Soyez sympa, rembobinez ! Voici une collection de courts métrages dont le titre fait du pied aux geeks nostalgiques des grosses cassettes noires, notamment ceux qui, comme moi, ont connu leurs premiers émois cinéphiliques dans les années 1980 en gavant leur magnétoscope de bandes d’horreur louées au vidéoclub. L’anthologie se veut une série de vhs renfermant des traces « authentiques » d’événements criminels ou paranormaux, filmés sur le vif — autrement dit du « found footage » pur jus avec les obligatoires sautes d’images, avec du bruit vidéo, des titres blancs en incrustation, sans oublier les cadres tremblés qui partent dans tous les sens quand l’action s’emballe. Pour le coup, adios les eighties, nous voici illico de retour au 21ème siècle, dans l’ère des [Rec], Grave Encounters et autres Paranormal Activity… Pour ma part, je suis saturé par ce genre d’écriture audiovisuelle, et je me demandais bien, avant de découvrir le film, comment une nouvelle prod du genre, affichant du reste une durée-record de deux heures, pourrait éviter de me faire bailler et apporter un peu de sang neuf à ce type d’épouvante.
Tape 56 d’Adam Wingard est le fil rouge — très ténu — de l’anthologie. Une bande de potes cambriole une bicoque à la recherche d’une mystérieuse cassette vidéo. Un des mecs trimballe une caméra (histoire d’immortaliser le larcin ?). Le groupe tombe sur un cadavre d’homme dans un fauteuil, devant un mur d’écrans à tube envahis par la « neige ». Tout autour, des piles de cassettes… Les mecs appuient sur « play » et c’est parti ! Sur la télé défilent les images d’Amateur Night, premier sketch, dans laquelle de joyeux fêtards mâles sont en quête de joyeuses fêtardes femelles. Deux demoiselles abordées en boîte se joignent au groupe, direction un motel où l’orgie va virer au massacre… Coproduit par le webzine américain Bloody Disgusting, V/H/S a fait sa réputation en annonçant du sexe, du fantastique, du gore, et Amateur Night est le seul sketch à cumuler les trois ingrédients. Le casting est dominé par Hannah Fierman, dont le nom ne vous dira sans doute rien mais qu’on apprend vite à connaître. La comédienne joue de ses yeux immenses pour interpréter la très étrange Lily, une vampirette avide de sang autant que d’affection. Le monstre sexy précipite le récit dans un crescendo de violence sanglante capté par les lunettes à caméra cachée portées par un des personnages ! Le dispositif est original, quoiqu’un un peu limite question vraisemblance (on a de la chance que, dans l’action, le gars ne pulvérise pas ses binocles !). Le dénommé David Bruckner signe tout de même ce qui va s’avérer être le meilleur segment de l’anthologie.
Second Honeymoon n’a pas été tourné par un inconnu. Ti West, le réalisateur des très bons House of the Devil et The Innkeepers, a mis en scène un jeune couple, Sam et Stephanie, en vacances dans le désert de l’Arizona. Ils font la route, s’arrêtent la nuit dans les motels et filment leurs pérégrinations au caméscope. Mais voilà : ils sont suivis par une fille qui s’introduit dans leur chambre, une nuit, pour les soulager de quelques billets… Sam et Stephanie sont campés avec beaucoup de naturel par deux jeunes comédiens pleins de talent, mais il ne se passe pas grand-chose dans ce court : on comprendra a posteriori que des faits importants se sont joués avant que les héros n’appuient sur « rec », ou alors pendant que la caméra ne tournait pas. Franchement chiant en dépit de la chute avec cran d’arrêt qui fait soudain jaillir l’hémoglobine.
Troisième film, signé Glenn McQuaid, Tuesday the 17th se démarque de Friday the 13th par la date, mais c’est à peu près tout puisqu’on retrouve les sempiternels étudiants en vacances décimés au fond d’un bois. À vrai dire, le film emprunte aussi beaucoup à Reeker (2005) de Dave Payne, puisque le tueur ici réquisitionné est une sorte d’entité spectrale douée d’ubiquité et n’apparaissant que brouillée à l’image. Les héros font les idiots avec leur caméra avant que le bodycount ne s’enclenche. La fille blonde cane la première, la brune sera la dernière. Une fois encore, on s’emmerde.
The Sick Thing That Happened To Emily When She Was Younger de Joe Swanberg est presque entièrement tourné en plans fixes : le film est une suite de conversations en chat vidéo entre une jeune femme et son boyfriend. Les images de la webcam d’Emily occupent la plus grande partie du cadre, le petit copain, Chad, intervient dans une fenêtre plus petite en bas de l’écran. Le gars parle de retrouver la fille un week-end, mais il devient vite évident qu’ils ne se rencontrent jamais : Emily souffre de troubles psy genre « schizophrénie légère », elle s’imagine que son appartement est hanté, qu’elle a un truc planqué sous la peau de l’avant-bras… The Sick Thing… parvient à engendrer un réel petit malaise en nous collant devant les errances du personnage. De son côté de l’ordinateur, Chad a l’air de faire ce qu’il peut pour aider Emily, et on se sent aussi impuissant que lui. Les dernières minutes réservent un coup de théâtre cruel mais susceptible de frustrer car il nous manque manifestement des pièces du puzzle pour mesurer tout ce qui est en train de se jouer. Pas mal quand même. Mon sketch préféré après Amateur Night, d’autant que l’absence de « shaky cam » autorise une pause oculaire bienvenue.
10/31/1998 du collectif Radio Silence ferme le bal avec une party d’Halloween qui marque quelques points. Quatre grands cons déguisés comme des gamins s’aventurent dans une villa cossue à la recherche d’une fête d’Halloween. Mais on dirait qu’il n’y a personne à la maison, comme le montrent les images de la caméra planquée dans le costume d’ours (!) porté par un des gars. Une surprise attend la bande au grenier, où quelques allumés jouent à L’Exorciste avec une nana enchaînée à une poutre. Sauf qu’en fait, ils ne s’amusent pas… Le final de cet ultime court métrage verse à 100% dans le surnaturel, la baraque se transforme en gigantesque train fantôme. C’est plaisant si tant est qu’on supporte les images de la caméra secouée, alors que les héros fuient à toute vitesse en évitant les chausse-trapes.
Ça y est, les deux heures de projo sont passées, les crédits commencent à défiler, typographiés dans une police façon Amstrad CPC. Deux sketches et demi sur cinq (sur six, en comptant le fil rouge) sont parvenus à me convaincre, le bilan est donc tout ce qu’il y a de plus mitigé. Le problème du film — des films — ne vient pas de la mise en scène, dans l’ensemble très efficace, parfois originale, mais dans le manque d’ambition des scénarios, plutôt des ébauches qui ne proposent aucune histoire réellement construite et satisfaisante en matière de dramaturgie. Et le sentiment de vacuité est d’autant plus prégnant que l’alibi de la vidéo embarquée, dans la plupart des sketches, ne trouve aucune justification valable (nom de Dieu, mais qu’est-ce que ces personnes foutent à se filmer en permanence ?). Le franco-canadien The Theatre Bizarre, sorti tout récemment en dvd (voir ma critique du film dans le compte rendu de Gérardmer 2012), a sonné le retour en fanfare du bon film d’épouvante à sketches, ce V/H/S US vient un peu gâcher la fête.
Pas de sortie prévue pour l’instant dans les salles françaises ou en dvd/blu-ray, mais V/H/S sera projeté en novembre au cours de la seconde édition du PIFFF, à Paris.