres séries chez les Humanos vont aussi changer ?
C.Bec : Trois de mes séries ont été rachetées par les éditions Soleil suite aux ennuis des Humanos. Il y a en effet eu Pandémonium mais aussi Le Temps des Loups. C’était aussi le cas de Deus même si l’album était en cours, série arrêtée depuis par Soleil. Comme quoi pour cette dernière cela n’a pas servi à grand chose au final. Sanctuaire et Carthago sont toujours au catalogue des Humanos.
Khimaira : Vous avez beaucoup de séries en cours à la fois; vous avez peur de vous lasser avec une seule série ? Et surtout, comment faites pour vous y retrouver ?
C.Bec : Je fais les choses par envie et seulement par envie. J’aime varier les plaisirs, pour moi être un véritable auteur, c’est être éclectique ! Si c’est pour resservir sempiternellement la même soupe, je n’en vois pas l’intérêt. Je n’aime pas le confort. Parfois je me casse la gueule, ça fait partie du truc. J’aurais pu exploiter le succès de Sanctuaire, en être aujourd’hui au tome 10, et être riche. J’ai pourtant choisi une toute autre voie, celle qui consiste à explorer tout un tas de choses et de domaines, s’enrichir artistiquement et humainement au contact d’autres auteurs. Alors quand j’entends que je ferai soi-disant plein de séries seulement pour l’argent, une analyse aussi simpliste et stupide me fait bien rigoler. En 17 ans de carrière je peux me vanter d’avoir toujours tenu mes délais. Pour cela, il faut juste être organisé, ne jamais remettre à demain ce que l’on peut faire le jour même, ne jamais se laisser déborder. C’est beaucoup de travail et d’investissement.
Khimaira : Vous n’avez jamais pensé lier différentes séries entre elles pour créer un univers plus vaste, à la manière de séries comme les 7 Vies de l’épervier ou d’Histoires secrètes, ou des comics américains ?
C.Bec : Non, ce serait ridicule. Justement je développe pas mal de séries pour faire des choses différentes, au final, ce n’est pas pour les réunir. Et puis ce serait purement mercantile.
Khimaira : Vous n’avez d’ailleurs jamais pensé à travailler pour un éditeur US ? Un auteur aussi prolixe conviendrait à leur rythme soutenu de parution !
C.Bec : Mais Prométhée va être publié aux Etats-Unis par Marvel et j’ai conçue la série dès le départ pour les deux marchés !
Khimaira : Quelles sont vos plans pour le futur? Il me semble que Carthago est prévu pour durer, mais quand est-il de vos autres séries du moment comme Prométhée ou Pandémonium ? Est-ce que vous avez déjà de nouvelles séries en tête ? D’autres projets?
C.Bec : La série Carthago est prévue en 8 tomes. Les délais entre chaque album seront assez longs, le tome 3 ne devrait pas paraître avant fin 2011, le dessinateur Eric Henninot réalisant actuellement un XIII Mystery. Pour palier ces délais, je viens de signer un spin-off, des one-shots qui permettront aux lecteurs de patienter entre deux tomes.
Le tome 3 de Pandémonium qui terminera la série sortira courant 2010. Quant à Prométhée j’ai déjà bien entamé le tome 3.
Pour les projets à venir, il s’agira surtout de one-shots, notamment un dans la nouvelle collection « Le Casse » de David Chauvel.