En termes de dinguerie en tout genre, on attend toujours beaucoup d’un réalisateur formé chez Troma. C’est le cas de James Gunn qui, après son chouette Slither (2006, en v.f. Horribilis), nous surprend ici avec une comédie satirique qui plante ses racines dans une Amérique provinciale, celle où vivote le pauvre Frank (Rainn Wilson), cuistot dans un diner qui vient de se faire larguer par sa dulcinée Sarah (Liv Tyler). Après quelques années de mariage avec ce type gentil mais monotone, sans ambition, cette ex-junkie a trompé son ennui en retombant dans la drogue. De sniff en fumette, Sarah a fait de mauvaises rencontres et a fini par tomber sous la coupe de Jacques (Kevin Bacon), proprio d’un club de strip-tease et dealer à la tête d’une bande de gugusses à la gâchette facile. Frank a assisté passivement à la dérive de sa femme. À présent qu’elle est partie, il n’a qu’un objectif, la récupérer coûte que coûte en la sauvant des griffes du salaud. Comment faire ? Il tombe en zappant sur une chaîne chrétienne et découvre The Holy Avenger. La série met en scène les aventures d’un super-héros masqué coiffé comme Jésus aux prises avec un Lucifer avec cornes de diable et perfecto. Le show débile est une épouvantable production Z prosélyte, mais comme Frank est au fond du trou, The Holy Avenger fait l’affaire et éveille chez lui une vocation : il sera désormais un super-héros, prêt à aller botter les fesses de tous les nuisibles qui polluent l’existence des citoyens honnêtes…
« Pas de pouvoirs ? Pas de problème ! » C’était l’accroche du fameux Kick Ass, le film de Matthew Vaughn, auquel il est impossible de ne pas songer. Ici encore, nous avons affaire à un brave gars lambda ayant soudain l’ambition d’un grand destin, devenir un super-héros. Sauf que James Gunn, contrairement à Matthew Vaughn, n’essaie pas de séduire le public en mettant en scène des lycéens. Point d’ado rigolo en vedette de Super, juste un quasi quadra avec bide mou et double menton. Sa quête n’en est que plus attachante, d’autant que James Gunn aime son personnage, il a foi en lui autant que le pauvre Frank a foi dans la volonté bienfaitrice de « Geesus ». Après avoir listé les humiliations subies par le héros au cours de son existence (certaines sont gratinées, la pire étant l’intrusion de Jacques, l’amant de Sarah, qui s’invite, un beau matin, à la table de petit déj’ de Frank !), Gunn dépeint de façon hilarante la transformation de la larve ventripotente en vengeur masqué, le « Crimson Bolt », qui s’en va la nuit assommer les dealers à coup de clé anglaise ! Bien sûr, on n’a d’yeux que pour la quête finale du héros, sauver et, peut-être, reconquérir Sarah. Cela ne se fera pas sans l’aide de Libby, employée dans un magasin de comics. La nénette a de la personnalité et de la suite dans les idées : découvrant la double identité de Frank, elle s’impose auprès de lui en sidekick derrière le masque de « Boltie », sa version féminine de Robin. James Gunn a embarqué Ellen Page dans l’aventure et, comme à son habitude, la comédienne s’implique à fond dans son rôle, celui d’une donzelle fétichiste qui n’a pas les mêmes motivations que Frank, masque et costume étant plutôt, chez elle, de nature à pimenter les préliminaires…
En conclusion ? Super n’usurpe pas son titre. James Gunn fait mouche en reprenant à son compte la mythologie moderne des super-héros pour dépeindre une chronique de l’Amérique des perdants. C’est original, et le film est à la fois drôle et triste, tendre et cruel, un peu comme la vie elle-même. Tout en délicatesse, l’épilogue laisse de côté les artifices des personnages de comics pour un retour à l’équilibre qui met à l’honneur les accomplissements des gens de peu, héros ordinaires et non moins méritants. Projeté en septembre dernier à l’Étrange Festival, le film n’a pas eu les honneurs d’une sortie française en salles. Faites-lui (et faites-vous) une fleur en lui offrant une séance de rattrapage dans votre salon.
Disponible en dvd, blu-ray et VOD depuis le 1er décembre. Ci-dessous, la bande annonce, avec des sous-titres français épouvantables…