Avec la sortie de l’Eveil du Roi, premier tome des Chroniques de Khëradön, Chris Debien signe un premier roman d’heroïc-fantasy très réussi ! Paru à l’automne aux éditions Hachette Jeunesse, ce premier opus nous entraîne dans un univers magique et foisonnant d’imagination. Place à Chris Debien…

 
Khimaira : Parlez-nous de la naissance de l’univers de Khëradön
 
Chris Debien : L’univers de Khëradön est né d’une envie, d’un énorme désir qui me taraudait depuis de nombreuses années et qui s’enracine profondément dans les « rencontres » littéraires que j’ai pu faire : J.R.R Tolkien évidemment, mais aussi Jack Vance, Sprague de Camp, ou plus récemment Fabrice Colin, Henri Loevenbruck, l’incomparable Serge Brussolo et j’en oublie !
Cela faisait un moment que je rongeais mon frein, cherchant l’occasion d’enfin développer mon propre univers, d’y déployer mes propres histoires et d’y entrainer des lecteurs à mon tour !
Mais je ne voulais pas céder à la tentation de créer un monde foisonnant sans avoir auparavant réfléchi à une intrigue qui en valait la peine. Le projet « Khëradön » s’est donc développé par touches successives, un peu comme un tableau sur lequel on superpose des couches de couleurs pour former le dessin final : d’abord les personnages (et surtout celui, emblématique, de Luther), puis les créatures (en évitant les poncifs du genre) et enfin le monde avec ses territoires contrastés et ses peuples disparates. Les paysages, les monstres, les forteresses, les océans se sont ainsi progressivement précisés au fil de l’histoire : chaque élément, chaque détail devait servir le récit et non le contraire comme on le constate, hélas, trop souvent dans ce genre de littérature.
Ainsi, les Chroniques de Khëradön n’ont cessé de prendre de l’importance à chaque nouvel échange avec mon éditrice : de « petit » projet jeunesse, elles se sont transformées en une expérience d’écriture en ligne (éphémère mais exaltante !) puis en une véritable et ambitieuse trilogie !
 
K : Dans le monde de Khëradön, la magie est omniprésente : créatures fantastiques de toutes sortes, magiciens spécialisés, peuples féériques, malédictions et enchantements, on la croise régulièrement au fil des pages. Pourquoi cet engouement pour la magie ?
 
C.D. : La magie ou plus exactement le « merveilleux » est l’un des ingrédients incontournables de toute œuvre de Fantasy. Après, il s’agit juste d’une question de dosage, d’équilibre : quelques touches plus ou moins appuyées comme dans Le Seigneur des Anneaux, véritable enjeu comme dans l’œuvre de Moorcock ou omniprésente comme chez Garrett Randall. Plus généralement, la magie participe au « dépaysement » caractéristique de ce genre littéraire.
Mais c’est vrai que j’apprécie tout particulièrement cet aspect du Médiéval-Fantastique, un aspect « légende celtique » qui me renvoie sans arrêt à l’une de mes références majeures : le mythe arthurien, tant dans ses racines avec les écrits de Chrétien de Troyes, que dans ses développements ultérieurs, notamment cinématographiques (avec le splendide Excalibur de John Boorman).
Cependant, là encore, j’ai voulu placer la magie dans une situation singulière, un peu comme le fait Tolkien : nous sommes en effet dans un univers où la magie est émergente, peu connue, où elle inspire la méfiance et où tout reste à découvrir. La magie est comme une pierre précieuse brute qu’il faut encore tailler pour qu’elle devienne un joyau…
Mais pour être vraiment honnête, je pense que mon engouement pour la magie vient tout simplement d’un recoin de ma tête qui refuse avec obstination de grandir !
 
K : Dans L’Eveil du Roi, vous semblez attacher autant d’importance à la qualité de l’intrigue qu’à la profondeur des personnages. D’après vous, ces deux caractéristiques assurent-elles le succès d’un roman de fantasy ?
 
