On ne présente plus cette auteure qui a publié une vingtaine de romans sous le pseudonyme de Megan Lindholm. Son cycle L’Assassin Royal, sorti en 1995, marque le tournant d’une carrière désormais internationale sous un nouveau nom : Robin Hobb.
Khimaira : Vous êtes épouse et mère de quatre enfants. Qu’est-ce qui a déclenché votre passion pour l’écriture et où avez-vous trouvé le temps pour cela ?
Robin Hobb : Je suis très surprise ! Je pense que vous êtes les premiers à me poser la question de cette manière-là ! Cela m’a fait réfléchir, et j’ai alors réalisé que, sur les 37 dernières années de ma vie, il n’y en a que trois durant lesquelles je n’ai pas eu d’enfants de moins de dix ans autour de moi. Mes trois rejetons les plus âgés sont adultes maintenant, mais j’ai encore un adolescent à la maison, ainsi que trois petits-enfants que je garde régulièrement. C’est pourquoi je pense que la population élevée d’enfants dans ma vie a sans doute eu une forte influence sur mon écriture et sur les histoires que j’ai choisi de raconter.
Quant à savoir comment je réussis à écrire avec tous ces enfants, eh bien, je pense que nous nous adonnons tous à nos passions dès que nous en avons la possibilité. Je connais des gens qui ne comptent pas le temps qu’ils passent à faire de magnifiques broderies ou du tricot, de la peinture ou de la décoration d’intérieur, ou qui vont à la pêche régulièrement. Et ils font ces choses-là tout en ayant des enfants et un travail. J’ai toujours voulu devenir écrivain. Je pense que j’ai simplement appris à profiter des moments libres que j’avais pour écrire. Lorsque mes propres enfants étaient encore petits, j’avais toujours un carnet sur moi. Et lorsqu’ils s’amusaient dans la cour, je m’asseyais près des balançoires ou du bac à sable et j’écrivais. Le soir, lorsqu’ils jouaient dans la baignoire, je m’installais par terre dans la salle de bains et j’écrivais.
Je me suis vite rendu compte que je pouvais faire le ménage ou cuisiner avec des enfants excités autour de moi, donc je pouvais aussi écrire des histoires. Je pense qu’on arrive toujours à trouver du temps pour les choses qu’on aime faire.
K : Pourquoi avoir choisi de publier des livres sous deux pseudonymes différents. D’abord sous celui de Megan Lindholm, puis de Robin Hobb ? Est-ce que Megan Lindholm ne se sent pas un peu mise de côté ?
R.H. : Aux Etats-Unis, la fantasy est un genre très large. Il y a la fantasy pour la jeunesse et pour les adolescents, l’héroic-fantasy, la fantasy historique, romantique, humoristique, épique, etc. La liste est longue. Et les lecteurs semblent tous avoir un genre de prédilection auquel ils reviennent toujours en fin de compte.
En écrivant sous le pseudonyme de Megan Lindholm, je me suis essayée à plusieurs genres tels que l’héroic fantasy, la fantasy moderne ou encore la fantasy dans une réalité alternative. Mais lorsque j’ai commencé à écrire le cycle de l’Assassin Royal, je me suis rapprochée du domaine de la fantasy épique. C’est pourquoi j’ai alors décidé d’utiliser un pseudo différent afin de bien différencier ces longues histoires complexes de mes autres romans. Ce n’est pas rare pour des auteurs d’utiliser plus d’un pseudo, surtout lorsqu’ils écrivent dans des genres aussi différents que la romance et l’horreur, par exemple. En utilisant plusieurs pseudos, l’auteur permet au lecteur de savoir tout de suite quel genre de roman il achète. Megan Lindholm n’a absolument pas décidé d’arrêter d’écrire : je continue à écrire des histoires courtes sous ce pseudo, et j’ai un certain nombre d’idées en attente pour d’autres romans. Dès que j’aurai trouvé comment faire des journées de plus de 24 heures, j’ai bien l’intention d’écrire autant de romans sous le pseudo de Lindholm que sous celui de Hobb, mais c’est difficile de trouver le temps de fignoler ses histoires et de les soumettre à des éditeurs. Quoi qu’il en soit, j’espère publier l’année prochaine une série d’œuvres plus courtes écrites et par Robin Hobb et par Megan Lindholm, aux Etats-Unis et en Angleterre. Certaines de ces histoires auront été publiées au préalable, mais j’espère également inclure de nouvelles œuvres des « deux » auteurs !
