Aujourd’hui, je vous emmène à la découverte d’Aurélien Morinière, jeune dessinateur fort sympathique, disert (dans l’interview au moins !). Il a débuté en faisant plutôt de la BD jeunesse et depuis quelques temps, il explore des univers plus fantastiques. Son trait fin et détaillé est très agréable.
Q – Bonjour, peux-tu te présenter ?
Je devrais y arriver je pense. Aurélien Morinière, homo sapiens sapiens. J’appartiens au groupe de primates des Simiiformes et de la famille des hominidés. Je suis né approximativement 4,54 milliards d’années après la formation de la terre, en l’an 1975 après ce type là… mince, celui avec la barbe, j’ai oublié son nom. Je mesure 1m80 et je pèse environ … presque. Mes cheveux poussent à l’intérieur de mon crâne, je suis la plupart du temps bipède et j’utilise des vocables articulés pour m’exprimer auprès de mes congénères.
Auprès des autres espèces, je grogne généralement avec des effets plutôt décevants en termes de communication. Je suis omnivore. Ce qui signifie que je me nourris d’animaux morts aussi bien que de plantes mortes. Les cailloux morts n’étant pas comestibles, je m’abstiens. Pour m’intégrer dans la société (ou au moins pour en donner l’impression), j’ai effectué des études. Mais comme je voulais faire un peu mon rebelle, j’ai fait des études artistiques (maitrise d’Arts plastiques et science de l’art). C’est un peu bohème, et je me disais que ça me permettrait de draguer des filles en faisant leur portrait, voire en leur demandant de poser toute nue. J’ai surtout dessiné des animaux et des arbres finalement, en tout bien tout honneur…
Q – Comment t’est venue l’idée de faire de la BD ?
Je ne me rappelle pas exactement de l’association d’idées bizarres qui a mené à cette direction professionnelle. Peut-être que c’était quand je dessinais des baleines assez laides, en forme de lampadaire, en maternelle à mes camarades et qu’ils se pâmaient d’admiration. J’ai eu la sensation que je pourrais gouverner l’univers grâce à mes baleines et je pense que ça a été assez déterminant … mais décevant car, manifestement je ne gouverne que mon propre univers. Vous voyez bien que c’est la merde partout, si j’étais arrivé à mes fins, nous vivrions tous dans la félicité et l’extase permanente.
Mais c’était plutôt informe comme réflexion. Ceci dit, j’y ai songé assez jeune. Le dessin était un outil pour m’exprimer peut-être un peu plus libérateur que la parole, qui ne m’était pas très naturelle et surtout avec laquelle je manquais de mordant. Je pouvais, avec le dessin, être un peu plus acide, drôle et irrévérencieux qu’à l’oral. En tout cas, plus à l’aise. Ça a donné lieu à des caricatures et des histoires courtes mettant en scène mon entourage. Ça ne m’a pas tellement permis de draguer des filles hélas puisque évidemment c’était le but principal de l’opération. Mais j’ai pu acheter pas mal d’amitiés artificielles grâce a un beau dessin.
Q – Quels auteurs t’ont influencé ?
La première BD que j’ai vraiment lue, en dehors des magazines habituels (Pif gadget et consort) c’était le Buck Rogers de Lt. Richard Calkins et Philip Francis Nowlan, paru en 1977 avec une préface de Ray Bradbury. J’ignorais à l’époque qui était ce monsieur Bradbury et je pense bien n’avoir même pas jeté un œil sur sa préface à ce moment-là.
J’étais fasciné, mais la plus grosse claque, celle qui fut déterminante, je pense, ce fut la découverte du travail de Jean Giraud, sous sa forme Moebius. Le garage hermétique m’a semblé une explosion de créativité et de liberté. J’ai longtemps imité Moebius. Comme beaucoup de mes camarades, j’imagine. Et puis plus tard, j’ai découvert Sergio Toppi et je me suis pris une seconde grosse tarte dans la poire. Peut-être plus grosse encore.
Mais sinon, je me nourris, un peu à droite et à gauche, et pas seulement dans la BD. J’en lis d’ailleurs assez peu et j’ai, en la matière, une culture assez médiocre, que j’assume parfaitement. Je suis un gars de la campagne maintenant, j’ai le droit de préférer regarder un arbre, que de lire une BD. Ça m’inspire souvent bien plus d’ailleurs. Je me nourris de la peinture (Mucha, Klimt, Goya, Rembrandt …), des gravures qu’on trouve dans les vieux livres, du cinéma, et de mon environnement rural dans lequel j’effectue quelques errances hasardeuses.
Q – Quel cursus as-tu suivi ?
