L’événement vidéo S.F. de ce printemps s’intitule The Divide ! Inédit en salles, le thriller post-apocalyptique, troisième long métrage du Français Xavier Gens (après Frontière(s) et Hitman), sera disponible le 1er juin en dvd et blu-ray. Le réalisateur est revenu avec Khimaira sur une expérience de tournage canadienne riche en anecdotes et rebondissements.
KHIMAIRA : On n’est plus en pleine guerre froide, on ne vit plus dans la crainte d’un conflit nucléaire comme il y a 30 ans. Comment appréhender l’explosion atomique qui ravage New York dans The Divide ?
Xavier Gens : Cette attaque nucléaire est symbolique de notre peur actuelle du terrorisme. Imaginons qu’une attaque-surprise nous tombe dessus, lancée par on ne sait qui, d’on ne sait où… On filerait se cacher sans attendre et on essaierait de survivre ensemble, sans forcément savoir qui est à l’origine de ce qui nous arrive. Le film adopte ce point de vue par le biais du personnage d’Eva, qui échoue dans un sous-sol parmi un groupe d’individus appelés à recréer une microsociété. Je tenais aussi à ce que The Divide soit un symbole de la crise que nous traversons en ce moment. L’explosion atomique au début du film peut très bien être prise comme une métaphore de la crise économique actuelle.
Qui sont ces hommes en combinaisons qui font irruption dans l’abri et ne sont pas là pour aider les personnages ?
Sur le tournage, nous appelions ces types les « Hazmats » (du nom du type de combinaison qu’ils portent, à l’épreuve des matières dangereuses, notamment radioactives — NdR). Ce sont des militaires américains qui recherchent d’éventuels survivants, mais n’ayant pas de ressources suffisantes, ils ne récupèrent que les enfants, qu’ils placent dans des caissons cryogéniques pour tenter de les garder vivants dans l’hypothèse d’un avenir meilleur. C’est la déroute, et le but n’est pas de sauver le plus de gens possible, mais plutôt d’assurer la survie de l’espèce humaine.
C’est une thématique qui est très présente dans le film : pour les personnages, il s’agit constamment de faire des choix en affrontant des situations extrêmes…
Oui, c’était une de mes motivations sur le tournage : voir jusqu’où il était possible de pousser les acteurs en leur demandant de jouer des personnages en situation de crise, en créant des conflits en permanence au sein des survivants.
À ce titre, certains personnages sont particulièrement malmenés, comme celui joué par Rosanna Arquette. Comment arrive-t-on à convaincre une comédienne de sa notoriété de jouer les scènes très dures imposées par le scénario ?
(Rires) Franchement, il n’y a pas besoin de la persuader, et c’est même elle qui a proposé de pousser plusieurs situations assez loin ! J’ai débuté le tournage avec la plupart des scènes déjà écrites de A à Z, mais Rosanna Arquette est une actrice très généreuse qui arrive sur le plateau avec des idées qu’on n’oserait pas avoir.
Un exemple ?
Lors d’une scène de repas, d’après le scénario, elle devait se tacher la robe avec des haricots à la tomate, ensuite prendre une bouteille d’eau et nettoyer sa robe. Elle se faisait alors engueuler parce qu’elle gaspillait l’eau. Rosanna trouvait l’épisode puéril, elle m’a dit : « Je suis une femme, et dans pareille situation, l’absence de serviettes hygiéniques poserait problème. À la place de la sauce tomate, ce serait bien que j’aie mes règles devant eux. Va donc me chercher du faux sang. » Alors on a mis la scène en place mais sans rien dire aux autres comédiens. J’ai dit au chef-op’ de pointer une caméra sur Lauren German et Ashton Holmes, que je savais tous deux très puritains. Lorsque, au final, on voit Rosanna sortir sa main pleine de sang de sous sa robe, la réaction de choc de Lauren German n’a rien de simulé ! Idem pour Ashton Holmes. Après le tournage de la scène, ils étaient complètement retournés !
Il y a eu d’autres improvisations ?