K : Cette année, vous serez aux Imaginales d’Epinal. C’est la troisième fois, on dirait que ça devient une habitude 🙂 Pouvez-vous nous expliquer les relations que vous entretenez avec le public européen ?
R.H. : Je peux essayer de l’expliquer, mais le plus important, c’est que j’ai été ébahie et enchantée par l’accueil chaleureux que mes romans ont reçu ici. Les deux fois où j’ai visité Epinal pour les Imaginales, j’ai énormément apprécié. Je n’oublierai jamais la première fois où j’ai vu cette rue remplie de chats ! Nous étions sortis pour dîner et nous revenions en voiture dans le noir, et tout à coup, les phares du véhicule ont éclairé toute cette ribambelle de chats roux, bleus et jaunes, c’était une véritable invasion. C’était incroyable ! J’ai acheté un chat bleu que j’ai ramené avec moi. Il a élu domicile sur l’étagère de la chambre de ma grand-mère.
Mais j’imagine que cela ne répond pas vraiment à la question. J’adore venir ici en visite. Mon père était américain d’origine suédoise et ma mère était anglaise et très européenne à sa manière. J’ai grandi avec les mêmes livres qu’elle a aimés lorsqu’elle était petite, et avec les contes de son enfance. Je pense qu’elle m’a transmis une façon d’appréhender le monde qui, quelque part, était bien plus européenne qu’américaine. Donc, quelquefois, lorsque je vais en Europe, j’ai l’impression de revenir à la maison, là où les choses sont comme elles sont supposées l’être.
En même temps, je m’émerveille d’une façon très américaine de la façon de vivre des personnes et des familles qui possèdent des racines profondément européennes. J’adore parcourir les rues de France et penser aux nombreuses personnes qui ont marché là avant moi, ou m’imaginer comment les gens construisaient leurs maisons il y a plus de cent ans. L’Europe est la terre de mes « contes » et elle n’a jamais vraiment complètement perdu cette espèce d’aura magique pour moi.
K : La Nuit du Prédateur est votre premier et seul roman co-écrit avec Steven Brust. Pouvez-vous nous expliquer comment est née cette envie d’écrire à deux et comment s’est déroulée votre collaboration ?
R.H. : Bien longtemps avant La Nuit du Prédateur, Steven Brust et moi avons collaboré sur une série de romans. A l’époque, Emma Bull et Will Shetterly publiaient plusieurs anthologies se situant dans les mêmes mondes. L’éditeur établissait un monde et son fonctionnement, son système de magie et sa géographie, et invitait ensuite d’autres auteurs à écrire des histoires qui se passaient dans cet univers. Dans ce cas précis, le nom du monde était Liavek. Steve et moi utilisions des personnages qui étaient en relation les uns avec les autres, et il nous arrivait de collaborer pour ces histoires. Cette expérience nous a permis de comprendre que nous travaillions ensemble à merveille et que nous avions en commun un grand nombre d’idées et de « règles » concernant l’écriture en fantasy.