Mais j’ai entassé des cailloux, construit des structures improbables, fait des tâches, gratouillé tout en élaborant des discours alambiqués avec un vocabulaire obscur avec beaucoup de bonheur et … encore une fois … contre tout attente, non seulement j’ai obtenu ma maitrise les doigts dans le coude, mais en plus j’y ai appris une foule de choses qui ne me servent presque à rien professionnellement, mais qui structurent ma pensée (si si… on dirait pas mais si) et me nourrissent régulièrement.
Q – Qu’apprécies-tu le plus dans ce métier ?
Je ne sais pas, je n’ai jamais fait autre chose en réalité. Pour dire précisément ce que j’apprécie, il faudrait que je puisse comparer objectivement. Hors, je n’ai aucune objectivité, après mes études, j’ai tout de suite fais de la BD quasiment (hormis quelques boulots étudiant). Mais disons, qu’à observer d’autre modes de fonctionnement, j’apprécie la grande liberté. Le fait d’avoir un projet entre les mains de A à Z. De maitriser chaque étape de sa réalisation. D’être en évolution permanente, en tout cas d’essayer. De se mettre en danger, de douter, d’être en mutation permanente.
En espérant que ce soit pour devenir meilleur (artistiquement et humainement), même s’il y a des ratés, comme dans tout parcours. Mais ce parcours là, j’ai la sensation de pouvoir y poser mes repères avec plus de souplesse que dans un cadre plus rigide de salariat. Ce n’est pas l’indépendance, il ne faut pas rêver, mais disons une moindre dépendance.
Q – Quelles sont tes principales publications ?
J’ai fais une quinzaine de bouquins. Certains ne sont plus disponibles. Mais en gros, ma dernière parution c’est la série Aethernam avec Samély au scénario aux éd. Emmanuel proust. C’est un dyptique. Autrement j’ai longtemps travaillé avec Tarek avec qui j’ai produit une trilogie épique (Tengiz) et beaucoup de BD destinées à la jeunesse (les 3 petits cochons, le petit Mamadou Poucet…) chez Emmanuel Proust aussi.
Q – Quels sont tes projets, si tu en as ?
Actuellement, je travail sur une trilogie aux éditions Glénat avec Eric Corbeyran au scénario. Il s’agit d’un nouveau cycle des Uchronie(s) (New Byzance, New Harlem et New York), le premier tome paraîtra en septembre. J’ai d’autres projets qui vont sans doute naître en parallèle de cette série, avec d’autres scénaristes et dans des genres très variés, mais dont je ne parlerais pas tout de suite par superstition. Dans un autre genre j’ai pour projet de publier sous forme de recueil une série d’images accompagnées de « poèmes » que j’ai réalisés assez régulièrement depuis l’été 2011 (et qui sont visibles sur mon blog). Chez un éditeur ou en auto édition, je n’ai pas décidé encore.
Ces images ont une thématique un peu sombre, ça parle de mort, de vie, d’égarement et de renouvellement. C’est très inspiré par l’environnement naturel dans lequel je me suis réfugié depuis quelques années et qui est une vrai nourriture pour l’esprit. Donc, même si ces images et ces textes sont parfois durs, ils ne reflètent pas mon état d’esprit permanent, mais une forme d’inconscient.
Q – Quels-sont tes hobbys à part le dessin ?
J’ai une forme de collection d’instruments de musique … disons … exotiques pour certains. Dont, je joue mal, mais j’ai une fascination pour la musique et j’ai besoin de faire du son. Ça m’apaise. Je joue un peu avec des amis de manière informelle. Je peins également, sur toile. Des choses abstraites, également inspirées par la nature. J’envisage d’ailleurs de parvenir à mêler les deux : peinture et musique, d’une manière ou d’une autre.
Je suis également en train de montrer avec des amis une association à but culturel. On y partagerait de la musique, des expériences artistiques et d’artisanat local, des produits locaux autour d’une amap et d’un café associatif. Et évidemment, résident dans le Limousin, j’apprécie les grandes promenades dans cette région magnifique, les nuits dans les bois et les égarements volontaires.
Q – De quels auteurs es-tu fan ?
Je l’ai déjà dis pour les influences. Moebius et Toppi. Mais ensuite, je peux parler de Dino Battaglia, de Travis Charest, de Franquin, de Mathieu Lauffray, de Stéphane Perger … c’est un peu difficile comme question en fait, parce que ça varie assez régulièrement. En fonction des périodes, de ce qu’on recherche dans sa propre création, on va chercher chez les autres des choses précises. L’admiration est fluctuante, mais il y a des sensibilités qui nous touchent plus durablement.
Q – Ta dernière BD lue ?
La dernière c’était Olymps de Gouges, de Catel et José-Louis Bocquet.