Leon Kaufman a tapé dans l’œil d’une galeriste réputée de New York. Pour s’assurer la promesse d’une exposition, le photographe doit cependant proposer des images encore plus fortes et pousser plus avant sa quête des aspects les plus sombres de l’être humain. Au gré de ses errances nocturnes Leica au poing, il découvre les agissements d’un tueur en série mutique dans une rame de métro…
Il y a un côté Blow Up dans ce film tiré de la nouvelle Le Train de l’abattoir de Clive Barker. Comme le photographe joué par David Hemmings dans le film d’Antonioni, Leon poursuit une quête obsessionnelle, quête d’autant plus passionnante qu’elle ne se résume pas à une simple investigation mais se double d’un processus créatif, les excursions nocturnes à bord du métro n’étant au départ motivées que par la réalisation de photographies.
Leon est « accroché » par le Boucher, par son apparence (coupe stricte, costume sombre et cravate noire, chemise blanche) et son attitude hiératique qui contrastent fortement avec le cadre dans lequel il l’observe. D’où la promesse de photos en noir et blanc réussies, formellement séduisantes. Il rencontre en outre une sorte d’alter ego car le tueur est aussi, à sa manière, un créateur : les passagers de la rame de métro fatale sont sa matière première. A coups de marteau, il les façonne pour les changer en quartiers de viande sanguinolente. Dans ses moments, le regard d’un troisième homme — le réalisateur lui-même, Riyûhei Kitamura — se fait éminemment présent, comme s’il était fasciné et excité lui aussi, à l’instar de Leon, par les scènes d’horreur qu’il est amené à filmer : chaque virée à bord de la rame fatale donne à la caméra l’occasion de s’emballer dans une chorégraphie gore exubérante où le sang versé dessine des arabesques sur les parois, le sol, les vitres du métro, et vient maculer de perles écarlates le col impeccable et amidonné du Boucher.
Quid des spectateurs ? Nous aussi prenons du plaisir à contempler ces horreurs et jouissons, quelque part, du spectacle du sang et de la chair si férocement et artistiquement découpée. Car, comme le filmeur Kitamura, nous savons fort bien que tout cela n’est que du cinéma, de la mise en scène, que c’est « pour de faux ». Pour le personnage Leon, en revanche, les choses ne sont pas aussi simples : hanté par les agissements du Boucher, le photographe voyeur — pléonasme — s’embarque dans un voyage initiatique sans retour au bout duquel il devra céder à sa part d’ombre.