Annoncée, en gros, depuis Haute Tension (2003) d’Alexandre Aja, la nouvelle vague française de l’horreur n’a jamais enflé au point de devenir raz-de-marée. La faute à qui ? Certainement pas aux réalisateurs et scénaristes, qui ne manquent pas de projets mais dont les ambitions sont contrariées par des maisons de production frileuses. Les argentiers du cinéma de l’Hexagone sont peu enclins à investir dans de vulgaires films d’épouvante, qui ne leur vaudront ni le soutien des grands medias, ni les lauriers académiques pompeusement dispensés à la « cérémonie » des Césars (alors que les votants des Goyas espagnols, par exemple, n’ont pas hésité à distinguer un film comme L’Orphelinat). Malgré tout, des longs métrages voient le jour, trouvant leur public non pas sur grand écran mais en vidéo. C’est le cas de Livide, distribué rapido en salles à l’automne dernier, et dont voici la sortie dvd. Julien Maury et Alexandre Bustillo sont de retour quatre ans après leur coup d’essai retentissant À l’intérieur, première œuvre radicale dont les excès sanglants m’avaient laissé… livide ! Il fut question qu’ils tournent ensuite un remake américain d’Hellraiser, puis un thriller autoroutier intitulé Neiges. Deux projets inaboutis. On retrouve finalement le duo du côté de la Bretagne, terre de légendes, pour un second film qui, même s’il recèle son content de plans gore, délaisse l’horreur pure d’À l’intérieur au profit d’une histoire de vampires et de fantômes, d’une plus grande portée imaginaire.

L’origine de Livide n’a pourtant rien en commun avec l’épouvante ou le surnaturel. Maury et Bustillo sont partis de Malataverne, roman qu’ils portent tous deux dans leur cœur. Cette chronique sociale de Bernard Clavel, située dans la France rurale de l’après-guerre, relate la tragédie sordide de trois adolescents partant cambrioler une vieille femme seule dans sa ferme. Livide reprend cet argument, la chaumière de Malataverne devenant un manoir isolé dans la campagne bretonne. L’héritage de Clavel se ressent aussi dans le début du film, au ton réaliste. L’héroïne, la jeune Lucie (Chloé Coulloud), ambitionne de devenir aide-soignante. Elle commence une formation sur le terrain en accompagnant Catherine Wilson (Catherine Jacob), qui visite les domiciles de personnes dépendantes. Le clou de la tournée sera le passage dans le manoir de Deborah Jessel (Marie-Claude Pietragalla), centenaire décharnée végétant dans le coma sous respirateur artificiel. Wilson souffle à Lucie que l’ancienne prof de ballet dissimulerait un trésor. La jeune fille s’empresse de faire part de sa découverte à son petit copain, William, et Ben, le frère de celui-ci. Sur un coup de tête, ils improvisent un casse chez la vieille dame le soir même, nuit d’Halloween.

On ressent un vrai petit plaisir pervers à la découverte du casting. Eh oui, bonnes gens, une actrice populaire comme Catherine Jacob, habituée aux comédies à succès, vient s’acoquiner avec les « parias du cinéma français » (dixeunt les auteurs eux-mêmes dans le commentaire audio proposé sur le dvd), qui lui font commettre des horreurs (voyez le film et vous comprendrez). Pire encore, une danseuse étoile qui fait la fierté du coq gaulois ose se commettre dans pareille production, sans même hésiter (Pietragalla a donné son accord deux jours après avoir été contactée). Des choix pourtant simples à expliquer : indépendamment du genre qu’ils affectionnent, Julien Maury et Alexandre Bustillo s’affirment comme des auteurs inspirés, ce ne sont pas des viandards de la pellicule. Leurs intentions, si elles sont macabres, n’en sont pas moins poétiques. Lorsqu’à la nuit tombée, les trois héros se lancent dans leur expédition nocturne, le film bascule dans une dimension fantastique. Le glissement est subtil : un feu follet à l’approche de la maison de Jessel annonce la présence sous terre d’un cadavre, avertissement silencieux ignoré par les trois voleurs. Puis le vaste manoir apparaît sous la lumière lunaire, faisant écho aux plus belles demeures du cinéma fantastique. D’un point de vue esthétique, la baraque est diamétralement opposée au pavillon de banlieue anonyme d’À l’intérieur. C’est un des personnages du film à part entière, elle recèle bien un trésor, soit un bric-à-brac effarant arrangé par un staff de décorateurs de génie (et éclairé par un chef-op’ non moins doué). L’accumulation d’animaux empaillés, de sculptures, de marionnettes, de vieux livres reliés… le tout sous une belle couche de poussière, donne au film un cachet lugubre récompensé à juste titre par le prix du meilleur décor au dernier festival de Sitges. Un intérieur de rêve pour les spectateurs, une prison pour les personnages. Les héros dans la place, la maison se referme sur eux pour les livrer aux créatures qui se cachent entre ses murs.

Aux initiés, Maury et Bustillo proposent un petit jeu à base de clins d’œil aux films qu’ils adorent (saurez-vous relever les allusions au Loup-Garou de Londres, aux Innocents, à Suspiria… ?). Livide est aussi l’occasion de réinventer en partie le personnage du vampire. Le prédateur nocturne n’est plus ici un non-mort mais une créature qui, comme le suggère le scénario, peut se reproduire et vieillir. Un personnage à la fois redoutable et délicat, gracieux, d’autant que nous avons affaire à une danseuse émérite et, surtout, à sa fille. Interprétée par Chloé Marcq, la petite ballerine vampire au teint blafard est une silhouette magnifique qui marque les rétines. Le rôle est muet, et la comédienne réalise un travail énorme par sa gestuelle. À son côté, maman Pietragalla, au port droit, rigide, campe une « mater vampirorum » d’une belle froideur de cauchemar.

Des délais de tournage un peu moins serrés (un mois de prises de vue seulement, comme À l’intérieur) et un budget supérieur auraient peut-être permis à Livide d’échapper à un montage malgré tout un peu étriqué. Atteignant tout juste les 90 minutes, le film souffre d’un effet de trop-plein en compilant de nombreuses thématiques (on croise donc des vampires, mais aussi des spectres de ballerines assassines, un personnage zombifié, la maison de l’horreur, comme douée d’une vie propre, pourrait justifier un film à elle seule…). A contrario, un déficit d’informations rend obscures les motivations de certains personnages, notamment celui interprété par Catherine Jacob. L’amateur éclairé de fantastique sera à même de combler certains blancs, mais il n’en ira pas de même d’un spectateur néophyte. Maintenant, si vous lisez ces lignes, il y a des chances que vous vous rangiez dans la première catégorie. Inutile, alors, de bouder votre plaisir : Livide vous tend la main pour une superbe balade dans un univers de ténèbres, comme le cinéma français n’en propose presque jamais. Une invitation comme celle-là ne se refuse pas.

À lire également sur Khimaira, l’entretien avec Julien Maury et Alexandre Bustillo réalisé à l’occasion de cette sortie dvd.


Dvd et blu-ray disponibles à partir du 3 mai 2012 (M6 Vidéo).