Oui, par exemple la scène entre mecs où ils jouent à « Action ou vérité » autour d’une table. C’était une impro montée par Milo Ventimiglia et les autres comédiens. En fait, tous les acteurs avaient le scénario comme base de travail, mais lors des répétitions, je leur ai laissé le champ libre pour improviser. Le scénariste du film, Eron Sheean, était présent, il reprenait par écrit ce qu’il y avait de mieux dans les impros et les intégrait après coup au scénario. Au moment du tournage, il leur arrivait même de ré-improviser à partir de ce qu’ils avaient trouvé pendant les répètes. C’est une méthode de travail qui a apporté énormément de vie au film. Le passage où Milo coupe le doigt de Michael Biehn a été également en grande partie improvisé. La structure de la scène était écrite, mais ce sont surtout Michael et Milo qui ont « drivé » la séquence, en poussant les autres comédiens, en les brusquant. Dans cette scène, Lauren German insulte Milo, et elle le fait vraiment, la tension créée est palpable.
Certaines improvisations ont-elles conduit à carrément modifier le scénario ?
Vers la fin du film, le personnage de Bobby se travestit, il se retrouve à porter la nuisette de Rosanna Arquette, et ce n’était pas du tout prévu ! Simplement, Michael Eklund (l’interprète de Bobby — NdR) et Rosanna Arquette se sont très bien entendus sur le plateau. Lorsque celle-ci a quitté le tournage, après la mort de son personnage, Michael était tout triste. Il voulait conserver un souvenir d’elle, que cela se voie à l’image. Alors il a eu l’idée de se pointer avec la nuisette dans laquelle avait joué Rosanna pendant ses quatre semaines sur le film ! Voilà le genre de pépites qu’ont trouvé les comédiens tout au long du tournage. Leurs impros nous ont permis de développer et de rendre très efficaces des actions qui n’étaient parfois décrites qu’en une ligne dans le scénario. J’avais eu une approche totalement différente en tournant Frontière(s), mon premier film, où je me suis comporté en véritable « control freak ». Or il s’est avéré que les meilleures scènes du film étaient celles où j’avais laissé un peu d’espace, de liberté aux comédiens. Un acteur est un artiste, et si le metteur en scène est là pour le diriger, il doit aussi savoir lui lâcher la bride pour lui permettre d’exploiter au mieux son personnage. Une anecdote marrante : j’ai demandé à tous de se trouver un objet faisant office de totem et avec lequel ils pouvaient jouer à leur guise tout au long du film. C’est un petit truc que m’avait transmis Robert Knepper sur Hitman : il jouait un agent secret russe et alors qu’on préparait le tournage, il est venu avec une petite oreillette en me disant que ce serait son totem. C’est pourquoi de temps en temps, à l’image, il fait semblant de parler en russe avec des types en train de lui donner des infos dans son oreillette. C’était génial, ça a apporté un plus au personnage. J’ai souhaité tenter l’expérience sur The Divide : en regardant bien, on s’aperçoit que Michael Eklund s’amuse avec une petite gourde, Lauren German avec un stylo dont elle se sert comme d’une barrette à cheveux, Rosanna Arquette joue avec son collier…
The Divide est violent et, à un moment, il est ouvertement question de cannibalisme. C’est cependant une voie dans laquelle le film ne s’engage pas. Pourquoi ?
J’ai évoqué avec les comédiens la possibilité de verser dans le cannibalisme, mais j’étais réticent car j’avais l’impression de revenir en arrière et de refaire Frontière(s). Cela dit, il fallait quand même aborder le sujet sinon on m’aurait reproché de passer à côté : les personnages sont isolés, enfermés, ils n’ont rien à bouffer, il est logique qu’ils se tournent vers les cadavres. Alors j’ai esquivé la question en estimant qu’à ce moment de l’histoire, les corps étaient déjà faisandés, impropres à être consommés. Pour moi, ce n’était vraiment pas le sujet du film.
The Divide est un huis clos avec un décor unique. T’es-tu lancé des défis de mise en scène à l’occasion de ce tournage ?
Oui, il y a eu un plan-séquence assez compliqué à mettre en place, au début du troisième acte, quand Eva décide de prendre son destin en main et d’agir, elle va débrancher le générateur, etc. Jusque-là, l’histoire était racontée de son point de vue et, à partir de cet instant, on quitte cette focalisation : la caméra s’envole au dessus du décor pour filmer l’action en plongée et suivre le personnage, comme si on avait le point de vue de Dieu, en quelque sorte. C’est le moment du film qui a coûté le plus cher à mettre en images : on a tourné le plan en cinq ou six segments en mêlant prises de vues réelles et décor en infographie.
