C’est un fait scientifique que le cinéma américain nous démontre depuis des lustres : les ados US sont une espèce à part (entière), et les lycées sont des biotopes où moult spécimens (sportifs cons, grosses têtes, bullies, bimbos narcissiques, freaks, weirdos et autres geeks) frayent, s’affirment et s’affrontent, alors que les années sont rythmées par des jalons incontournables (matches de foot du week-end, examens, bal de promo, remise des diplômes). À l’écran, l’univers des teenagers donne lieu à des comédies (Breakfast Club, Scott Pilgrim, Kick-Ass…), à des slashers en veux-tu, en voilà (Les Griffes de la nuit, Scream, Prom Night…), à des films de science-fiction (The Faculty, Donnie Darko, Retour vers le futur…). Detention ambitionne d’être tout cela à la fois, et plus encore. Au lycée de Grizzly Lake, un tueur masqué charcute à tout va. Riley, l’intello végétarienne avec un pied dans le plâtre — le handicap symbolise son inadéquation avec le milieu social —, devient la proie du meurtrier. Ça craint, et comme Riley est la fille la moins cool du bahut, personne ne se donne la peine de croire qu’elle est en danger, ni les flics, ni les profs, ni le proviseur tête de nœud avec son éternel sourire en coin. Comment cette sympatique nerd va-t-elle s’en tirer ? Et qui diable se cache derrière le masque sanguinolent de l’assassin ?
Ces questions feraient office de moteur pour de nombreux scénarios de teen flicks, mais ce n’est pas ce qui intéresse Joseph Kahn, maître d’œuvre de Detention, qu’il a autoproduit en y mettant jusqu’à son dernier cent. Déjà réalisateur de Torque (2004) et d’une tripotée de vidéo-clips (pour Muse, Courtney Love, Rob Zombie…), Kahn traite l’intrigue criminelle avec désinvolture (c’est un simple fil rouge) et vise surtout à explorer trente ou quarante années de pop culture, celle-là même qui nourrit l’imaginaire des (post-)ados autant qu’elle oriente leurs goûts et comportements. Une séquence du film synthétise cet objectif, mettant en scène un élève éternellement collé (ça fait 19 ans qu’il est en « detention » !). Alors que le dénommé Elliot Fink passe son existence à graver d’étranges formules mathématiques sur sa table, la caméra opère un long travelling circulaire autour de l’assemblée des adolescents en retenue. La fin de chaque révolution marque un changement d’époque et de style de musique, d’attitude, de vêtements… remontant de 2011 à 1992. L’idée et son exécution sont drôles et révèlent le regard plein d’acuité porté sur la société des ados et son évolution cyclique, laquelle, par définition, se mord la queue (l’un des personnages principaux, la blonde « populaire » Ione, est fascinée par les années 1990, comme d’autres avant elle l’ont été par les années 1980).
Detention ne manque donc pas d’esprit ni d’imagination. Mise en scène et montage crépitent à une idée à la seconde, les dialogues sont débités à un rythme de mitraillette. Sur une durée d’une heure trente, c’est beaucoup, peut-être trop, d’autant que, comme je l’ai glissé plus haut, le scénario mélange les genres dans un joyeux bordel, partant dans tous les sens, accumulant sous-intrigues et sous-sous-intrigues. Comme s’ils avaient infusé leur cervelle dans un cocktail café + Red Bull, Joseph Kahn et son coscénariste Mark Palermo multiplient les références musicales, cinématographiques…, passent de scènes de comédie à des meurtres bien gore (amputations et décapitations, filmées sur un mode rigolard), puis bifurquent vers la S.F. sans crier gare en envoyant les personnages voyager dans le temps ou à l’occasion d’un flash-back hilarant relatant l’histoire de Billy Nolan, sportif-vedette du lycée doté de capacités physiques hors du commun. Cinq minutes de délire absolu qui renvoient au meilleur de l’humour ZAZ, avec à la clé un clin d’œil au cinoche de S.F. des années 1950-60, The Blob en tête.
Ce foisonnement explosif n’exclut pas une ou deux pauses tranquilles, romantiques, telle une jolie ballade nocturne en skate du couple de héros, Riley et Clapton. Car forcément, avec des personnages d’ados dans tous les plans, Detention parle aussi (un peu) de premier amour, ce qui me fait songer qu’une séance du film en soirée ferait un « first date » idéal… Pas de bol, amis visiteurs collégiens ou lycéens, Detention n’aura pas les honneurs d’une sortie françaises dans les salles. Il faudra se contenter de la vidéo, ce qui permettra du reste d’envisager une dizaine de visionnements (pour capter tous les détails) et d’éviter l’horrible doublage français, à fuir comme la peste. Et vous profiterez d’une langue anglaise qu’on n’étudie pas dans les manuels scolaires. Commencez tout de suite par la bande annonce, montage de deux minutes qui donne un aperçu — c’est le but — mais échoue à restituer la dinguerie et la liberté de ton du long métrage :
Dvd et blu-ray disponibles dès le 8 août 2012 (Sony Pictures Home Entertainment).