C.D. : J’ignore si ces deux caractéristiques garantissent le succès (je l’espère ;)) : ce sont les lecteurs qui trancheront !
Mais effectivement, la profondeur des personnages, l’épaisseur de leur caractère est pour moi quelque chose de fondamental : leurs émotions, leurs sentiments, tout ce qui fait leur nature humaine, est au premier plan.
En effet, ce sont eux qui écrivent l’histoire, pas moi : lorsqu’un personnage commence à prendre chair et corps dans ma tête, c’est lui qui prend les rênes du récit… m’entraînant parfois dans des situations difficiles à rattraper !
L’avantage c’est que je suis constamment surpris par leurs actions et qu’ils me poussent dans mes derniers retranchements. L’inconvénient, c’est qu’ils ne laissent pas une seconde pour souffler…
Je sais que c’est un peu étrange de parler de ses propres personnages ainsi (surtout pour un psychiatre !) mais c’est un fait : très rapidement, ce sont les personnages qui deviennent les maîtres de leur destinée. Mon travail consiste alors à les canaliser afin que l’histoire ne parte pas dans tous les sens !
 
 
K : Le roi Luther est constamment tiraillé entre le Bien et le Mal, entre la magie noire et la magie blanche. Est-ce une façon de faire comprendre aux lecteurs que l’être humain doit constamment se remettre en question et faire ses propres choix ?
 
C.D. : Exactement. Et c’est ce qui me passionne chez mes semblables, qu’ils soient faits d’encre et de papier ou de chair et de sang !
La vie est une succession de choix épineux qui s’imposent à chacun d’entre nous : à chaque instant, que ce soit sur le plan personnel, professionnel ou sentimental, nous devons choisir entre plusieurs voies. Et personne ne connaît par avance les conséquences des options qu’il va prendre : c’est à la fois angoissant et grisant !
Quant à la remise en question, je pense, là aussi, qu’elle doit faire partie de chacun d’entre nous afin de nous permettre de progresser, de nous enrichir : en effet, nous apprenons, nous nous nourrissons des autres, de leurs cultures, de leurs différences… Ainsi, comment faire autrement que de se remettre en question face à des convictions, des croyances qui parfois bousculent fondamentalement nos propres certitudes ? Sans cela, nous risquons de nous enfermer dans une attitude sclérosante et stérile.
Je ne sais d’ailleurs pas s’il faut voir les choses en termes de Bien et de Mal, car les choix, lorsque l’on prend le temps d’y réfléchir, sont rarement dichotomiques : il existe souvent une troisième voie, plus obscure, plus discrète… Et c’est ce qui arrive à Luther : il est constamment tiraillé entre le Bien, le Mal et quelque chose de plus nuancé, de plus complexe sans doute… l’Humanité !
 
 
K : La première scène de votre roman est terrifiante : le roi des terres tranquilles en appelle à la magie noire pour faire ressusciter sa reine, morte en couche. C’est un acte désespéré d’un être bon, mais qui va libérer des forces obscures. Selon vous, le Mal peut-il naître d’un homme de bien ?
C.D. : Oui, le Mal est tapi en chacun d’entre nous : c’est toujours un choix possible. Par exemple lorsque vous voyez quelque chose dans une vitrine, vous pouvez travailler pour gagner de l’argent et l’acheter, ou tenter de la voler…
A chaque instant de notre vie, nous avons le choix plus ou moins conscient de prendre la voie du mal… Le chemin inverse est difficile mais toujours possible.
Quant à savoir si un homme de « bien » peut engendrer le Mal, il me semble que l’Histoire foisonne d’exemples où, au nom d’une cause qui peut apparaître juste, certains ont engendré de véritables catastrophes : l’exemple le plus parlant reste sans doute la création de la bombe atomique… Un thème dont Pearl Buck a tiré un remarquable roman dont je vous conseille la lecture : « Es-tu le maître de l’aube ? ».
 