Et les plans finaux avec New York en ruines ?
Contrairement à ce qu’on pourrait croire, ils ont coûté nettement moins cher. On a juste recouvert le parking du studio de gros cailloux, installé une voiture brûlée et un fond vert. Les images de la ville ravagée ont été créées sous Photoshop par trois graphistes qui ont bossé d’arrache-pied pendant des semaines sur leurs PC. À la fin, les mecs avaient les yeux au fond de la tête (rires) ! Et comme on n’avait pas un budget énorme, ils ont accepté de faire le boulot pour pas grand-chose.
Le sous-sol où se déroule toute l’histoire est presque un personnage à lui seul…
Tout à fait. Ce décor a été conçu par Tony Noble, un vieux monsieur qui a une longue carrière de « production designer » derrière lui. Il a conçu le décor de Moon de Duncan Jones, et dans Alien de Ridley Scott, c’est à lui qu’on doit l’aspect visuel de la pièce où l’équipage du vaisseau converse avec « Maman », l’ordinateur de bord. Sur The Divide, il a aussi élaboré les costumes des « Hazmats ». Il a beaucoup apporté au film, il a eu d’excellentes idées tout au long du tournage.
Où le tournage a-t-il eu lieu ?
Au Canada, à Winnipeg. C’était pratique : à l’extérieur, il faisait -30°C, il n’y avait rien d’autre à faire que rester enfermés et tourner le film (rires) ! Il y avait une salle de gym où les acteurs pouvaient aller se détendre de temps à autre, mais sinon toute l’équipe n’a fait que bosser pendant les 31 jours qu’a duré le tournage.
31 jours seulement ?
Oui, mais au Canada, les journées de tournage durent 12 heures. Un tournage en France aurait nécessité 10 jours de plus. Le budget était de 4 millions de dollars canadiens, dont l’essentiel a été apporté par les parents du stagiaire régie !
Comment ça !?
Il nous est arrivé un truc fou : une semaine avant le début des prises de vues, alors qu’on finissait de construire le décor, la compagnie d’assurances qui garantissait la bonne fin du tournage a jugé que notre plan de travail était trop serré et qu’on n’arriverait pas à boucler le film dans les délais. Ils se sont retirés et, du coup, les financiers aussi. The Divide ne pouvait plus se faire, on se retrouvait avec le décor à 500.000 dollars sur les bras, qu’on ne pouvait plus payer. Idem pour la location du studio. On était prêts à tout casser quand est arrivé près de moi le stagiaire régie. Il m’a expliqué que le tournage constituait son stage de printemps, qu’il allait se retrouver sans rien si le projet capotait. Alors il a appelé ses parents, qui m’ont demandé de quelle somme nous avions besoin pour boucler le budget. Et ils nous ont filé les 2,5 millions de dollars qui manquaient ! Incroyable ! Ils sont passés nous voir plus tard sur le tournage et figure-toi que ça été une des pires journées de ma vie : ce jour-là, on mettait en boîte la scène où Michael Eklund oblige Ivan Gonzales à lui faire une pipe, et je me suis rendu compte que les parents du stagiaire étaient en régie, derrière le combo ! La honte ! Illico, je suis sorti du studio pour demander au chef-op de couper le retour vidéo. Ils avaient investi leur argent dans le film et je m’en servais pour tourner des scènes où des types se tripotent habillés en transsexuels ! Mais ils ont été cool et se sont déclarés ravis de l’expérience.
Ton approche de la réalisation a-t-elle changé depuis Frontière(s) et Hitman ?
Oui, j’évite maintenant de sur-découper les scènes. Je me suis rendu compte que filmer une scène en un plan-séquence plutôt qu’en 15 plans « cut » était parfois plus efficace. C’est le cas, par exemple, du passage où Michael Eklund découpe les corps à la hache : juste avant qu’il s’y mette, la caméra sort pour aller cadrer les autres personnages, assis dans une pièce voisine. On suit l’action avec eux, sans rien voir, et l’effet obtenu est beaucoup plus saisissant que si j’avais filmé Bobby avec sa hache, en alternant les échelles de plan. Même chose concernant la scène de bagarre entre Michael Biehn et Courtney Vance : la séquence était décrite dans le détail sur toute une page dans le script et, telle quelle, il m’aurait fallu un temps fou pour la mettre en place et la filmer. J’ai eu l’idée d’amener le personnage d’Eva dans la pièce : elle voit alors la baston se dérouler en un plan, en ombres chinoises derrière un rideau. Le rendu est tout aussi efficace et la trouvaille m’a permis de gagner une journée de tournage !
