Adapté de Bilbo le Hobbit de J.R.R. Tolkien, Un Voyage inattendu n’est que le premier volet d’une trilogie (le deuxième épisode, La Désolation de Smaug, déjà tourné, sortira le 11 décembre prochain). Antérieur de 60 ans à l’action du Seigneur des anneaux, le périple du titre est celui du Hobbit Bilbon Sacquet (Bilbo Baggins en v.o.), qui prend part à l’expédition périlleuse d’un groupe de Nains menés par le fier Thorin et le magicien Gandalf le Gris. Le but de l’aventure ? Reconquérir la montagne d’Erebor, autrefois la patrie des Nains, aujourd’hui le repaire du dragon Smaug, qui, attiré par les monceaux d’or qu’abrite la cité, a chassé le petit peuple de son royaume. Une odyssée initiatique pour Bilbon, jusqu’alors hobbit timoré habitué au confort douillet de sa chaumière.
Peter Jackson revient donc dans la Comté dix ans après Le Seigneur des anneaux, œuvre gargantuesque — 12 heures de métrage dans sa version « extended » sortie en vidéo — qui m’a envoûté comme des millions d’autres quand je la découvris en salles. Depuis, on a pu s’ébahir devant un autre titre devenu incontournable, Game of Thrones, l’extraordinaire série (je n’ose même plus qualifier le titre de série « télé ») de David Benioff et D.B. Weiss, d’après le cycle A Song of Ice and Fire de George R.R. Martin, qui a établi de nouveaux standards en termes de fantasy à l’écran. Un univers plus adulte, plus violent que celui mis en scène par Jackson, où le merveilleux et les grands sentiments s’effacent au profit d’intrigues à base de luttes de pouvoir, et où les joutes sont plus souvent verbales (quels dialogues !) que menées au fil de l’épée. Le Hobbit nous arrive entre la deuxième et la troisième saison de Game of Thrones. Est-on, en 2012, encore disposé à accueillir à bras ouverts les cohortes de Trolls, de Nains, d’Orques et de Gobelins déployées par Peter Jackson ?
J’aurais été tenté de répondre par un grand et indéfectible « Oui ! » pour peu que Peter Jackson ait réussi à renouveler la surprise qu’il avait su créer grâce à sa première trilogie. Or, d’étonnement il n’y a guère dans ce chapitre initial du Hobbit. A priori, pourtant, rien ne manque, les rencontres, bonnes ou mauvaises, amicales ou meurtrières, vont s’avérer nombreuses et émailler tout le voyage au cœur du Pays sauvage. On découvre notamment des créatures que Le Seigneur des anneaux n’avait pas montrées, à la faveur de scènes aux tons très variés : l’irruption des Trolls dans l’expédition donne lieu à un quart d’heure de pure comédie picaresque, l’arrivée des héros chez les Gobelins permet à Jackson d’imaginer un monde souterrain dantesque, à la fois truculent et infernal. Et la mise en scène, dans ce passage comme dans tous les autres, est toujours magnifique, dans les majestueuses scènes de foule (les batailles) comme dans les échanges intimistes où la profondeur des regards fait évaluer à quel point le cinéaste Néo-Zélandais parvient à tirer le meilleur du jeu de ses comédiens.
Mais cette virtuosité formelle tourne cette fois un peu à vide, par la faute d’une impression tenace de déjà-vu qui transpire de la première à la dernière minute du film. Un Voyage inattendu introduit certes un nouveau visage en tête d’affiche (Martin Freeman, alias le Docteur Watson dans la série de la BBC Sherlock), mais il permet surtout à de nombreux personnages du Seigneur… de refaire leur apparition (Bilbo âgé campé par Ian Holm, Frodon, Saroumane, Gandalf, Galadriel, Gollum… eux aussi joués par les mêmes comédiens), et surtout la structure dramatique du film reprend à l’identique celle de La Communauté de l’anneau. En somme, si pour Bilbon la quête est riche en découvertes et en enseignements, elle se déroule pour le spectateur en terrain connu et balisé il y a dix ans déjà. Des conditions qui ne permettent guère de se sentir porté par le souffle de l’épopée. À la toute fin, un insert sur l’œil du dragon Smaug sonne comme la promesse d’un affrontement épique en ouverture du deuxième volet. « I do believe the worst is behind us », déclare candidement Bilbon à la faveur d’une ultime réplique. Reprenons la formule à notre compte et espérons aussi que le meilleur reste à venir…
Sorti dans les salles le 12 décembre 2012.