 
K : Combien de temps avez-vous travaillé sur ce projet et de quelle manière avez-vous abordé son écriture ?
C.D. : Au total, trois ans : un an pour élaborer le projet, un an pour le faire mûrir et un an pour le rédiger. Quant à l’écriture, j’ai voulu laisser la plus grande place possible à la spontanéité et à l’improvisation : je me suis donc contenté de rédiger un canevas très sommaire qui m’a servi de fil rouge tout en laissant le récit se développer au fil de la plume. Ainsi, de nombreuses idées, de nombreuses trouvailles ont émergées au fur et à mesure de l’histoire sans avoir été préméditées…
En effet, je déteste m’imposer un cadre trop strict où tout serait décidé d’avance, formaté pour déclencher telle ou telle émotion chez le lecteur à des moments clefs, à la manière de certains page turner qui frisent la caricature. Je préfère faire confiance à mes personnages, les regarder évoluer et choisir de décrire leurs hauts-faits à la manière d’un conteur.
 
 
K : Votre collaboration étroite avec la célèbre revue Casus Belli a-t-elle influencé la création de ce premier roman d’héroïc fantasy qu’est l’Eveil du Roi ?
C.D. : Sans aucun doute ! Avoir la chance de collaborer à une revue aussi prestigieuse pendant près de dix ans a profondément marqué mon imaginaire !
Lorsqu’on a eu l’opportunité de travailler aux côtés de gens aussi passionnants que Patrick Bauwen, Didier Guiserix, Pierre Rosenthal, Fabrice Colin ou surtout, Thierry Ségur, on s’en souvient, croyez-moi !
C’est là que j’ai appris à créer des univers riches et cohérents, à écrire dans l’urgence, à surprendre sans cesse les lecteurs. Le microcosme du jeu de rôle, nourri par les grands classiques, foisonne d’idées et d’imagination et ses adeptes sont d’une exigence particulièrement stimulante ! Pas question de leur resservir des histoires déjà maintes et maintes fois rabattues…
De plus, l’écriture des scenarios conduit à imaginer des récits rigoureux, foisonnants, mêlant à la fois action et réflexion, laissant toujours une place importante aux personnages interprétés par les joueurs. Bref, autant d’ingrédients indispensables à l’écriture d’un roman qui doit tenir ses promesses en termes d’originalité, d’intérêt et de rebondissements. C’est une école incomparable pour l’apprentissage de l’écriture.
Ainsi, lorsque le projet « Khëradön » a commencé à prendre de l’épaisseur, j’ai retrouvé mes anciens réflexes de scénariste… avec une différence colossale : devoir créer des personnages principaux !
Mais je crois que l’un des apports majeurs de mes « années-jdr » est l’importance que j’accorde aux personnages dits secondaires : en effet, lorsque l’on écrit un scénario de jeu de rôle, il faut créer toute une galerie de PNJ (Personnages non joueurs), c’est-à-dire de figures hautes en couleurs auxquelles vont se frotter les joueurs. C’est pour cela que les Chroniques ne s’intéressent pas uniquement au parcours de Luther Khëradön mais aussi à celui de Yana, Shawak des déserts de l’Est, d’Arax, magicien de l’Eclat, de Maë, esclave au destin exceptionnel, ou encore de Loulïn, jeune Faëlin facétieuse…
Je pense même que les premiers germes des Chroniques de Khëradön sont nés à cette époque. D’ailleurs, l’un des scénarios de Fantasy qui a le plus compté à l’époque pour moi s’intitulaient les Chroniques du Chaos !
 
 
K : Après avoir écrit du thriller, vous avez choisi de vous tourner vers la fantasy jeunesse. Qu’est-ce qui vous a poussé à écrire dans ce genre précis ?
 