Comment Michael Biehn est-il arrivé sur le film ? Était-ce ton choix de l’engager ?
Les choses se sont faites très simplement : on a envoyé le script à son agent et Michael a accepté. Maintenant, en effet, le rôle devait être tenu au départ par Robert Patrick, mais il a dû se désister suite aux pépins financiers dont je parlais tout à l’heure. Il avait d’autres engagements et le report du tournage l’a contraint à partir. Le même problème s’est posé pour Melissa George, qui devait initialement jouer le rôle d’Eva. Mais je n’ai rien perdu au change : Michael Biehn est parfait, et Melissa George était peut-être à peine trop âgée pour jouer Eva.
Le film existe dans deux versions, une de 2h et l’autre d’1h45. Pourquoi ?
En fait, la version d’1h45 ne sera jamais distribuée, et le public ne verra jamais que la version Director’s Cut de 2h. The Divide a été financé de façon indépendante, et avant de se mettre en quête d’un distributeur, on a raccourci le montage d’un quart d’heure : il est difficile de trouver un distributeur aux États-Unis pour un métrage supérieur à 1h45. Mais au final, le distributeur avec qui nous avons signé s’est avéré plus intéressé par la version complète que par le montage raccourci. On avait notamment coupé les scènes de viol avec Rosanna Arquette.
Pourquoi The Divide ne sort-il en France qu’en vidéo, sans passer par les salles ?
On a préféré une belle sortie en dvd à une sortie en salles bâclée : le film écope en France d’une interdiction aux moins de 16 ans, ce qui fait fuir les grands distributeurs, UGC et compagnie. Les exploitants rechignent à programmer des films au public restreint, ciblé. J’en avais fait les frais avec Frontière(s) : le distributeur avait tiré 200 copies du film et n’avait pu en caser que 88 auprès des exploitants. Il leur en est donc resté plus de 120 sur les bras, et une copie coûte 800 euros… Si on veut que les œuvres de genre marchent un peu, trouvent leur public, il faut choisir le média qui correspond le mieux. En salles, un film comme The Divide ne réaliserait pas plus de 20.000 à 30.000 entrées.
Il y a quand même des films de genre français qui ont marché, comme Promenons-nous dans les bois il y a une douzaine d’années… Est-ce que ce genre de succès appartient au passé ?
Il y a eu aussi Le Pacte des loups de Christophe Gans. Grâce aux succès du Pacte des loups et de Promenons-nous…, on a pu avoir Haute Tension, Maléfique… Puis il y a eu Frontière(s), Martyrs, Sheitan… Et lorsqu’on voyage à l’étranger, on se rend compte que nos films de genre sont très connus et appréciés. Exploités en salles sur le territoire français, ces films sont des échecs, mais ils cartonnent ensuite en dvd, y compris hors de nos frontières ! Il est donc important que des producteurs français continuent à y croire. Si c’est le cas, les cinéastes qui veulent s’exprimer en réalisant des films fantastiques, des films d’horreur, ont un bel avenir devant eux, d’autant qu’un grand média comme Canal Plus est prêt à cofinancer ce type de métrages. La France doit être le seul pays au monde où une grande chaîne de télé engage de l’argent dans des films d’horreur.
Des projets pour l’après-The Divide ?
Cette année, je devrais tourner deux longs métrages : l’un intitulé Cold Skin (une coproduction franco-espagnole tournée en anglais en Islande ; l’intrigue se déroule en Antarctique au lendemain de la première guerre mondiale — NdR) et l’autre House of Horror, écrit et produit par James Wan.
Remerciements à Gwenn Gautier et Camille Goubet
À lire également, la chronique du dvd, édité par BAC Films, et notre compte rendu du 19ème Festival de Gérardmer, où The Divide a été projeté lors de la soirée de clôture. La bande annonce :