Peu après l’expérience Liavek, Steve m’a envoyé le premier chapitre d’un livre qu’il était en train d’écrire. Selon lui, le cadre et le système de magie lui rappelaient un peu mon roman Le Dernier Magicien et il se demandait si je ne voulais pas écrire le chapitre suivant. Au début, j’étais un peu ennuyée, car je travaillais sur quelque chose que je devais absolument terminer. Mais l’un des personnages de ce chapitre m’avait vraiment frappée, et avant que je ne m’en rende compte, j’avais écris le prochain chapitre de l’histoire. Je le lui envoyai, et très bientôt, il me répondit avec le troisième chapitre. J’écrivais la quatrième partie et la lui renvoyai. Ça a duré plus d’un an. Parfois, on réécrivait ou on modifiait ce que l’autre avait écrit. Parfois, l’histoire n’avançait pas, mais elle semblait toujours repartir à un moment ou à un autre. Une fois, alors que j’avais eu une très mauvaise journée, j’ai tué tous les personnages que Steve avait inventés. Je la lui envoyai et n’eût pas de réponse. J’ai commencé à me sentir vraiment mal et je lui ai écrit une lettre pour lui dire de jeter ce chapitre-là à la poubelle et j’en écrirais un nouveau. Mais, borné, il m’a répondu que non, qu’il arriverait à s’en sortir. Le chapitre suivant que je reçus de sa part était un chef-d’œuvre d’écriture. Nous avons écrit le roman sans faire d’esquisse ni de plan arrêté. Et un jour, l’histoire s’est terminée d’elle-même. Steve et moi sommes allés à San Francisco. Il assistait à un concert de Grateful Dead et mon mari voulait visiter un musée maritime quelque part par-là. Durant ce week-end, Steve et moi avons fait les premières retouches du manuscrit à la table du café de l’hôtel. L’agent de Steve était capable de vendre le roman pour nous, et je pris l’avion pour Minneapolis, où nous avons fini les corrections du manuscrit chez Steve.
Jusqu’à ce jour, cela reste l’une des expériences d’écriture les plus merveilleuses que j’aie eue. Cela m’a redonné des forces en tant qu’auteure et m’a rappelé pourquoi je voulais faire ce travail au départ. Je ne sais pas si un lecteur peut éprouver plus de plaisir à la lecture de ce roman que moi et Steven Brust n’en avons eu à l’écrire.
K : Dans Le Dieu de l’Ombre, votre histoire se déroule en Alaska. Est-ce à mettre sur le compte d’une certaine nostalgie que vous éprouveriez au regard de votre enfance ?
R.H. : L’Alaska que je décris dans Le Dieu de l’Ombre est très proche de celui dans lequel j’ai grandi. Je n’en suis pas la protagoniste, mais j’ai tout de même utilisé les souvenirs de mon enfance pour le cadre du roman. Je suis très nostalgique de Fairbanks et de l’Alaska, tels qu’ils étaient avant le gros boom du pétrole. Cela s’est produit alors que j’étais au lycée et ça a tout changé en très peu de temps.
K : On connaît l’importance d’une traduction pour un auteur. En France, une grande partie de vos ouvrages sont traduits par Arnaud Mousnier-Lompré et Véronique David-Marescot. Pouvez-vous nous parler de cette collaboration ? Prenez-vous part au choix des couvertures de vos livres ?
R.H. : J’ai eu beaucoup de chance concernant les traducteurs que mes éditeurs ont pu choisir pour mes romans, pas seulement en France, mais également pour toutes mes autres traductions. A plusieurs reprises, je suis devenue amie avec mes traducteurs. Je trouve leur travail fascinant. Par exemple, Arnaud et moi nous connaissons depuis un certain nombre d’années, et je sens que notre amitié va au-delà de l’écriture, de la traduction et du fait de raconter des histoires. J’ai toujours été très impressionnée par toute la peine qu’il se donne, pas seulement pour traduire fidèlement, mais aussi pour rendre les propos aussi « français » que possible. Je pense que le travail de mes traducteurs est aussi artistique et créatif que le travail de l’auteur au départ. Je ne pense pas que les traducteurs soient aussi reconnus qu’ils devraient l’être, surtout lorsque le succès d’un livre dans une langue différente dépend de leur travail à eux.
Lorsqu’il s’agit des couvertures de mes romans, j’avoue que les éditeurs sont souvent bien mieux placés que moi pour choisir celles qui conviennent le mieux au public visé. Je sais que les couvertures européennes sont très différentes des couvertures américaines, par exemple. Donc, je suis souvent heureuse de m’en remettre à l’expérience des éditeurs dans ce domaine. En général, je suis très contente des choix qui sont faits. Je pense que les personnes qui s’occupent des couvertures sont de vrais artistes, avec leurs propres qualités et leur propre sensibilité. Aux USA, il existe un proverbe : « Si ce n’est pas cassé, ne le répare pas ». Cela signifie : « N’essaie pas de changer quelque chose qui a du succès. » Je pense la même chose du choix de mes couvertures de romans.