C.D. : Comme je l’affirmais plus haut, je crois que les Chroniques étaient tapies tout au fond de moi depuis longtemps, n’attendant qu’une occasion propice pour se manifester ! Ainsi, dès que mon polar a été publié, je me suis senti libre… libre de laisser Luther Khëradön partir à l’assaut des Terres Tranquilles !
Toutefois je voudrais revenir sur un aspect que soulève votre question : cette notion de « fantasy jeunesse »… En effet, je n’ai pas écrit une trilogie destinée à la jeunesse en particulier, j’ai d’abord écrit un récit destiné à tous les amateurs de Fantasy quel que soit leur âge.
Se demande-t-on, en effet, si le Seigneur des anneaux est une œuvre jeunesse ? Je crois que l’on se pose cette question grosso modo depuis la vague Harry Potter et encore, on s’aperçoit que le propos de J.K. Rowling se modifie au fil de sa saga et que les derniers tomes ne sont plus si « jeunesse » que cela ! Mais si ce terme désigne les moins de 13 ans alors, effectivement, les Chroniques ne sont pas du tout adaptées !
Je voulais avant tout écrire un roman d’aventure dans un univers médiéval fantastique car le moyen âge historique est une période qui me fascine : c’est le temps de la chevalerie, de l’honneur, de l’amour courtois, des légendes…. Et lorsque vous y ajoutez une dose de fantastique, cela devient magique !
 
K : L’éveil du roi est le premier tome des Chroniques de Khëradön. Pouvez-vous déjà nous dire quelques mots à propos de la suite ?
 
C.D. : Tout d’abord que je prends de plus en plus de plaisir à raconter l’odyssée de Luther et de ses compagnons !
Mais je dois avouer que le tome II comporte des thèmes qui me tiennent particulièrement à cœur car c’est le moment où, alors que tout s’écroule dans le royaume, que le Mal se répand dans les profondeurs même des Terres Tranquilles, une poignée de héros se lève devant les hordes insanes de la reine Noire pour tenter d’endiguer l’invasion.
De tous temps, j’ai adoré ces histoires de révolte, admiré ces personnalités capables de trouver au plus profond d’eux-mêmes la force de dire non !
Mais ce sera aussi un tome où l’univers va s’étoffer avec la découverte des mystères des Archipels Versatiles, l’exploration d’une ville-nécropole coincée à l’orée du Grand Charnier, la confrontation avec des forces démoniaques venues des zones les plus sombres de l’Ïnfer…
Mais surtout, c’est le temps pour Lähm d’apparaître au grand jour et pour les Tisseurs de Destin de sortir de leurs tanières millénaires, le temps pour les démons Hysharïms d’envahir le royaume sous les ordres de l’Impératrice Noire… Bref, un second tome encore plus foisonnant que le premier, tout de bruit et de fureur !
 
K : Avez-vous d’autres projets dans les domaines de l’écriture fantasy et de la jeunesse pour la suite ou vous tournez-vous à nouveau vers la littérature pour adulte et les thrillers ?
 
C.D. : Et bien à vrai dire, un peu les deux : je suis en train de travailler sur le tome II des Chroniques mais je ressens déjà l’envie de développer d’autres histoires…
En effet, certains de mes personnages secondaires ont été laissés pour compte dans l’Eveil du Roi et j’ai bien envie de leur consacrer un ou deux opus en parallèle : des one shot centrés sur des personnalités particulières… Certainement quelque chose qui tournerait autour de Gräane l’Arachne, et des Tisseuses de Destin dans une époque bien antérieure à l’histoire de Luther, quelque chose qui se passerait aux origines des Terres Tranquilles autour de la mythique bataille du Vahlmörn.
Et puis un récit qui utiliserait l’un des personnages du tome II, un Cénobion dont je ne peux pas vous dire grand-chose pour l’instant sous peine de déflorer un aspect important de l’histoire. Mais sachez tout de même que les Cénobions constituent une étrange communauté qui vit au cœur d’une ville-nécropole en compagnie d’aberrations crées par leurs soins…
En ce qui concerne les thrillers, j’ai laissé en sommeil une série de trois à cinq romans très noirs destinés à un public adulte et centrés sur l’exploration des zones les moins recommandables de l’âme humaine…
Enfin, si tout cela se réalise, j’adorerais me plonger dans une œuvre d’anticipation pour pouvoir, enfin, rendre hommage à l’un de mes maîtres : Phillip K. Dick et son merveilleux Blade Runner
Bref, si tout va bien, vous n’avez pas fini de me lire !
Merci !
 
Des remerciements particuliers à Cécile Benhamou de Hachette Jeunesse pour sa précieuse collaboration à cette interview.