Vous trouvez peut-être curieux de voir chroniqué sur Khimaira un film comme Django Unchained, un western, un vrai, sans une once de surnaturel, où aucun desperado abattu ne reviendra chercher vengeance sous forme de zombie, où pas un alien ne débarque pour semer la panique chez les garçons vachers. Oui, mais avant d’être un western, Django… est d’abord un film de Quentin Tarantino, et, en tant que tel, il peut difficilement être abordé comme on le ferait avec une œuvre de John Ford, de Clint Eastwood ou de Kevin Costner. Il en va avec Django… comme avec Inglourious Basterds, l’autre film d’époque du cinéaste, qui débutait par l’intertitre « Il était une fois… » pour prévenir du caractère uchronique du récit. Django Unchained explore une proto-Amérique esclavagiste, un monde à la violence cauchemardesque dont la peinture parfois surréaliste relève moins des pages des livres d’Histoire que du pur fantasme de cinéaste. Ces bases étant posées, il faut maintenant convenir que ce huitième long métrage tarantinien est loin de figurer parmi les meilleurs titres du réalisateur.

Se déroule sous nos yeux l’aventure improbable d’un esclave affranchi, « unchained » (Jamie Foxx interprète le rôle-titre), qui, en 1858, devient chasseur de primes dans le seul but de retrouver, un jour, son épouse, elle aussi esclave, captive dans une plantation de coton. Comme d’habitude, Tarantino prend un évident plaisir à malaxer ensemble toutes sortes de références, à commencer par des allusions aux westerns spaghetti (le nom du héros, Django, est à l’origine un personnage de pistolero — blanc — joué par Franco Nero dans un film éponyme de 1966 ; Nero fait d’ailleurs une brève apparition dans ce nouveau film). Mais surtout, le cinéaste est allé chercher la trame de son histoire dans La Chanson des Nibelungen, épopée médiévale germanique du 13ème siècle, elle-même issue des mythologies scandinaves et citée clairement dans le dialogue. Épaulé dans sa quête par King Schultz, « bounty hunter » allemand qui en fait un homme libre et le prend sous son aile (Tarantino a réengagé son comédien génial d’Inglourious Basterds, l’Autrichien Christoph Waltz), Django apparaît comme un équivalent de Siegfried défiant le dragon (ici un esclavagiste campé par un effrayant Leonardo DiCaprio) pour sauver sa douce Broomhilda (Kerry Washington — le nom de son personnage fait écho à Brynhild/Brünnhilde, épousée par Siegfried dans la légende d’origine).

Tarantino fait montre d’une certaine culture classique, ce qui l’honore, mais ces sources illustres n’empêchent pas à l’intrigue de se résumer aussi très bien en une simple phrase du style « Une fine gâchette cherche sa nana kidnappée et galope un paquet de miles en butant plein de types pour la retrouver ». Un bémol tout à fait fondé : d’un point de vue dramaturgique, Django Unchained s’avère plutôt léger, il ne soutient pas la comparaison avec le chef-d’œuvre Inglourious Basterds, et ceux qui ont adoré ce précédent opus de Tarantino (notamment pour son propos réflexif sur le pouvoir du cinéma) vont la trouver un peu saumâtre. La principale faiblesse du film vient du héros lui-même : Django a beau avoir été esclave, il ne profite pas de sa liberté providentielle et de ses armes pour s’élever au nom des Noirs opprimés et aller trouer le cuir de ces fumiers de Blancs. Le personnage poursuit une quête égoïste, il est courageux, certes, mais ne véhicule pas d’autres valeurs que celle de l’opiniâtreté individualiste. L’attitude même de Django à l’égard des autres Noirs encore sous les fers est même des plus ambiguës, comme s’il reprochait implicitement à chacun de ne pas saisir la moindre occasion de sauter à la gorge des tortionnaires. Un quasi antihéros, et la difficulté pour le spectateur d’adhérer à son odyssée est d’autant plus grande que Tarantino ne force pas son talent et abuse de ses dons de dialoguiste pour étirer au-delà du raisonnable un joli paquet de scènes, et du coup son film, d’une durée excessive de 2h45. La dernière demi-heure est de trop, elle prolonge l’histoire artificiellement bien au-delà de l’épilogue logique (une fusillade paroxystique dans une maison coloniale) en introduisant au passage des invraisemblances indignes de la réputation de cinéaste-prodige dont Q.T. bénéficie depuis son premier coup d’éclat, Reservoir Dogs, il y a 20 ans. Si on veut chercher la petite bête, décortiquer le moindre rouage du script, on s’apercevra même que le stratagème alambiqué mûri par les deux compères, Django et Schultz, pour ravir la jolie Broomhilda à son « propriétaire » n’a pas vraiment de raison d’être…

Heureusement, quand même, tout n’est pas à jeter, loin s’en faut, dans Django Unchained, qui, malgré sa construction bancale, reste un divertissement haut de gamme. As usual, les chansons qui font swinguer la bande son sont idéalement choisies, photo et direction artistique sont splendides et le film contient le lot de pépites qu’on a coutume de découvrir dans chaque nouvelle œuvre de Tarantino. Le récit est pimenté de trouvailles qui mettent à mal — pour la bonne cause — la réalité historique, telles les fameuses « mandingo fights » (totalement imaginaires et empruntées, cela dit, à un film de Richard Fleischer de 1975) et une scène satirique de raid nocturne à cheval qui réinvente sur un mode comique les origines du Ku Klux Klan, et qui est à se tordre. Enfin et surtout, l’interprétation est magnifique : Foxx a une sacrée prestance, et si Waltz capitalise sur son succès d’Inglourious Basterds pour livrer à peu près le même numéro, il en est tout autre pour Samuel L. Jackson et Leonardo DiCaprio, incroyable duo, pendant négatif de l’association Schultz/Django qui, dans le troisième acte, vole la vedette aux héros. Sam Jackson incarne Stephen, un majordome black qui a livré son âme aux Blancs, DiCaprio/Calvin Candie mène son existence de propriétaire de plantation au gré de ses épouvantables lubies racistes. Et Tarantino, amoureux du verbe, leur colle en bouche une invraisemblable grammaire slang afro-sudiste qui a de quoi faire capituler les oreilles des linguistes distingués. Le contraste entre l’anglais châtié pratiqué par l’Allemand Schultz et celui, sauvage, décadent, mâché par les deux salauds est aussi fendant que saisissant. Voilà donc in fine un certain nombre de qualités, qui sauveront peut-être la séance de ciné des plus indulgents, mais qui auront un peu de mal à faire oublier aux autres la paresse passagère de la plume du scénariste Tarantino.

Sortie dans les salles le 16 janvier 2013.