K : Les cycles de l’Assassin Royal ainsi que les Aventuriers de la Mer se déroulent dans le même univers. Pensez-vous revenir dans ce monde pour d’autres romans ?
R.H. : Je travaille sur un roman en un seul volume dans lequel on retrouvera le Désert des Pluies et les dragons. Je m’en réjouis énormément, même si je sais que je dois faire très attention à ne pas me contredire moi-même sur des détails. Je pense que c’est le plus difficile lorsqu’on travaille dans un monde déjà bien établi. Je dois constamment prendre en compte des évènements et des faits qui se sont déroulés dans des romans antérieurs.
K : Le cycle des Aventuriers de la Mer est-il, en quelque sorte, un hommage aux pêcheurs et aux légendes qui peuplent le monde aquatique ?
R.H. : D’après moi, les Aventuriers de la Mer renvoie à ma fascination pour l’époque où les bateaux à voile étaient les moteurs du commerce et de la découverte. La façon dont nous avons pu commercer avec d’autres peuples a tellement façonné notre histoire et notre société… J’aime aussi à imaginer comment chaque bateau avait son propre petit univers pendant tous ces mois où il restait en mer. J’ai toujours adoré les romans et les histoires de bateaux et d’océan, donc j’étais très enthousiaste à l’idée d’en écrire un moi-même.
K : Soldat Chamane est votre premier cycle dans un tout nouvel univers. Est-ce que Renegade’s Magic (pas encore publié en français) va clore ce cycle ou réservez-vous des surprises à vos lecteurs ?
R.H. : Je pense que Renegade’s Magic complète bien l’histoire de Nevare. Je ne pense pas que je réécrirai dans cet univers. Mais… j’ai dit la même chose lorsque j’ai terminé le cycle de l’Assassin Royal. Je pensais vraiment que j’en avais fini avec Fitz mais aussi avec le monde des Elderling. Et me voilà, des années plus tard, débutant un nouveau roman qui se passe dans cet univers !
La seule chose dont je suis certaine, c’est que je n’écrirai pas un roman simplement pour le projeter dans un univers familier ou pour permettre à mes personnages favoris une énième sortie théâtrale ! Je veux que mon inspiration vienne d’une intrigue et de personnages que j’ai réellement envie de faire vivre. J’espère qu’avec Dragon Keeper, je pourrai continuer à vivre en accord avec mes propres ambitions !
K : Tous ces différents romans et cycles nous permettent de comprendre les liens qui existent entre tous vos livres. Pourriez-vous nous expliquer comment toutes ces histoires sont reliées entre elles ?
R.H. : Je pense que la seule chose qui relie tous ces romans ensemble, c’est ma propre fascination pour certains sujets en particulier. Je sais que je reviens vers eux encore et encore, non pas parce que j’ai les réponses, mais parce que j’aime examiner un sujet sous toutes ses coutures. De différentes manières, Les Aventuriers de la Mer et ses suites traitent de questions comme le devoir, la famille et la loyauté par opposition à l’indépendance et aux ambitions personnelles. D’une façon étrange, la trilogie du Soldat Chamane touche à nouveau à ces sujets-là. Je suis également fascinée par la mémoire et par la manière dont elle nous affecte tous.
K : Vous êtes une auteure des plus prolifiques. Pouvez-vous nous parler de vos projets d’avenir ?
R.H. : Eh bien, comme je l’ai déjà mentionné, mon travail actuel me mène à nouveau vers les terres des Elderlings. Dragon Keeper se déroule dans le Désert des Pluies. Même si l’histoire donne des aperçus des personnages des romans précédents, c’est une histoire complètement nouvelle. Parmi mes projets, je compte également écrire plusieurs histoires courtes cette année. L’année prochaine, je prévois de travailler à une série d’histoires qui nécessiteront la participation de Robin Hobb et de Megan Lindholm. Et après ? Eh bien, je sais que j’écrirai un autre roman. Je n’en sais pas plus pour l’instant.
Un grand merci à Khimaira pour m’avoir permis de partager mes pensées avec mes lecteurs.
Propos recueillis par Hanako
Traduction Mélanie Lafrenière
Remerciement spécial à Stéphanie Nicot pour son support aimable dans la réalisation de cette interview.